« Mange ta grenouille » : l’ennui au cœur du festival du théâtre français
Des représentations de pièces françaises contemporaines, des rencontres avec des auteurs français, des traducteurs et des artistes tchèques et différents autres événements autour du théâtre : on peut trouver tout cela au menu du festival du théâtre français « Mange ta grenouille » (« Sněz tu žábu »), dont la troisième édition débute ce jeudi et se poursuit jusqu’à dimanche au Studio Alta à Prague. Radio Prague a rencontré deux de ses organisatrices, Natálie Preslová et Linda Dušková. Avant de parler de la programmation du festival, Linda est revenue sur l’évolution de cette manifestation, désormais bien implantée en République tchèque :
Enfin, contrairement aux éditions précédentes, nous avons cette année divisé le programme en trois parties que nous appelons ‘ántré’, ‘degustace’ et ‘banket’. Les deux premières sont gratuites. Nous avons décidé de faire cette division en raison des différents objectifs que nous avons vis-à-vis des différents publics. ‘Antré’ est donc destiné surtout aux professionnels et aux rencontres avec des auteurs français, ‘degustace’ propose un espace pour l’expérimentation où nous croisons le théâtre avec différents types d’art et ‘banket’ est la ligne principale qui consiste en la création de nouvelles traductions de pièces françaises contemporaines et leur mise en scène par les artistes tchèques. »
Pour cette édition, les organisateurs ont invité également une compagnie française, Le Cabinet de curiosités, avec leur spectacle, « Le Projet Ennui », qui sera présenté jeudi soir en français avec des sous-titres tchèques. Nous écoutons son metteur en scène, Guillaume Cantillon :
« C’est venu d’une blague avec Franck Magis avec qui j’ai écrit le spectacle. C’était une blague sur l’ennui qui revenait souvent depuis des années, qu’on s’ennuyait beaucoup, qu’il ne se passait rien dans nos vies… Nous nous sommes demandés ce qui pourrait être le pire truc à faire au théâtre. Un truc sur l’ennui parce qu’on constate que le théâtre est un lieu où l’on s’ennuie beaucoup. Il est rare qu’on sorte d’un spectacle en étant vraiment heureux…en tout cas pour moi. Après, nous avons écrit une partie du spectacle et nous avons récolté des textes à droite et à gauche sur internet, dans des forums, chez des auteurs, dans des BD. Nous nous sommes pris au jeu et nous nous sommes dits que c’était vraiment intéressant d’explorer toutes les formes d’ennui possibles : aussi bien l’ennui tel qu’on peut le vivre au quotidien lorsqu’il ne se passe rien mais aussi l’ennui qui peut conduire à la maladie mentale, à la neurasthénie, au suicide.Nous en sommes arrivés à parler de choses telles la télévision qui essayent de remplir des espaces pour éviter absolument l’ennui. Et puis, nous avons abordé le côté philosophie et métaphysique de l’ennuie jusqu’à la création du monde. On dit qu’au début lorsqu’il y avait le néant, il n’y avait rien. On devait donc beaucoup s’ennuyer. Mais tout à coup, il y a eu le ‘Big Bang’ et il s’est passé plein de choses. Nous sommes donc partis du principe que l’ennui pouvait être quelque chose de fertile, qu’il pouvait donner naissance à des choses. Le principe du spectacle est de partir de rien et de voir comment de ce ‘rien’ peut naître du théâtre, de la tension, du rire…
C’est la première fois que je vais jouer devant un public qui ne connait pas la langue. C’est très étrange. Je suis très curieux de l’expérience à vivre en direct. Mais je me dis que dans le spectacle il y a des moments avec beaucoup de texte et d’autres où il y en a très peu, où les choses se vivent par le silence, par le temps et physiquement sur le plateau par les corps, donc j’espère que cela parlera au spectateur. »Natálie et Linda ont rencontré les créateurs du spectacle l’an dernier au festival d’Avignon. Elles expliquent :
Natálie : « Nous nous sommes dits qu’il s’agissait d’un spectacle qui pourrait intéresser le public tchèque. La poétique et le style du spectacle sont assez accessibles et le niveau de langue n’est pas très difficile non plus. »
Linda : « Et l’humour ressemble à l’humour tchèque. »
Cinq autres pièces françaises de dramaturges contemporains, tels que Catherine Zambon, Pauline Peyrade ou Matéi Visniec, figurent cette année au programme du festival, toutes présentées par des artistes tchèques et sous-titrées en français. Leurs auteurs sont également les bienvenus à Prague :
Linda : « Il est très important pour nous d’inviter les auteurs des pièces et de créer des collaborations et des rencontres entre les auteurs et les metteurs en scène. Nous avons envie de présenter des pièces qui n’ont jamais été traduites ni montés en Tchéquie. Nous nous disons que peut-être quelqu’un va ensuite les choisir pour les monter ou, au moins, que cela va permettre des rencontres entre les traducteurs et les auteurs. »
Natálie : « Et les auteurs peuvent aussi rencontrer les directeurs de différents théâtres pragois, comme des théâtres Letí, Strašnice ou Alta. »
« Mange ta grenouille » n’est pourtant pas orienté seulement vers les représentations théâtrales. De nombreuses discussions, lectures scéniques, projections ou concerts se tiennent tout au long du festival, ainsi que des expérimentations artistiques, dont par exemple le projet « Korespondence » (« Correspondance ») :
Linda : « ‘Korespondence’ est un concept d’une traduction intuitive entre un acteur et performeur tchèque et une actrice française. Ils s’échangent depuis plusieurs semaines des lettres audio mais ni l’un ni l’autre ne comprennent la langue de l’autre. Ils le font dans l’anonymat. A la base de ces lettres, ils vont créer chacun une performance selon ce qu’ils ont compris de ce que l’autre leur racontait. Cela va donc être une grosse expérimentation, présentée dimanche après-midi. Nous sommes très curieux de voir ce que cela va donner. »
Pour plus d’informations sur la programmation : http://sneztuzabu.cz/