Ces Slovaques qui préfèrent étudier en Tchéquie
En l’an 2000, sept ans après la partition de la Tchécoslovaquie, seuls 24 000 Slovaques vivaient sur le territoire tchèque. Leur nombre augmente rapidement ces dernières années et ils étaient 107 000 en 2016. Plus d’un cinquième d’entre eux sont des étudiants, qui représentent ainsi près de la moitié de tous les étrangers inscrits dans les universités tchèques. Qui sont donc ces jeunes Slovaques étudiant en Tchéquie et qu’est-ce qui motive leur choix de quitter leur patrie pour un pays avec lequel la Slovaquie a « divorcé » il y a tout juste 25 ans de cela ?
22 000 étudiants slovaques en Tchéquie
« Quand c’était pour moi le moment de choisir où j’allais étudier, j’avais plusieurs options : je pouvais rester en Slovaquie et j’ai aussi postulé pour des études en République tchèque. »Jana a étudié le français à la Faculté des lettres de l’Université Charles à Prague :
« J’ai postulé pour Brno et pour Prague. J’ai été admise aux deux mais j’ai choisi Prague. La ville représentait pour moi une opportunité très intéressante, enrichissante. Dans ma ville natale, tout le monde pense qu’étudier à Prague est quelque chose d’important. Les gens le voient comme un certain privilège. Et puis, un autre critère qui était important pour moi, c’était la qualité de l’enseignement. Je savais que la qualité de mes études et de mes enseignants serait malheureusement meilleure à Prague que dans mon pays. »
Son amie Ivana vient d’une famille tchéco-slovaque. Elle a passé sa licence en Slovaquie, avant de poursuivre ses études du français tout d’abord à Brno, puis à Prague :
« Il n’y avait pas de différences en ce qui concerne le niveau de l’enseignement. La principale différence concernait le nombre d’opportunités. En Slovaquie, je n’ai pas eu la possibilité d’effectuer un stage. A Brno, j’ai reçu l’opportunité d’enseigner le français à la Faculté d’économie et d’administration. Cette expérience professionnelle faisait partie intégrante de mes études et c’était très enrichissant. C’est donc pour moi la principale différence entre les études en Slovaquie et en République tchèque. »
Jana et Ivana font partie de ces jeunes Slovaques qui ont préféré poursuivre leurs études supérieures en République tchèque. Actuellement, quelque 22 000 étudiants slovaques sont inscrits dans une université tchèque. Pour comparer, seuls un peu moins de 3 500 Tchèques étudient dans un établissement slovaque. Selon Lucie Trojanová, du département de l’enseignement supérieur du ministère de l’Education, de plus en plus de jeunes Slovaques souhaitent se former pour la vie professionnelle en Tchéquie :
« Le nombre d’étudiants slovaques en République tchèque a bien évolué, et surtout depuis 2003. En 1993, un peu moins d’un millier d’étudiants slovaques fréquentaient les universités tchèques. Aujourd’hui, il y en a 22 000. La différence est donc assez importante. Les établissements supérieurs en République tchèque sont de plus en plus compétitifs et attirent en général beaucoup d’étudiants internationaux. Et puis, il y a un plus grand choix qu’en Slovaquie. Ce sont les deux principales raisons qui motivent les étudiants slovaques à venir en Tchéquie. Et puis, il y a aussi des raisons linguistiques et économiques. Le coût de vie en République tchèque n’est pas si élevé, c’est à peu près la même chose qu’en Slovaquie. »Un autre avantage incontestable : les Slovaques, de même que les autres étrangers, peuvent étudier en Tchéquie gratuitement. La seule condition, c’est d’être inscrit dans un programme en tchèque et pas en anglais. Vu la proximité linguistique des deux langues, l’emploi du slovaque est toutefois toléré par la majorité des universités tchèques.
Brno, la Mecque des étudiants slovaques
C’est la ville de Brno, la capitale morave, qui attire le plus grand nombre d’étudiants slovaques. Près de 17 % de tous les jeunes slovaques en formation en République tchèque sont inscrits à l’Académie de musique Janáček, suivie de l’Université Masaryk, l’Université technique de Brno, l’Université pharmaceutique et vétérinaire et l’Université Mendel. Prague avec l’Université Charles, la plus grande université tchèque, n’arrive qu’en sixième position.Alors que les jeunes filles slovaques étudient le plus souvent la médecine, les jeunes hommes se consacrent en priorité à l’informatique. D’après les données publiées par la Radio publique tchèque, la Faculté d’informatique de l’Université Masaryk comptait l’an dernier 982 étudiants slovaques contre seulement 943 étudiants tchèques. Mais pourquoi donc Brno ? Ivana s’essaie à une explication :
« Pourquoi Brno ? C’est plus proche que Prague, notamment pour les étudiants de l’Ouest de la Slovaquie. Et puis, l’ambiance y est peut-être plus agréable. »
Cette concentration d’étudiants slovaques fait souvent l’objet de critiques aussi bien de la part d’étudiants tchèques que de certains politiciens. Jeune diplômée de la Faculté de droit de l’Université Masaryk, Stáza résume l’opinion de nombreux de ses collègues :
« Nous avons eu beaucoup d’étudiants slovaques dans ma promotion, je dirais environ un tiers. En général, les étudiants tchèques à Brno se plaignent de cette situation. D’abord, nous sommes une génération qui ne parle pas slovaque, la télévision ne diffusait pas de films de conte de fées slovaques quand j’étais petite, donc nous ne comprenons plus très bien. C’était mon problème aussi : pendant les séminaires, les Slovaques étaient toujours assis près du professeur et lui posaient des questions en slovaque. Ils parlaient très doucement donc moi, qui étais assise plus loin, je ne comprenais rien… »
Mais Stáza indique également d’autres raisons :
« Les étudiants slovaques en Tchéquie coûtent assez cher à l’Etat. Et ce ne sont pas les citoyens slovaques qui leur payent ces études, mais nous, les Tchèques, par le biais de nos impôts. Troisième problème, qui ne me concerne toutefois pas personnellement, c’est qu’il y a peu de places dans les résidences universitaires à Brno. Comme la règle de répartition favorise les étudiants qui vivent plus loin, logiquement beaucoup de Slovaques habitent à la résidence puisqu’ils vivent plus loin que de nombreux Tchèques. Ils sont donc prioritaires… »Cette argumentation, bien qu’assez répandue, est toutefois réfutée par le ministère de l’Education. Lucie Trojanová :
« Tous ces étudiants slovaques qui habitent en Tchéquie y dépensent de l’argent. De plus, d’après nos statistiques, près de 50 % d’entre eux restent en République tchèque après leurs études, ils y travaillent et paient les impôts. Cet argent investit revient donc dans le budget de l’Etat. Après, il s’agit d’étudiants compétents et ensuite de travailleurs éduqués, ce qui est avantageux pour l’économie du pays. Enfin, cela aide aussi la compétitivité des écoles supérieurs. Plus il y a d’étudiants slovaques, plus la qualité des écoles supérieures tchèques doit être élevée afin de pouvoir les attirer. Et il existent également des raisons diplomatiques. Une fois de retour, les étudiants slovaques peuvent promouvoir la République tchèque dans leur pays. »
Une étude menée par des étudiants en économie de l’Université Masaryk précise d’ailleurs que l’Etat tchèque paie pour un étudiant slovaque de 2 500 à 3 000 euros par an. Chaque jeune Slovaque vivant sur le territoire tchèque dépense pour sa part entre 3 200 et 8 600 euros par an. D’après les auteurs de l’étude, les étudiants slovaques contribuent donc au budget annuel du pays pour environ 25 millions d’euros.
La Slovaquie face à la fuite des cerveaux
Jana et Ivana font également partie de ces jeunes Slovaques qui ont décidé de rester en Tchéquie après la fin de leurs études :
Jana : « Lors de mes études à Prague, je me suis créée un réseau de contacts et une relation avec la ville. J’ai commencé à la voir comme ma maison. Il est vrai que je reste toujours attachée à mon pays natal mais je ne pense pas pouvoir y vivre. Entre autres car je ne pense pas pouvoir y trouver le même travail que je fais en Tchéquie. »
Ivana : « Je viens de l’Est de la Slovaquie, de Košice, qui est la deuxième plus grande ville du pays. Mais si je compare Košice et Brno qui est, elle aussi, la deuxième plus grande ville de la République tchèque, je peux dire qu’à Brno, il y a beaucoup plus d’opportunités de carrière pour les jeunes. De plus, je travaille en Tchéquie, j’ai beaucoup d’amis ici et, puisque je viens d’une famille tchéco-slovaque, aussi beaucoup de membres de ma famille. Je me sens comme si j’étais chez moi. Tout le monde me comprend. Je ne suis pas obligée de parler tchèque… Même s’il y a parfois quelques difficultés ! Mais finalement, on arrive toujours à se comprendre. »Malgré certaines voix qui critiquent la migration économique des Slovaques vers la Tchéquie, Jana et Ivana affirment n’avoir jamais rencontré de discrimination de la part des Tchèques. Les deux jeunes filles poursuivent également en indiquant que cette tendance est plus inquiétante pour la Slovaquie que pour la République tchèque car 15 % de tous les lycéens slovaques quittent leur patrie après le bac :
Ivana : « Il y a beaucoup de craintes de la part de nos politiciens car ils voient que beaucoup de jeunes partent à l’étranger, surtout en République tchèque, et y restent. C’est logique. Quand quelqu’un est doué mais n’a pas d’opportunités d’exploiter son talent, il va chercher ailleurs. »
Jana : « Je pense qu’il y a une volonté d’améliorer la situation. Et je pense qu’il y a aussi beaucoup d’étudiants qui se mobilisent, qui créent des associations, qui veulent que les gens restent dans le pays et que l’on créé des opportunités pour les jeunes. Il existe donc une certaine mobilisation des efforts pour éviter la fuite des cerveaux. Mais on n’en est qu’au tout début. »
Ivana : « C’est difficile. Il faut tout d’abord réfléchir comment changer le système d’enseignement actuel pour convaincre davantage d’étudiants slovaques de rester en Slovaquie. »
Afin d’empêcher les meilleurs étudiants de partir, le ministère slovaque de l’Education prépare actuellement toute une série de mesures et de changements législatifs. A voir donc à l’avenir si ces efforts s’avéreront fructueux et si les universités tchèques vivront un nouveau « divorce » tchéco-slovaque.