Disparition de Jan Němec, l'un des grands maîtres du cinéma tchèque
Le cinéaste Jan Němec s’est éteint le 18 mars dernier à l’âge de 79 ans des suites d’une longue maladie. Avec des films comme Les Diamants de la nuit et la Fête et ses invités au cœur des années 1960, il s’était imposé comme l’un des réalisateurs majeurs de la Nouvelle Vague du cinéma tchécoslovaque. Sa carrière a toutefois été interrompue par l’invasion de son pays par les troupes du Pacte de Varsovie, événement synonyme pour lui du début d’un long exil entre la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou encore les Etats-Unis.
Son nom n'est peut-être pas aussi connu que les Miloš Forman, Jiři Menzel et autres Věra Chytilová, dont les films incarnent souvent à l'étranger le dynamisme du cinéma tchèque des années 1960. Pourtant Jan Němec, diplômé de la FAMU comme la plupart de ses acolytes de ce mouvement informel qu’est la Nouvelle Vague tchèque, est l’un des plus remarquables représentants de ce cinéma. Il se distingue par l’originalité et la maîtrise de sa mise en scène, qualités qui percent dès son premier film que le jeune homme réalise alors qu’il n’a pas trente ans.
Les Diamants de la nuit, sorti en 1964, est une adaptation d’une nouvelle d’Arnošt Lustig. Le cinéaste filme d’un point de vue très subjectif la fuite de deux Juifs échappés d’un convoi de déportés dans la région des Sudètes. Jan Němec revendique le caractère novateur de la forme du film. Bien des années plus tard, il s’expliquera de la façon suivante :« Quand vous faites quelque chose de nouveau, vous disposez d’un gros avantage. D’abord, vous avez la liberté et ensuite, on peut difficilement vous comparer à quelqu’un d’autre. »
Cela se confirme en 1966 puisqu’il signe l’un des cinq courts-métrages de l’œuvre Les Petites perles au fond de l'eau, souvent considérée comme la profession de foi de cette génération de cinéastes. Surtout, il réalise son second long-métrage La Fête et ses invités, dont le propos est jugé si subversif par la censure du régime qu’il est tout simplement interdit. Président du pays et premier secrétaire du parti communiste, Antonín Novotný dit « tomber des nues » après visionnage du film et envisage l’arrestation de son auteur. La Fête et ses invités est pourtant projetée brièvement durant la période du Printemps de Prague et figure parmi les longs métrages favoris en compétition au festival de Cannes 1968, qui comme on le sait, pris dans la tourmente des événements de mai de cette année-là, n’aura pas lieu en raison d’un mouvement de solidarité avec les étudiants et les ouvriers en grève. Mais Jan Němec a une autre explication…« Cela a fini en débâcle, le festival n’a pas eu lieu, il n’y a pas eu de remise de prix. Pour ma part, j’affirme que cela s’explique parce que les Français n’avaient aucun bon film ! »
La consécration internationale, le cinéaste l’obtient dans des circonstances bien malheureuses puisque quelques mois plus tard, en août 1968, les troupes du Pacte de Varsovie envahissent la Tchécoslovaquie pour mettre un terme à l’expérience du Printemps de Prague. Jan Němec saisit ces heures dramatiques avec sa caméra et en tire un reportage sur l’occupation, intitulé Oratorium pour Prague, qu’il parvient à faire voir à l’étranger. Il se dit qu’un milliard de personnes auraient vu ces images…« J’ai saisi avec ma caméra tout ce qui se passait aux endroits les plus importants, c’est-à-dire, sur la place Venceslas, devant le siège du comité central du Parti communiste, sur les ponts traversés par des tanks, mais surtout ce que j’appellerais le combat pour la Radio tchécoslovaque, c’est-à-dire des chars russes, des voitures en flammes, des rafales de mitraillettes, des morts. Ce sont quatre bobines de film qui retracent la suite chronologique des événements et donnent une image vraie de ce qui s’est passé, sans montage, pour donner un effet dramatique. »
Acculé par les autorités communistes en pleine période de normalisation, Jan Němec, interdit d’exercer son métier, est contraint à un long exil. Quand il revient au pays après la Révolution de velours, vingt ans plus tard, celui que le spécialiste du cinéma tchèque Peter Hames appelle « l’enfant terrible de la Nouvelle Vague » reprend du service derrière la caméra. Son dernier film, Le Loup de Vinohrady (Vlk z Královských Vinohrad), sortira sur les écrans à titre posthume ; il s’agit d’un documentaire sur l’édition 1968 du festival de Cannes, cette édition où sa carrière aurait pu prendre un tout autre tournant.