Le festival de théâtre Mange ta grenouille, incarnation des relations artistiques franco-tchèques

Mange ta grenouille

Faire découvrir au public tchèque la jeune création théâtrale française. Tel est l’objectif du festival pragois Mange ta grenouille qui, depuis l’an dernier, propose également l’équivalent près de Paris, avec une présentation, cette fois, du théâtre tchèque. Radio Prague s’est entretenue avec plusieurs membres de l’équipe du festival, dont la directrice Natálie Preslová et la cheffe de la programmation Linda Dušková. Jacques Joseph, traducteur et un des responsables de la programmation, a commencé par tirer un bilan des cinq premières années du festival qui se déroule du 10 au 12 mai au Studio Alta.

Mange ta grenouille
Jacques Joseph : « On a fait venir cinq créations de pièces françaises, on a traduit trente-cinq textes dramatiques en tchèque, que l’on a présentés sous forme d’esquisses scéniques réalisées par des metteurs en scène et acteurs tchèques. On a fait venir plus de quatre-vingt artistes de toutes sortes : metteurs en scène, comédiens, musiciens, scénographes et autres. Et surtout, on a réussi à créer un festival parallèle en France, ‘Fais un saut à Prague’. Donc ça, c’est à peu près ce qui en est des chiffres. Pour ce qui est d’un bilan émotionnel, ce serait peut-être plutôt à vous de dire quelque chose ! »

Linda Dušková : « J’ajouterai quand même quelque chose concernant les chiffres : on a réussi à faire réaliser sept de ces pièces traduites à la fois à la radio et au théâtre sur les scènes tchèques. Parce que c’est vraiment notre mission principale : amener les textes français contemporains et les présenter à des metteurs en scène tchèques, les faire réaliser en République tchèque. C’est quelque chose que nous avons vraiment réussi à construire aux cours des cinq années précédentes parce que les metteurs en scène ont pris l’habitude de nous contacter quand ils cherchent un texte contemporain français. Ils nous demandent : ‘Est-ce que vous avez un texte pour un couple de personnes, un monologue pour une femme ?’, etc. Je suis vraiment fière de nous, du fait qu’on soit capables de répondre à toutes ces demandes, parce qu’on lit tous les ans une énorme quantité de textes : déjà dans l’appel à textes, on en reçoit 130 à peu près, dont on choisit tous les ans entre deux et cinq. Mais à côté, nous continuons à suivre les auteurs que nous avons déjà invités à Prague auparavant, on lit leurs nouveaux textes. On s’intéresse aussi aux autres appels à textes français et on en lit les textes lauréats. C’est quelque chose que l’on peut vraiment constater : nous avons réussi à créer une petite institution des relations franco-tchèques, qui se modélise, ou s’affirme encore plus avec la création de ce festival qui est donc soit réalisé à Prague, soit en France, et où nous avons déjà réalisé deux résidences d’artistes tchèques au sein d’Anis Gras à côté de Paris. Nous continuons à créer ces liens entre les artistes français à Prague et les tchèques en France. »

TIMON/TITUS,  photo: ©Mathieu-Gervaise / Sněz tu žábu

Pour revenir à Prague, où va se dérouler le festival du théâtre français, pourriez-vous présenter la mise en scène principale de cette année ?

Natálie Preslová : « C’est un spectacle intitulé TIMON/TITUS d’un collectif d’acteurs ayant travaillé avec le metteur en scène David Czesienski. C’est un spectacle monté à partir de deux textes de Shakespeare, Timon d’Athènes et Titus Andronicus. Les textes ont été réécrits et aussi retransformés en quelque chose d’autre, dans une création collective sur le thème de la dette. »

Autre chose au cœur de ce festival cette année : l’adolescence est un thème phare de la nouvelle édition de « Mange ta grenouille »…

Zuzana Burianová,  photo: ČT
JJ : « Dans le cadre de l’appel à textes, on a reçu un grand nombre de textes où on retrouvait en rôle principal des personnages adolescents, mais qui ne se destinaient pas, à l’origine, à un public adolescent. Cela nous a paru intéressant, l’adolescent en rôle principal dans des textes pour adultes. Parmi ces textes, on en a choisi trois pour faire ce qu’on appelle les « Mises en bouche fraîches », c’est-à-dire une collection d’extraits de textes qu’on va présenter sous forme de lectures scéniques mises en scène par Zuzana Burianová. Comme chaque année, une discussion suivra cette présentation et sera centrée sur le même sujet : le rôle de la présentation des personnages adolescents dans les textes pour adultes, quel rôle ils peuvent avoir, comment cela change l’optique ou la perception du texte, comment ils peuvent approcher des problèmes auxquels tout le monde doit faire face, et ainsi de suite. »

LD : « C’est quelque chose que je trouve d’assez curieux, qui n’arrête pas de me fasciner dans le monde du théâtre, à savoir que tous les ans il y a un sujet qui ressort le plus de ces appels à textes, sans qu’on aille le chercher. Et c’est surtout parce que notre appel à textes est vraiment ouvert à tous, donc tout le monde peut nous envoyer des pièces. Ce ne sont pas des sélections d’auteurs renommés, mais c’est ouvert à tous ceux qui veulent nous envoyer un texte. On les lit tous, il faut juste qu’ils ne datent pas de plus de cinq ans. Et tous les ans, on constate qu’il y a un sujet qui émerge plus fortement de ce paquet de 120, 130 textes. Quand il y a eu les attentats de Paris, c’était forcément le sujet de la terreur, ce qui était assez naturel puisqu’il y avait une sorte de trauma qu’il fallait dépasser par l’écriture. Mais l’année suivante, il y a eu un sujet, une sorte de texto-thérapie qui a émergé, et nous avons d’un coup reçu beaucoup de textes qui traitaient de sujets personnels, d’abus, de choses intimes et très délicates. Nous nous sommes posé la question : ‘Quand est-ce que c’est un journal intime et quand est-ce que cela devient de l’art ?’ Et cette année, il y a eu un nombre assez signifiant de textes qui mettent l’adolescent au sein d’un problème mondial, d’un problème grave, comme si on s’était rendu compte d’un coup qu’il faut se fier à cette génération. Quand nous, les adultes, nous n’arrivons pas à résoudre des problèmes mondiaux, on va voir comment les adolescents s’y confrontent. »

Pour continuer sur le programme de cette année, vous avez d’autres événements qui sont à la croisée du théâtre, notamment un rendez-vous qui m’intéressait particulièrement, sur une correspondance franco-tchèque anonyme…

LD : « C’est un projet que nous avons déjà mis en œuvre il y a deux éditions de cela, on ne l’avait pas fait l’année dernière mais cette année, on y est revenus. L’idée, c’est qu’on invite deux auteures, actrices, performeuses, bref, quelqu’un qui est à l’aise avec l’écriture. Cette année, c’est une écrivaine dramaturge anonyme et une écrivaine dramaturge actrice tchèque anonyme, une Française et une Tchèque, et elles s’échangent des lettres sonores. Ce qu’on leur demande, c’est de s’adresser à l’autre comme si c’était un ami que l’on a envie de connaître. Il y a aussi des règles spécifiques que nous avons ajoutées cette année, mais le principe de la correspondance, c’est une sorte de compréhension intuitive, de traduction intuitive : comment vais-je m’approprier la langue de l’autre alors que je n’y comprends rien ? Elles n’ont pas le droit d’aller chercher dans le dictionnaire, d’aller sur Google Traduction ou de demander à un ami, elles doivent vraiment essayer de se comprendre mutuellement. »

Décrit de cette manière, j’ai du mal exactement me le représenter, mais cela me fait presque penser à un cadavre exquis sonore…

LD : « C’est un peu comme ça sauf que les cadavres exquis sont assez courts, j’imagine, alors que là c’est une vraie correspondance. C’est assez intéressant parce que le thème de la correspondance lie vraiment la France et la Tchéquie depuis très longtemps. Par exemple, je pense à la correspondance entre Jan Kolář et son amante française, à Paris. Il y a eu vraiment beaucoup de correspondances entre les artistes français et tchèques dans l’Histoire. C’est donc plus dans cette vague-là, où on essaie de faire faire connaissance à deux personnes qui ne connaissent pas, à travers des lettres et dans leurs langues respectives. »

Vous faites aussi venir cette année la directrice du centre culturel Anis Gras à Arcueil, qui accueille votre festival du théâtre tchèque en France. Quel sera son rôle ici au festival à Prague ? Que va-t-elle présenter en République tchèque ?

« Nous avons demandé à Catherine Leconte de préparer un master-class destiné aux professionnels, quoique cela peut intéresser notre public aussi. Mais l’idée est que Catherine transmette sa façon de faire, parce qu’elle est vraiment unique même en France. Anis Gras est un espace, un lieu très organique et sans maître. Catherine est effectivement une directrice mais elle ne se présente pas ainsi : sa philosophie est très organique : tous les ans, elle accueille en résidence énormément d’artistes de différents domaines sans forcément choisir en fonction de la qualité. Il y a aussi l’envie de choisir un amateur ou quelqu’un qui a envie de faire du théâtre ou de peindre un tableau sans forcément juger de ce qu’il a fait auparavant. Son idée est de donner sa chance à tout le monde sans faire forcément de choix. C’est un peu un raccourci, mais c’est une approche qui est très spécifique en France. Je pense que cela va être intéressant qu’elle nous parle de sa manière de gérer un lieu très organique comme elle le fait en France. »

Le centre culturel Anis Gras à Arcueil,  photo: Google Maps

On ne peut pas parler de tout ce qui se passe durant le festival, qui a un programme complet sur trois jours, maos dites-nous quelques mots sur les ateliers…

NP : « On propose cette année plusieurs ateliers : les deux premiers sont un vendredi, ce sont des ateliers de langue tchèque et française pour les débutants. On veut juste donner à notre public quelques phrases, quelques règles pour pouvoir parler avec nos invités français. Puis c’est l’atelier de Catherine Leconte. A la fin, on a un atelier de Janek Lesák, metteur en scène et scénariste, auteur. C’est un atelier d’écriture créative pour le théâtre. »

Pour terminer, la deuxième édition du festival du théâtre tchèque se déroulera à Arcueil en septembre. On ne va pas en parler de manière très longue parce que je pense qu’on aura le temps de se revoir entre-temps. C’est une bonne nouvelle, on s’était rencontrés l’an dernier pour en parler, c’était la première édition, c’est une bonne nouvelle : il y a une deuxième édition, qui est beaucoup plus importante que la première, cela signifie qu’elle s’est bien passée, j’imagine.

LD : « Oui, tout à fait, nous avons réussi à programmer et élargir cette deuxième édition qui va avoir lieu entre le 26 et le 29 septembre à l’espace Anis Gras. Cette année, contrairement à l’édition précédente où nous avons amené surtout des pièces de théâtre et des auteurs tchèques que nous avons présentés sous forme d’esquisses scéniques suivies d’une performance, on va amener deux spectacles tchèques pour présenter un peu ce qui se fait en République tchèque dans le théâtre. Cela va être le spectacle Hédonistes mis en scène par Jan Mikulášek du théâtre Na zábradlí, et Le Journal d’un voleur de la compagnie Masopust. »

http://sneztuzabu.cz/