Prague sous Charles IV : la Nouvelle-Ville, un projet ambitieux (II)
Sous le règne du roi de Bohême et empereur du Saint-Empire, Charles IV, dont on célèbre cette année les 700 ans de la naissance, Prague est devenue un vrai cœur de l’Europe centrale. Dans la dernière rubrique touristique, nous avons parlé de ses principales constructions dans la Vieille-Ville, la cathédrale Saint-Guy et le pont Charles, qui ont donné à la ville son visage caractéristique, si admiré des touristes. Mais Charles IV est responsable également de la réalisation d’un projet ambitieux qui a fait de Prague l’une des plus grandes villes de l’époque, la Nouvelle-Ville.
Prague comme un centre politique et économique
Même s’il l’a fondé officiellement en 1348, l’idée de Charles IV de créer un nouveau quartier qui agrandirait Prague et en ferait un centre économique et politique du Saint-Empire est née beaucoup plus tôt. Après plusieurs années de réflexion et de voyages dans d’autres villes européennes dont il s’inspire ensuite dans ses projets, Charles IV élabore, lors de son séjour au château de Křivoklát au printemps 1347, un document déterminant le terrain destiné à la construction de ce qui deviendra plus tard la Nouvelle-Ville de Prague. En modernisant les communes déjà existantes et en les complétant avec de nouvelles constructions, il réussit à relier le Château de Prague au château de Vyšehrad. Historienne de l’Association Otec vlasti Karel IV. (Charles IV, père de la patrie), Lucie Kodišová décrit à quoi ressemblait à l’époque cette nouvelle partie autonome de la ville :« Cette ville était très moderne. On pense même qu’elle a pu être conçue par l’architecte français Mathieu d’Arras, le constructeur de la cathédrale Saint-Guy, car cette Nouvelle-Ville représente une conception très réfléchie. Les rues sont orthogonales et très aérées et il y a de grandes places qui servaient auparavant de marchés. »
Chacun de ces trois nouveaux marchés possède à l’époque une fonction spécifique. Le plus important est le marché au bétail, l’actuelle place Charles, qui, avec une surface de 80 550 m2, devient à l’époque la plus grande place au monde. Outre cette rareté, on y trouve également le marché aux chevaux, connu plus tard comme la place Venceslas, et le marché au foin, le seul ayant gardé son nom original jusqu’à présent.La Nouvelle-Ville, une nouvelle Rome
Lucie Kodišová explique néanmoins que cette Nouvelle-Ville avait une autre spécificité qui en a fait un véritable centre :
« Nous savons que Charles IV était non seulement le roi de Bohême mais aussi l’empereur du Saint-Empire. Et puisqu’il voulait déplacer son siège officiel à Prague, il essayait de la faire ressembler à Rome, d’en faire une seconde Rome, donc une ville digne d’un’empereur. C’est la raison pour laquelle Charles IV a fondé un grand nombre d’églises et de monastères très variés, dans lesquels il a rassemblé un grand nombre d’ordres différents. »En totalité, neuf nouvelles églises et cinq monastères sont créés dans le quartier. Comme l’explique Lucie Kodišová, parmi eux figure aussi l’une des plus importantes fondations religieuses de celui qui est désigné par les Tchèques comme le « père de la patrie », le cloître bénédictin d’Emmaüs, aussi appelé le monastère des Frères slaves :
« Ce cloître d’Emmaüs a reçu ce nom car il a été consacré le jour où on lisait le texte d’évangile relatif à la rencontre du Christ avec ses disciples à Emmaüs. Ce cloître est spécifique pour plusieurs raisons, notamment parce qu’il a accueilli des moines de Croatie qui célébraient la liturgie en vieux slave, ce qui le distingue d’autres monastères et églises utilisant la liturgie en latin. »
Après l’arrivée de Cyrille et Méthode au IXe siècle, les messes célébrées dans cette langue accessible au peuple ont eu une longue tradition dans les pays tchèques, notamment au monastère de Sázava. La liturgie slave a néanmoins disparu au cours du XIe siècle après l’expulsion des moines slaves, et c’est justement Charles IV, qui la redécouvre lors de son séjour à Senj en Croatie en 1337, et réussit à la rétablir, grâce à l’accord obtenu du pape Clément VI, dans le monastère d’Emmaüs.Les historiens ignorent combien de moines sont venus grâce à l’invitation du roi et de quels monastères, ceux-ci ont néanmoins transformé ce site bénédictin en un grand centre de la littérature slave, avec une des plus grandes bibliothèques dans le pays, où se sont conservés une copie de la Bible en vieux tchèque, ainsi que quelques uniques partitions de chants slaves. C’est également dans cette bibliothèque qu’est né le fameux « Evangéliaire de Reims ». Créé en 1395 et composé de deux parties, dont une en alphabet cyrillique et l’autre en écriture glagolitique, ce « Texte du Sacre », comme il était aussi appelé, a été ensuite offert à la cathédrale de Reims et servait, selon des légendes, de livre saint sur lequel les rois de France auraient prêté serment le jour de leur sacre.
Lucie Kodišová poursuit ensuite en présentant deux autres églises dans le quartier de la Nouvelle-Ville, qu’elle considère comme importantes à l’époque :
« Il y a aussi l’église et le monastère Sainte-Catherine de l’ordre des Augustines. Cette église a été érigée grâce au rapport très personnel du Charles IV à Sainte Catherine car c’est lors de la fête de Sainte Catherine qu’il a gagné sa première bataille en Italie du Nord, près du Château de San Felice. »« L’église Notre-Dame et Charlemagne dans le quartier de Karlov est aussi très importante. Nous savons que Charles IV était un grand admirateur de l’héritage de Charlemagne. Cette église était donc censée devenir le lieu de conservation des joyaux de la couronne impériale. Ceux-ci avaient à l’époque une grande importance car les souverains étaient élus et les joyaux leur servaient ensuite comme preuve de leur légitimité. En 1350, ces joyaux ont été donc transportés à Prague en grande pompe et ont été conservés justement dans l’église Notre-Dame et Charlemagne de Karlov. »
Pour compléter le tableau des plus importants monuments sacrés érigés dans cette nouvelle partie de Prague sous le règne de Charles IV, il est nécessaire de mentionner également l’église Notre-Dame des Neiges. Commencée en 1347, seulement un jour après le couronnement de l’empereur Charles IV, l’église gothique de Notre-Dame des Neiges devait être la plus haute église de Prague, après la cathédrale Saint-Guy. Pour la bâtir, on a utilisé le bois qui avait servi précédemment à la construction d’une salle dans laquelle s’étaient déroulées les festivités solennelles liées au couronnement du nouveau souverain du Saint-Empire. L’église elle-même a été inspirée par la Sainte-Chapelle à Paris, le bâtiment ayant été de nouveau partiellement conçu, d’après ce qu’en disent les historiens, sous l’influence de Mathieu d’Arras.En raison de sa riche histoire, notamment lors des guerres hussites pendant lesquelles cette église a servi de lieu où se tenait le culte protestant, seul une partie de cette église est parvenue jusqu’à nos jours.
Charles IV et les alentours de la Nouvelle-Ville
Après la fondation de la Nouvelle-Ville, Charles IV a fait planter, dans les alentours du quartier, de nombreux vignobles et a donné ainsi naissance à ce qui est devenu plus tard le parc de Grébovka, dans le IIe arrondissement de Prague. Il s’est également engagé dans la construction de fortifications massives allant jusqu’au château de Vyšehrad. Par ailleurs, le château, et notamment son église Saints-Pierre-et-Paul, ont subi sous son règne également de nombreuses reconstruction.La Nouvelle-Ville n’a jamais oublié son créateur. A l’heure actuelle, quatre lieux rappellent ce célèbre fondateur du quartier. Ainsi, un monument de Charles IV a été dévoilé en 1848 à l’occasion du 500e anniversaire de la fondation de l’Université Charles à Křížovnické náměstí. Deux autres statues commémorent ce roi et empereur, l’une cachée derrière l’entrée à l’église Notre-Dame et Charlemagne, l’autre dans la rue Na Slupi. Enfin, les touristes peuvent découvrir une mosaïque appelée « La période du règne de Charles IV », qui est située sur l’arrêt du métro Karlovo náměstí.