« Mange ta grenouille » : le théâtre français contemporain se présente à Prague
Du 12 au 15 mars prochain, rendez-vous à l’espace NoD, à Prague, pour la deuxième édition du festival du théâtre français, Sněz tu žábu/Mange ta grenouille. Pour évoquer entre autres le programme, Radio Prague a rencontré deux de ses organisatrices, Natalie Preslová et Linda Dušková.
N.P. : « Oui, notre première édition s’est déroulée en mars 2015. Elle a remporté un bon succès donc on a décidé de continuer et de préparer notre deuxième édition qui va commencer dans une semaine. »
J’imagine que c’est beaucoup de travail en amont…
N.P. : « Oui, car cette année, le festival est beaucoup plus grand, il y a plus d’axes dramaturgiques… »
La première édition était un peu pour tâter le terrain j’imagine…
N.P. : « Exactement. Cette année, on a préparé un ‘off’ et c’est Linda qui s’occupe de cet espace et de cette programmation. »
Cette année, le festival est divisé en deux parties, une « in », une « off », un peu comme à Avignon sans vouloir être trop mégalo… Pourquoi ces deux parties ?
L.D. : « En fait, pour nous, ce n’est pas vraiment ‘in’ et ‘off’ comme à Avignon, où il y a une programmation principale de théâtre et une programmation à côté du ‘in’. Pour nous le programme ‘off’ veut dire plutôt que ce sont des œuvres qui ne concernent pas directement le théâtre. C’est quelque chose qui est venu naturellement avec la première édition. On s’est rendus compte que beaucoup des auteurs invités ont des doubles profils et sont aussi peintres ou photographes, en plus d’être auteur ou metteur en scène. Naturellement, on a donc commencé à réfléchir à un espace qui permettrait de partager avec les spectateurs non seulement les pièces de théâtre mais aussi des pièces radiophoniques, des courts-métrages, et d’autres types d’art. Donc c’est un programme ‘off’ théâtral. C’est vrai que c’est un changement assez essentiel par rapport à la première édition. Mais le développement du festival a été assez marqué dans le programme théâtral : l’année dernière on a traduit quatre pièces d’auteurs de théâtre français que nous avons choisis. Cette année en fait cet axe de traduction est passé par un appel à projets : on a reçu 150 textes d’auteurs français contemporains. Donc il y a eu beaucoup de travail en amont. Et on s’est dit qu’on allait être plus ouverts vis-à-vis de tous ceux qui avaient envie de participer au festival et on l’a ouvert à un large champ d’écrivains. »Avant d’en venir au programme, pouvez-vous nous rappeler comment est né ce festival ?
N.P. : « Mes collègues des études théâtrales de l’Université Charles et moi-même avons eu cette idée, mais aussi des étudiants de la Damu, l’Académie des Arts. On savait qu’il y a le Festival du film français, le Festival du théâtre allemand, beaucoup de festivals de théâtres étrangers, mais pas vraiment d’événement autour du théâtre français qui présenterait les pièces contemporaines. »
Les Tchèques ne connaissent pas trop le théâtre français contemporain ?N.P. : « Non. »
Ils connaissent quoi ? Les classiques, comme Molière ?
N.P. : « Oui, ou encore Yasmina Reza. Les pièces de boulevard aussi. Mais pas vraiment les jeunes auteurs. »
L.D. : « En plus, ce n’est pas souvent joué. Même si les pièces sont traduites, elles ne sont pas forcément choisies par les metteurs en scène tchèques. On s’est donc posé la question du choix des pièces pour que cela puisse être des types de textes qui puissent parler à la mentalité tchèque de travail théâtral. Les approches traditionnelles même dans la mise en scène ne sont pas pareilles, et la sensibilité à l’écriture est différente. »
De votre point de vue de spécialistes du théâtre, comment expliquez-vous cette méconnaissance du théâtre contemporain français ? Y a-t-il des raisons culturelles ? Les Tchèques s’intéressent-ils plus au théâtre britannique, ou allemand parce que c’est un pays voisin et plus proche culturellement ?
L.D. : « C’est difficile de répondre à cette question sans faire trop de généralités. Mais on nous pose souvent la question. C’est vrai qu’historiquement, le développement du théâtre français est basé sur la tradition de l’écriture, qui est très forte, et sur le jeu d’acteur. Même la formation à la mise en scène a été créée pour la première fois en France il y a 10 ans. Ce n’est pas du tout le cas en République tchèque, où le théâtre est vraiment basé sur la multiplicité des métiers, où il n’y a pas un métier qui serait vraiment meneur comme c’est le cas du texte et de l’acteur en France. Donc la nature du texte est très différente. Il y a moins d’action en France, c’est plus lyrique, plus philosophique. En République tchèque, on a plus tendance à l’action, comme c’est le cas en Pologne ou en Allemagne. Encore une fois, c’est une généralité, mais c’est quelque chose qu’effectivement nous avons envie de rapprocher ensemble. »
Dites-nous en un peu plus sur les espaces du festival et pourquoi ils ont été choisis ?
L.D. : « On a cherché des salles par forcément théâtrales, comme c’est le cas de l’espace NoD qui est habitué d’accueillir des artistes plastiques. Ils ont une salle de vidéo-art, une galerie. Pour nous, un espace pluridisciplinaire était très important. Grâce à cela, au NoD, nous allons à la fois utiliser une salle de théâtre principale pour y présenter les esquisses scéniques et travailler sur les discussions, et ensuite, un espace plus petit qui est aussi une salle de théâtre, mais où nous allons faire une installation un peu hybride entre une salle de projections et un espace d’expositions. On a envie d’y inviter les spectateurs pour différents points de programmation : ils pourront y regarder des petites projections vidéo, écouter des pièces radiophoniques, lire des pièces de théâtre français à disposition. Cet espace ‘off’ est d’ailleurs entièrement gratuit. On voulait s’adresser à un public un peu différent et amener les gens à s’intéresser au théâtre français à travers cet espace qui est un peu moins exigeant. »Passons au programme de l’édition 2016 : quelle est la pièce phare du festival cette année ?
N.P. : « Cette année, on a notre invité principal, l’auteur et metteur en scène, Frédéric Sonntag, avec son spectacle Lichen-Man. C’est une adaptation d’une BD française. C’est quelque chose de très intéressant pour le public tchèque. On a aussi préparé plusieurs esquisses scéniques de textes français : ce sont des metteurs en scène tchèque qui vont les présenter. »Vous organisez aussi des débats et des workshops. Quels thèmes vont être abordés ?
L.D. : « Les débats sont liés directement à ces esquisses scéniques. On les organise car un des objectifs principaux, c’est la rencontre entre hommes et femmes de théâtre tchèques et français. On invite aussi des auteurs que l’on traduit et on leur fait rencontrer leur traducteur et metteur en scène autour de ces esquisses scéniques. A l’issue de ces présentations, il y a des discussions. »
N.P. : « La première discussion s’appelle ‘Quand parler n’est pas agir’, et le but c’est de se faire rencontrer les auteurs français avec des traducteurs et metteurs en scène tchèques, de chercher des parallèles entre théâtre tchèque et théâtre français. La deuxième discussion va se dérouler le lundi, après le spectacle de Frédéric Sonntag, autour de son spectacle, de la BD, et de l’adaptation de la BD au théâtre. »Comment on finance un festival comme celui-ci ?
N.P. : « Il faut remercier l’Institut français de Prague qui nous soutient cette année encore, puis la ville de Prague, le ministère de la Culture et le Fonds national pour la culture de République tchèque. Puis, on a aussi réalisé une campagne de crowdfunding… »
C’est un nouveau modèle de financement, en effet, le crowdfunding. De plus en plus de projets fonctionnent grâce à cela, grâce à la générosité des anonymes et des gens qui ont envie de soutenir la culture…
L.D. : « Oui, c’est sûr. Nous avons demandé un tout petit montant par rapport au budget général, 50 000 couronnes. Mais c’est très important. »On rappelle les dates du festival…
N.P. : « Du 12 au 15 mars. »
Bonne chance et peut-être à l’an prochain pour une 3e édition.