Marie-Christine Vergiat : « La Tchéquie a accueilli douze personnes en 2016, c’est un peu se moquer du monde »
S’il est un sujet sur lequel l’Union européenne et la Tchéquie s’oppose, c’est bien celui des quotas pour la relocalisation des réfugiés arrivés en Grèce et en Italie, que Prague a récemment annoncé ne plus respecter. Voilà un sujet qui tient à cœur l’eurodéputée Marie-Christine Vergiat, élue sous l’étiquette Front de Gauche (groupe GUE/NGL). Nous l’avons rencontrée au bruyant bar des députés du Parlement européen, et elle n’est pas tendre avec la position adoptée par les Etats centre-européens :
Marie-Christine Vergiat, qu’est-ce que vous pensez de la décision de la Commission européenne de lancer une procédure d’infraction contre la République Tchèque, la Hongrie et la Pologne, à propos des quotas pour l´accueil des réfugiés ?
« Je me félicite de cette initiative, j’ai envie de dire : il était temps ! Parce qu’on est quasiment à la fin de la procédure et il faut rappeler que le mécanisme d’urgence était prévu pour une durée de deux ans, afin d’aider la Grèce et l’Italie a mieux faire face aux populations de réfugiés qui sont arrivées fin 2015 et début 2016. Donc les Etats membres avaient vingt-quatre mois pour mettre en route cette procédure, aujourd’hui on en est à dix-huit mille réfugiés accueillis (sur 160 000 prévus, ndlr), ce n’est quand même pas grand-chose et le moins que puisse faire la Commission, c’est de sanctionner ou d’enclencher les procédures pour sanctionner les Etats membres qui se refusent à toute solidarité en la matière. »Des pays comme la République Tchèque prétendent que le système est dysfonctionnel, parce que les réfugiés ne voudraient pas aller dans ces pays que sont la République Tchèque, la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie. Qu’est-ce que vous répondez à un tel argument ?
« Bien évidemment que leur idée c’est d’aller en Allemagne et en Grande Bretagne. Il faut aussi dire que la France n’est pas une terre d’accueil et n’est pas demandée par les réfugiés. La France est devenue un pays de transit. Mais plus on fait des efforts pour les accueillir, plus ils sentent qu’on est prêt à les accueillir et plus ils sont prêts à faire la démarche. Si on leur offre de bonnes conditions d’installations, bien évidemment qu’ils profiteront, au moins une partie d’entre eux, de ce système. Je ne crois pas que la République Tchèque ait fait la moindre proposition. Elle a fait l’effort d’accueillir douze personnes l´année dernière ! Donc c’est un peu se moquer du monde, si vous me permettez cette expression.
Que l’Union européenne, qui est la zone économique la plus riche du monde, ne soit pas capable d’ouvrir un peu ses portes aux ressortissants de ces pays qui fuient zones de guerre, zones de conflits, dictatures, c’est hallucinant quand même. Et notamment quand on est dans des anciens pays de l’Est, qui ont été très contents a une certaine époque que des pays de l’Ouest les accueillent, les acceptent quand ils fuyaient des régimes politiques où il y avait de l’oppression politique. Donc il devrait y avoir un minimum de rappel de l’histoire, que chacun se souvienne de son histoire. »
On entend souvent en République Tchèque des arguments sur le risque que constitueraient certains réfugiés en termes d’attentat. D’après vous ce sont des prétextes ? Peut-être une forme de racisme de ces pays centre-européens ou de peur de ces gens qui viennent d’outre-Méditerranée ?
« Je pense qu’effectivement ce sont des politiques qui sont racistes et xénophobes et l’ensemble des pays de l’Union s’honorerait d’avoir des politiques d’ouverture, comme on a su le faire, dans l’urgence les trois quarts du temps, par le passé. Parce que ça ne s’est quasiment jamais bien passé en réalité. Il a fallu l’urgence, la pression, mais l’histoire européenne notamment, elle est faite de ça. Elle est faite de ces ‘mobilités’, pour reprendre un vocabulaire a la mode, de ces migrations qui sont au cœur même de l’histoire européenne. Et donc ces valeurs européennes c’est aussi ça.Quant à l’amalgame entre terrorisme et migration, pour moi c’est insupportable. Ça ne veut pas dire qu’il faut ne pas se préoccuper du ressenti des citoyens européens et de tous ceux qui vivent sur le territoire européen d’ailleurs, car les victimes ont toutes les nationalités. Mais on sait que le risque zéro n’existe pas et on sait que le problème ce ne sont pas les migrants, la question c’est comment on travaille sur ces questions-là et c’est d’abord et avant tout des moyens humains. L’Union européenne met en place tout un dispositif pour repérer, pour contrôler, pour ficher… Tout ça ne sert à rien si derrière il n’y a pas de moyens humains. »
Vous me parliez des solidarités qui étaient aussi valables pour ce qui est des subventions européennes. Est-ce que vous êtes favorable à cette idée soulevée notamment par la Commission européenne de conditionner certains fonds structurels européens à l’acceptation du mécanisme de relocalisation ?
« Je pense que la solidarité européenne est un tout. Dans mon groupe politique, on n’est pas fans des sanctions. On est plutôt pour que la subsidiarité des Etats membres soit respectée mais en même temps, on ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière qui va en prime, si vous me permettez cette petite formule bien française. Ces pays, notamment la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque, sont des bénéficiaires nets des fonds européens, donc ça veut dire aussi des efforts de solidarité. On ne peut pas juste prendre ce qui nous intéresse dans l’Union européenne et ne pas vouloir du reste. Ce serait refuser d’être solidaire avec les pays qui sont en première ligne, l’Italie et la Grèce, d’ailleurs de plus en plus l’Italie que la Grèce, après cet accord, que je ne qualifierais pas, entre l’Union européenne et la Turquie. »D’une façon générale, que nous disent de la cohérence du projet européen ces groupes régionaux qui portent des intérêts particuliers, comme ce groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, Slovaquie, Tchéquie), qui soutient des politiques restrictives en termes d’accueil des réfugiés ?
« Le même groupe de Visegrád qui s’oppose à toute réforme de la directive des travailleurs détachés, le même groupe dont les ressortissants viennent travailler à l’Ouest de l’Union européenne et font concurrence aux salariés ouest-européens. Moi, je suis favorable au détachement des travailleurs et à la liberté de circulation mais là aussi c’est de la solidarité. Donc le seul moyen de réfléchir à ça, c’est d’avoir des politiques de solidarité, qui luttent contre le dumping social en l’espèce. Or les pays du groupe de Visegrád, et c'est des questions de choix, de couleurs et de discours politiques, sont favorables au dumping social et à la concurrence de tous contre tous.Notre travail, c’est de dénoncer leurs incohérences, y compris par rapport aux soi-disant valeurs européennes. Quand ils ont accepté de rentrer dans l’Union européenne ils ont accepté d’adhérer à un certain nombre de principes. Ce ne sont pas seulement les critères de Copenhague sur les questions économiques. C’est aussi les critères de Copenhague en matière de socle sur la démocratie et les droits de l’Homme. Et je crois que nous avons des programmes quasiment dans les tous les pays du groupe de Visegrád par rapport à ça. Pour moi l’Europe, elle est politique et économique et elle est très économique et pas assez politique. »