Au monastère de Strahov, un collectif d’artistes rend hommage aux maîtres anciens de la peinture
Le monastère de Strahov à Prague accueille jusqu’au 26 juin prochain une exposition collective d’artistes intitulée Hommage aux maîtres anciens. Tous ces artistes font partie d’un mouvement, ou groupe, appelé Libellule, fondé par l’artiste français d’origine tchèque Lukáš Kándl. Rejetant l’art contemporain et notamment conceptuel, ces artistes aspirent tous à un retour et un renouveau de la peinture classique, à l’ancienne. Cette exposition en témoigne. Rencontre avec Lukáš Kándl.
« Le groupe Libellule existe depuis une dizaine d’années maintenant. C’est un mouvement d’artistes qui viennent de plusieurs pays d’Europe et même du monde entier. On a créé ce groupe pour rassembler des artistes travaillant avec la technicité des maîtres anciens et qui sont réceptifs à l’idée de traiter différentes thématiques que je propose chaque année afin d’organiser une première grande exposition au Grand Palais à Paris. Chaque année je propose une nouvelle thématique et le format, ou plutôt le grand format, lié à cette thématique. Et on commence dans le cadre du Salon Comparaisons et après cette exposition-là, tous les membres du groupe continuent à faire grandir cette exposition, à faire différents tableaux mais pas forcément systématiquement des grands formats. Après, cette exposition voyage dans différentes villes et pays, comme de Prague. »
A l’heure actuelle, combien d’artistes font partie de ce groupe ? Est-ce que c’est variable ?
« C’est un peu variable, mais de manière générale, on a une trentaine d’artistes dans le groupe et on a à peu près 18 nationalités différentes. C’est vraiment international, à tel point qu’on a des artistes originaires du Mexique, de Cuba et du Chili. »Pourquoi cette envie de créer ce groupe ? On imagine souvent les artistes comme des êtres solitaires…
« A vrai dire, c’est parce qu’actuellement je dirige un groupe dans le cadre du Salon Comparaisons à Paris où se trouve une trentaine de groupes de tendances artistiques différentes. Mon groupe a ce côté fantastique, onirique. On s’est dit que ce serait bien de rajouter à ce principe que nous travaillions sur une même thématique. Pour les spectateurs, visiteurs, c’est encore plus intéressant car ils voient que sur un même format et une même thématique, chaque artiste est très différent, mais en même temps très proche, car la technicité et la poésie sont semblables. »
Qu’est-ce que cela vous a apporté personnellement d’évoluer dans le groupe Libellule et de le diriger ?
« Je dirais que cela a apporté beaucoup de travail avec ma femme Françoise (rires). Mais sinon, effectivement, je trouve cela très intéressant car certains artistes du groupe n’avaient jamais fait, dans leur vie d’artiste, de tableaux aussi grands. Même si ce n’est pas immense : un tableau de 2 mètres par 1,30 mètre, ce n’est pas si grand par rapport aux maîtres anciens qui ont fait les chapelles, leurs plafonds et des tableaux de plusieurs dizaines de mètres. Personnellement, c’est la même chose : on s’impose une thématique et soudain, on se dit, ou certains artistes se disent que ce thème ne les inspire pas beaucoup… Après, il se gratte la tête pendant quinze jours, se souvient que ce sera exposé au Grand Palais, et donc il se force un peu à créer. Après s’être un peu contraint, il constate qu’il a fait quelque chose qu’il n’aurait jamais fait si ça n’avait pas été obligatoire. Puisqu’il y a une trentaine d’artistes dans le groupe et qu’au Grand Palais, il y a de la place pour environ 15-18 artistes maximum, ceux qui ne veulent vraiment pas traiter de la thématique imposée peuvent s’abstenir et participer l’année suivante. »Justement, cette exposition collective organisée au monastère de Strahov s’appelle Hommage aux maîtres anciens, que ce soit Botticelli, Cranach, Arcimboldo, Jérôme Bosch. C’est quand même assez exceptionnel que ce type d’œuvres soit exposé dans ce cadre-là…
« Oui, je trouve ça absolument formidable car on est dans un cadre qui correspond le plus aux maîtres anciens qui sont représentés. Finalement, cette thématique proposée aux artistes était assez intéressante parce que je leur ai dit : vous vous réveillez le matin, vous remontez le temps plusieurs siècles en arrière, vous visitez l’atelier d’un maître ancien que vous appréciez et vous travaillez avec lui, sous sa direction ou ensemble pour faire un tableau où on retrouve ce maître ancien et en même temps les maîtres actuels. Avec ce tableau-là, vous revenez du passé et vous le replacez dans notre époque actuelle. Je dirais que si le maître ancien choisi se réveillait, il serait positif face à cette démarche-là ! Finalement, il a réalisé le tableau qu’il n’a pas eu le temps de faire de son vivant. »Que peut-on voir précisément dans cette exposition. Présentez-nous des œuvres et parlez-nous de ce passage flambeau entre maîtres anciens et artistes actuels…
« C’est donc le fruit d’une rencontre entre maîtres anciens et artistes actuels, avec des tableaux reconnaissables pour les anciens et pour les actuels. Botticelli par exemple a été revisité plusieurs fois, par trois artistes de cette exposition, de façon assez différente à chaque fois. Kopera, un artiste polonais, a représenté la Vénus de Botticelli sous forme de sculpture en marbre mais enflammée. Une autre artiste a repris aussi le thème de cette Vénus dans son coquillage, qui flotte dans l’eau, mais entourée par des filles grassouillettes. Personnellement, j’ai souvent représenté Arcimboldo qui était un artiste de la cour de l’empereur Rodolphe II à Prague… »
D’ailleurs en 2008, vous m’aviez dit que vous auriez dû vivre à l’époque de Rodolphe II !
« Oui, et j’ai en effet rendu hommage à Arcimboldo. J’ai aussi représenté d’une certaine façon Rodolphe II par une tête ‘arcimboldesque’, mais j’en ai un deuxième, pas exposé ici, qui représente le printemps, l’automne, l’été. Bien entendu, certaines des inspirations des artistes ici sont parfois plus difficiles à reconnaître, donc il faut éventuellement regarder dans le catalogue pour décrypter. »Est-ce qu’au niveau de la technique utilisée, les artistes ont puisé dans le passé de ces anciens ?
« Oui, pour être membre du groupe, il faut avoir cette technicité-là. Car on aime bien la peinture telle qu’elle ne se pratique plus aujourd’hui… »
Déjà, la peinture figurative pour commencer…
« Figurative oui, et dans la technique qui est tout-à-fait classique. Ce n’est pas tout-à-fait la peinture officielle de nos jours, mais c’est une autre histoire. Effectivement, la technique est très importante, mais pas seulement : c’est la base, mais quand on la maîtrise, on la perfectionne. Ensuite, il y a tout le côté poésie, ésotérisme, biblique etc. qui est particulier pour chaque artiste. Je dirais que quelqu’un qui visite régulièrement nos expositions reconnaît facilement chaque artiste sans avoir à lire son nom. »
Rappelons les dates de l’exposition…
« L’exposition dure environ deux mois, jusqu’au 26 juin. J’ose espérer qu’elle aura du succès car le monastère est visité par de nombreuses personnes de passage. »