Une tapisserie des Ateliers Pinton sera installée au Parlement européen en hommage à Václav Havel
« Flying Man » - « L’Homme volant », c’est ainsi que Petr Sís, célèbre illustrateur tchèque installé aux Etats-Unis, voit Václav Havel : comme un homme qui survole Prague, son corps étant composé d’un groupe d’oiseaux. C’est d’après ce dessin de Petr Sís qu’une tapisserie géante a été créée par deux artisans français d’Aubusson. Inaugurée un an après la mort de l’ancien président, elle est exposée depuis à l’aéroport Václav Havel de Prague. Depuis quelques jours, une autre tapisserie baptisée « Flying Man II » est montrée à Prague, au centre d’art contemporain DOX. Plus petite, en format paysage, cette tapisserie a aussi été créée d’après le dessin de Petr Sís, mais cette fois par les Ateliers Pinton de Felletin, à côté d’Aubusson. En mars prochain, l’œuvre sera installée au Parlement européen à Strasbourg.
« Cette tapisserie est un globe-trotter. En août, elle avait été exposée au Musée tchèque et slovaque à Cedar Rapids, dans l’Etat d’Iowa. Elle a ensuite été présentée à New York au Bohemian National Hall. Elle y a été inaugurée le 28 septembre, à l’occasion de la Journée Václav Havel, proclamée par le maire de New York Bill de Blasio. Et voilà maintenant la tapisserie exposée à Prague. Je compte encore la montrer à Paris, avant de l’envoyer à Strasbourg. Elle sera alors exposée de façon permanente – je suis fier de le dire – dans le bâtiment Václav Havel du Parlement européen. »
La tapisserie « Flying Main II » a été créée à Felletin, dans le département de la Creuse, par les artisans des Ateliers Pinton qui perpétuent, depuis plus de 150 ans, la tradition de la tapisserie de basse-lisse. Arrière-petite-fille du fondateur de la manufacture, Félicie Ferret-Pinton nous décrit cette œuvre réalisée à partir du dessin de Petr Sís :« Nous avons essayé de faire ressortir, avec le tissage, ce personnage de manière à faire ressentir qu’il flotte dans l’air. La tapisserie est en format paysage, ce qui signifie qu’elle est beaucoup plus allongée que celle qui est exposée à l’aéroport de Prague. Les couleurs sont à peu-près les mêmes, même si l’interprétation est très différente. Chaque lissier - c’est le terme employé pour la personne qui va tisser - a une interprétation particulière de la transposition de l’œuvre de l’artiste en tapisserie. »
Votre atelier a réalisé une autre tapisserie en hommage à Nelson Mandela qui a été installée à l’aéroport du Cap et qui a également été créée à partir d’un dessin de Petr Sís.
« Oui, elle ressemble aussi à un ‘Flying man’. C’était aussi une commande de Bill Shipsey. »
Une autre tapisserie de vos artisans est consacrée à John Lennon. Elle devrait être exposée à l’aéroport de New York. Que représente-t-elle ?
« Elle ne se trouve pas à New York, puisqu’elle est actuellement en attente d’être exposée quelque part. Je crois que c’est la plus grande tapisserie que nous ayons faite pour Art for Amnesty. Elle a été une fois encore réalisée d’après un carton de Petr Sís. Elle représente un énorme ‘Yellow Submarine’, dans lequel se trouve un petit personnage, et ce personnage, c’est John Lennon. Il flotte toujours… Je crois que Petr Sís aime faire flotter ses personnages. »Depuis 1867, la manufacture Pinton réalise des tapis pour des artistes de renommée mondiale. Félicie Ferret-Pinton :
« Dans les années 1960-1980 nous avons tissé beaucoup de tapisseries d’Alexandre Calder. C’était un ami de la famille, il venait à Felletin pour choisir ses fils et ses couleurs, en fonction du dessin qu’il avait. Nous avons aussi tissé des tapisseries de Corbusier. Un de nos plus beaux projets, c’était le tissage les rideaux de l’Opéra de Sydney. Aujourd’hui, nous tissons une artiste qui a une belle cote, elle s’appelle Etel Adnan. Nous avons également tissé Ahmed Moustafa qui fait de la calligraphie arabe. Il nous a fait confiance pour faire, à partir de ses œuvres, des tapisseries gigantesques, hautes de couleurs. »Dans votre atelier, les artisans travaillent à partir de la technique traditionnelle de la tapisserie d’Aubusson. Quel est le principe de leur travail ?
« Lorsque nous recevons l’œuvre d’un artiste, nous allons en faire un carton, pour la traduire avec notre technique, pour la traduire en textile : on choisit les fils, les laines de couleur. Tout cela fait que l’on comprend l’œuvre d’une certaine manière. Les artisans travaillent sur des métiers de basse-lisse, c’est une technique qui n’a pas changé depuis 150 ans. Ils travaillent complètement manuellement. Le principe est de monter les fils de chaîne sur un métier à tisser. Il peut y avoir jusqu’à cinq personnes qui tissent en même temps. Numéroté, le carton est placé sous la tapisserie. Les lissiers suivent le carton pour pouvoir tisser la tapisserie, toujours à l’envers. Pour voir le résultat final, il faut attendre que la tapisserie soit démontée du métier. »« A côté de la tapisserie, nous réalisons aussi des tapis, ce qui a demandé que l’on retravaille notre technique de fabrication. Nous faisons des tapis tuftés main, dont le principe est d’implanter des brins de laine dans une toile, grâce à un pistolet à air comprimé. Cette technique nous permet quand même d’aller plus vite qu’avec la tapisserie qui reste un métier lent et très rigoureux. »
Quel est actuellement l’intérêt des gens pour la tapisserie ?
« La tapisserie est cyclique. Elle a très bien marché dans les années 1950-70. A cette époque-là, notre atelier vendait des tapisseries comme des petits pains. Au début des années 1990, nous avons connu une crise très importante qui était aussi à l’origine de la création de l’atelier de tapis. Depuis deux ans, les gens s’intéressent de nouveau à ce support. En tapisserie, nous avons des commandes jusqu’à la fin de l’année prochaine. Il faut que l’on embauche des gens et que l’on les forme, ce qui prend du temps… »Comment apprend-on le métier du lissier ?
« Ils sont formés chez nous. Cela met plusieurs années jusqu’à ce qu’une personne devienne compétente, efficace et performante. Pour cela, il faut environ trois ans d’expérience. »