En Alsace, les pains d’épices en dentelle de Markéta Mačudová rappellent les Noëls tchèques
En ce 24 décembre, où toutes les familles tchèques réveillonnent, Radio Prague vous propose de découvrir une tradition tchèque de Noël qui perdure encore aujourd’hui, et même s’exporte ! En Alsace, région où les fêtes de Noël sont ô combien importantes, une Tchèque, Markéta Mačudová a décidé de faire découvrir la tradition du pain d’épices de son pays d’origine. Le résultat : des petits bijoux ornementés qui évoquent la broderie ou la dentelle. Dans sa région d’adoption, elle a réussi à se faire remarquer grâce à son art, alors même que l’Alsace a une longue tradition de fabrication du pain d’épices. Mais c’est bel et bien parce que les pains d’épices de Markéta Mačudová sont des pièces uniques et le fruit d’une dextérité et d’une créativité toute personnelle, qu’il est impossible de ne pas admirer son travail.
« Je suis arrivée en Alsace en 2006. C’était par amour. Cela fait pratiquement dix ans que j’y vis. Plus précisément je viens de Moravie du Nord, du côté des montagnes Jeseník. En Alsace, j’ai continué de pratiquer les traditions de chez moi. Cela veut dire la pâtisserie, ou encore les petits fours qu’on appelle ‘bredele’ en Alsace et qui sont des petits gâteaux de Noël, et bien sûr, le pain d’épices ! »
Vous venez de la région montagneuse des Jeseník pour vous retrouver en Alsace qui est aussi une belle région de montagnes. Cela devait être agréable de vous retrouver dans un paysage similaire à celui que vous avez quitté…
« Oui, j’ai été époustouflée par la beauté de l’Alsace. Déjà, l’architecture y est magnifique. Le caractère des gens m’a surprise : j’ai été très bien accueillie. Beaucoup de monde m’a aidée au tout début quand je me suis lancée dans mon activité, notamment pour les premiers marchés. Les gens portaient par exemple des cartons et faisaient pleins de petites choses pour moi. »
Vous avez senti une vraie solidarité…« Oui, et ça a l’air tout à fait normal ici. Et ça me rappelle chez moi. »
Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans la confection de ces pains d’épices qui sont quand même des petits œuvres d’art en soi ? C’était une façon de faire le lien entre votre pays d’origine et votre pays d’adoption ?
« C’est surtout que c’est créatif ! Comme j’ai toujours aimé dessiner, peindre, ça me plaisait. Et puis c’est une tradition. Et j’aimais l’idée de transposer un peu de culture tchèque en Alsace. Ça plaît beaucoup d’ailleurs. Tous les compliments que j’ai reçus sur mon travail m’ont encouragée à continuer, à en faire de plus beaux. J’ai donc développé de nouvelles techniques. »
Vous avez adapté un artisanat traditionnel tchèque à l’époque moderne ?
« Je ne sais pas si c’est un artisanat d’art qui remonte à si longtemps. Mais ce qui est bien, c’est que l’Alsace est une grande région de pain d’épices. Ce n’était pas nouveau donc. Je suis donc bien en Alsace parce qu’on connaît le pain d’épices. Le mien est différent, plus sophistiqué, mais il n’y a pas meilleure région pour fabriquer des pains d’épices. »Justement, c’est aussi une région où Noël, comme en République tchèque, est la fête de l’année importante. On peut penser à Strasbourg, auto-désignée capitale de Noël. C’est un point commun important entre la Tchéquie et l’Alsace…
« Tout-à-fait. Avec tous les marchés de Noël, à Strasbourg, Colmar, ou les plus petits à la campagne, c’est un lieu idéal. Le pain d’épices fait vraiment Noël en plus. Cela dit, personnellement, je travaille toute l’année, pas uniquement pour Noël. Mais c’est évidemment ma plus grande saison de l’année. »
Revenons concrètement à la fabrication du pain d’épices. Racontez-moi les différentes étapes de sa fabrication…Comment travaillez-vous ?« On commence par la préparation des ingrédients, par la pâte qui doit se reposer. »
De quel type de pâte s’agit-il ?
« Il y a bien sûr de la farine, du sucre, des œufs, beaucoup de miel, du bicarbonate de soude et un peu de cacao pour donner sa couleur au pain d’épices. Et puis bien sûr des épices ! Il y a entre huit et neuf épices différentes dans mon pain d’épices. La préparation est assez longue, car la pâte doit être vraiment parfaite. J’en fait en grande quantité, par exemple 5 kg de pâte que je subdivise ensuite en petites quantités avant de les congeler. Je sors ensuite ce dont j’ai besoin. La cuisson est aussi très importante. Il faut bien travailler la pâte avant. »
Quelle doit être sa texture ?
« Elle doit garder sa forme quand on la pose, elle doit avoir la température du corps humain. Elle colle un peu sur les mains, donc il faut mettre un peu de farine sur le plan de travail. On étale, on découpe avec les différentes formes. La cuisson est importante aussi car il y a une certaine température où le pain d’épices gonfle, prend sa forme. Pour les pains d’épices de taille moyenne, ça dure entre sept et huit minutes sur 200 degrés. On sort tout de suite du four et on badigeonne avec l’œuf entier battu. Avant de le décorer, le pain d’épices doit se reposer au moins une journée. »
A partir de quoi est faite cette décoration blanche ? Cela fait un beau contraste entre le blanc et la couleur sombre du pain d’épices.
« Cela porte un nom, ça s’appelle glace royale. C’est un mélange de blanc d’œuf, de sucre glace et de jus de citron. Avec le temps, j’ai évité le jus de citron parce que ça change la texture. C’était surtout pour le goût. Personnellement, je ne mets que du blanc d’œuf et du sucre glace. J’ai le coefficient suivant : sur un gramme de blanc d’œuf, j’ai 5,3 grammes de sucre glace. C’est un coefficient parfait pour ce que je fais. Je mets tout dans mon robot et je bats pendant une bonne dizaine, quinzaine de minutes. Cela fait une masse comme de la neige que je mets dans les poches à douille. Je les fabrique moi-même : c’est un sachet de congélation soudé en forme de cornet. D’habitude j’ai entre quatre et cinq poches à douille pour décorer un pain d’épices parce qu’il y a différentes textures. Il y a la texture de base, la texture moyenne où j’ajoute quelques gouttes d’eau pour créer des petits fils en sucre. Le fil qui sort de la poche à douille ne se coupe pas au milieu, on peut tirer et poser les traits directement sur le pain d’épices. Après, la troisième texture est la plus liquide, c’est pour remplir les surfaces blanches. Bien sûr, on peut aussi rajouter des colorants alimentaires. L’épaisseur des fils est aussi différente selon la façon dont je coupe l’embout de la poche à douille. »Ce qui est intéressant, c’est que vous le faites vraiment à l’ancienne comme en République tchèque, avec le petit sachet de plastique. Je sais qu’il existe des poches à douille préfabriquées que l’on peut acheter pour faire de la pâtisserie.
« Ce n’est pas la même finesse, car les embouts sont déjà faits. Je tamise mon sucre avec le tamis fait maison, fabriqué par mon père. C’est un vieux tamis qu’on a récupéré et à la place de la grille, on a mis de l’organza. Il n’y a donc aucun grain de sucre qui passe à travers. Ce qui fait que je peux vraiment couper très fin l’embout de la pochette. »Cela donne donc ces ornementations incroyables qu’on peut voir d’ailleurs sur une vidéo sur youtube. Vous êtes une dentellière du pain d’épices. Comment les gens ont réagi les premières fois où ils ont vu votre travail ?
« La première réaction c’est toujours : qu’est-ce c’est ? De quelle matière s’agit-il ? J’explique toujours évidemment. C’est vrai que c’est la finesse qui est admirée et appréciée. Il faut bien expliquer que tout est fait main. Tout le monde ne s’en rend pas compte. Souvent les gens croient qu’il s’agit de dentelle collée dessus ou que j’utilise des pochoirs. Je peux vous dire que j’ai essayé et ça ne donne pas du tout le même effet et la même finesse. Et surtout l’effet trois D ne peut pas être réalisé avec un pochoir. »
Vous disiez que Noël était votre grosse période. Mais on peut voir sur votre site internet que vous faites des pains d’épices pour toutes sortes d’occasions, les mariages, les baptêmes…
« L’année commence avec la Saint-Valentin, ensuite il y a Pâques, la deuxième plus grande saison de l’année pour moi. Ensuite il y a la Fête des Mères, les baptêmes, les mariages. J’ai au moins une cinquantaine de pièces à faire par mariage. C’est aussi une période où je suis très occupée. Mais dès l’été, je commence à produire pour Noël. Pour moi, Noël, c’est au marché de Noël à Colmar et il faut beaucoup de pièces car il est très réputé. Je commence au mois de juillet à préparer la pâte, je la congèle. La cuisson se fait déjà en août, ce qui n’est pas toujours très agréable avec les chaleurs. »A part les marchés, quels sont vos autres débouchés ? D’autres boutiques ou des envois par correspondance ?
« Oui, je me déplace sur différentes expositions. Je suis très présente à des expositions sur la broderie, même avec de l’alimentaire. Les gens comparent souvent mes pains d’épices à la broderie, et c’est vrai que je m’en inspire aussi. J’ai deux, trois grandes expositions de ce type par an. Ensuite il y a les marchés de Noël, de Pâques. Sinon, on peut aussi commander par mail ou par téléphone. Les pains d’épices peuvent être expédiés dans toute la France, toute l’Europe ou le reste du monde. »
Est-ce que vous maintenez les traditions tchèques de Noël avec votre fils, comme par exemple la carpe de Noël ?
« Bien sûr, je continue ces traditions. Mais avec le marché de Noël qui commence en novembre, c’est difficile. J’ai beaucoup d’aide de mes parents qui viennent tous les ans garder le petit pendant la période du marché. Donc c’est plutôt eux qui permettent de poursuivre ces traditions. Ma mère s’occupe de préparer les petits gâteaux de Noël. »Finalement vous n’êtes pas trop dépaysée en Alsace par rapport à la République tchèque. Quels points communs trouvez-vous ?
« Je trouve qu’il y a beaucoup points communs, pas toujours évidents à formuler. Il y a le caractère des gens qui est très proche, c’est d’ailleurs pour cela que je me sens bien en Alsace. Parmi les points communs, il y a la nourriture, la charcuterie, la choucroute qui existe différemment en République tchèque, la bière, le pain d’épices, le vin blanc, et les petits gâteaux de Noël. Comme en République tchèque, il y a beaucoup de fêtes de villages, des marchés artisanaux… »
On est en plein dans la période de Noël. Que me conseillez-vous d’acheter comme pains d’épices de votre confection ?
« Surtout des petites choses pour décorer la table de Noël. Des petites attentions comme des étoiles quadrillées et bien sûr il faut les manger ! »
Il y a des gens qui ne mangent pas vos pains d’épices ?
« Je dirais que 99% de mes clients ne les mangent pas. Ils disent que c’est dommage de croquer dedans, qu’ils veulent les garder. Evidemment, c’est possible, on peut le garder comme décoration pendant des années. »Il faut que vous leur montriez l’exemple et que vous croquiez dedans !
« Alors là, je ne vendrais pas grand-chose ! »