Exposition : František Kupka et le groupe de Puteaux à l’honneur à Prague
Pendant plus de cinquante ans, František Kupka a vécu rue Lemaître à Puteaux. C’est dans cette commune de la banlieue parisienne que le peintre tchèque et père de l’art abstrait a fondé, en 1911, avec ses voisins les frères Duchamp, le groupe de Puteaux. Les activités de ce regroupement d’artistes et de critiques d’art liés au cubisme font actuellement l’objet d’une exposition intitulée « Ateliérová sousedství » (« Voisins dans l’art » en français). Préparée en coopération avec le Centre Pompidou, l’exposition se tient jusqu’en janvier prochain au Musée Kampa, dans le centre de Prague.
Voisins dans la vie et dans l’art
C’est avant tout l’histoire d’une amitié peu commune. En 1892, František Kupka, originaire d’Opočno, en Bohême de l’Est, quitte son pays natal à l’âge de vingt-et-un ans pour s’installer tout d’abord à Vienne, puis, à compter de 1896, à Paris, et plus précisément à Montmartre, le centre artistique de l’époque. L’essentiel de sa vie est toutefois lié à une autre adresse, celle de la maison située au 7 rue Lemaître à Puteaux, où le peintre se fixe en 1906 pour y rester jusqu’à sa mort en 1957. L’adresse devient mondialement célèbre dans les années 1911 et 1912 grâce aux réunions régulières du groupe de Puteaux. Brigitte Leal, du Centre Pompidou, coorganisateur de l’exposition, évoque plus en détail ce mouvement artistique :« Le groupe de Puteaux est lié à cette petite ville de Puteaux, à côté de Paris, au bord de la Seine. C’est là où les frères Duchamp, d’abord Raymond Duchamp-Villon et JacquesVillon, ont acheté un petit pavillon. Celui-ci se trouvait vraiment à côté du pavillon de Kupka. Ils avaient même un jardin en commun. Ils se sont donc liés d’une très grande et très profonde amitié. Il existe des photos sur lesquelles nous les voyons tous ensemble dans le jardin. Mais à côté de ces deux frères Duchamp, il y avait aussi Marcel Duchamp qui, lui, habitait à Neuilly, juste de l’autre côté de la Seine, et venait les voir. Et donc, petit à petit, ce groupe d’intellectuels et d’artistes, qui avaient leurs ateliers sur place et formaient un genre de petit phalanstère, a grossi au fil des années. »
De nombreux peintres, sculpteurs et critiques d’art, comme Francis Picabia, Roger de la Fresnaye, Robert Delaunay, Fernand Léger, Henri Le Fauconnier, Georges Ribemont-Dessaignes, Marthe Donas ou Camille Renault, mais aussi des scientifiques, des mathématiciens, des écrivains ou le poète Guillaume Apollinaire font partie du groupe de Puteaux, un nom que ses membres adoptent pour se distinguer de la définition plus étroite du cubisme développée par Pablo Picasso et Georges Braque. Ces artistes qui s’efforcent de relier l’art et la science (et rebaptisent plus tard le groupe du nom de Section d’or, faisant ainsi référence aux découvertes autour du nombre d’or), ne sont en effet pas partisans d’un mouvement concret ; ils cherchent leur inspiration dans différents principes de l’art moderne tels que l’orphisme, le futurisme, le cubo-futurisme ou encore le rayonnisme qu’ils modifient à leur manière. Brigitte Leal :« Il y a également eu des rencontres avec des cubistes comme Albert Gleizes et Jean Metzinger qui n’étaient pas les cubistes du clan Kahnweiler mais qui avaient, en quelque sorte, une vision un peu philosophique de l’art. Ils étaient hantés aussi par des recherches liées à l’occultisme par exemple et avaient une ambition spirituelle et philosophique pour le cubisme. Tous ces gens ont donc formé le groupe de Puteaux, un groupe assez informel dont les membres étaient liés par une relation d’amitié et de proximité intellectuelle. »
Les frères Duchamp pour la première fois à Prague
Ce groupe d’artistes, qui a considérablement influencé l’évolution de l’art abstrait, est actuellement présenté à Prague à travers une exposition organisée conjointement par le Centre Pompidou et le Musée Kampa et dont Brigitte Leal est l’auteure. Membre lui du conseil d’administration du Musée Kampa, Jiří Pospíšil précise :
« Cette exposition a été ouverte pour rendre hommage à la fondatrice du Musée Kampa, Meda Mládková, qui a fêté ses 98 ans le 8 septembre dernier, jour de l’inauguration de l’exposition. Meda Mládková a découvert František Kupka à Paris dans les années 1950. Elle a ensuite consacré toute sa vie à la présentation et à la promotion de son œuvre. Notre musée, qui gère sa collection des œuvres de František Kupka, organise donc différentes expositions sur cet artiste mais aussi sur le milieu dans lequel il a vécu. »Sur deux étages, l’exposition présente une trentaine d’œuvres, aussi bien des tableaux que des sculptures, de František Kupka, des frères Duchamp et de leurs collègues du groupe de Puteaux. Différentes photos d’artistes et textes d’accompagnement expliquant le contexte de création complètent cette mosaïque. Mais pourquoi donc le Centre Pompidou a-t-il préparé une exposition sur mesure pour le Musée Kampa ? Brigitte Leal :
« Le Centre Pompidou a de bonnes relations avec le Musée Kampa, qui va participer à notre exposition consacrée à Kupka au Grand Palais (qui se tiendra au printemps prochain, ndlr), avec des prêts magnifiques de la collection constituée par Meda Mládková. Nous avons prolongé cette collaboration en prêtant nous-mêmes un beau fond de nos œuvres liées au groupe de Puteaux, enrichi par des prêts privés qui nous permettent de présenter des œuvres du sculpteur Raymond Duchamp-Villon, notamment Le Cheval Majeur, un des chefs-d’œuvre de la sculpture du XXe siècle, ou la sculpture Maggy, puis des dessins, des photos, des œuvres de Kupka ou encore la maquette de la Maison cubiste présentée au Salon d’automne en 1912… Toutes ces pièces et cette documentation donnent une idée assez juste de ce qu’a été l’école de Puteaux dans le premier quart du XXe siècle, ainsi que de ce qu’ont été les liens de Kupka avec les frères Duchamp. »
« Unique en son genre » : c’est ainsi que le Musée Kampa présente l’exposition « Voisins dans l’art » qui est à découvrir sur la presqu’île éponyme jusqu’au 9 janvier prochain et dont le thème était inédit jusqu’à présent dans le pays. Jiří Pospíšil explique :
« Les auteurs présentés à l’exposition n’ont jamais été exposés en République tchèque. Nous montrons comment ce groupe de voisins et d’amis de František Kupka de Puteaux s’influençaient mutuellement et comment certains aspects de leur création se ressemblent. Aucune exposition de ce type n’a jamais été présentée auparavant en République tchèque. Il s’agit d’un autre angle de l’exploration de l’œuvre de František Kupka. »
En juin dernier, soixante ans précisément se sont écoulés depuis la mort de ce peintre, graphiste et illustrateur tchèque parmi les plus importants du XXe siècle. A cette occasion, sa ville natale d’Opočno a dévoilé sur la place Kupka un monument avec un buste de l’artiste. Une copie du monument, fruit du travail du sculpteur tchèque Marian Karel, a été offerte à la commune de Puteaux également.