En Alsace, Markéta Mačudová confectionne des pains d’épices comme des broderies
En République tchèque, les nombreuses traditions de Noël sont encore très vivantes dans la plupart des familles. Parmi celles qui ont trait à la gastronomie, les pains d’épices décorés occupent une place particulière pendant toute la période de l’Avent notamment. Cette tradition, Markéta Mačudová l’a importée en Alsace, où elle vit depuis une quinzaine d’années. Sa dextérité dans l’ornement délicat de ces pâtisseries aux saveurs épicées l’ont faite connaître dans toute la région, aux traditions de Noël également très importantes, mais aussi au-delà. Notre émission spéciale du 24 décembre lui est dédiée.
Markéta Mačudová, bonjour. Nous nous étions rencontrées en 2015 pour parler de votre art de la décoration des pains d'épices selon la tradition tchèque. Un art que vous exercez à Colmar, en Alsace. Comment ça va depuis ? Qu'est-ce qui a changé ou évolué depuis notre rencontre, en-dehors de la pandémie évidemment, sur laquelle nous reviendrons…
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« Bonjour depuis Colmar ! Rien n’a trop changé. Sauf peut-être que je me déplace moins, je reste plus en Alsace pour les expositions. J’ai aussi essayé de nouvelles techniques de décoration… »
De quoi s’agit-il exactement ?
« C’est vraiment très spécial : je viens d’essayer une technique de décoration au stylo-plume. Cela veut dire que je dilue le colorant alimentaire dans de l’alcool et je dessine directement à la plume sur le pain d’épices décoré au sucre blanc. Cela fait un effet de peinture ! La deuxième technique, c’est le côté transparent : je dilue le glaçage avec de l’eau en le mettant sur le pain d’épices avec un pinceau. Cela donne un effet de transparence, comme un voile. Cela donne un aspect très doux. »
Donc cela produit un effet plus dentelle que la technique habituelle ?
« Dentelle, tissu, soie, oui… Chacun y voit quelque chose d’autre. Les gens comparent à différents tissus. Pour la technique au stylo-plume, on m’a dit que cela ressemblait à la céramique hollandaise de Delft. »
Comme tout le monde, évidemment, vous êtes concernée par la pandémie de coronavirus. Est-ce que cela a changé quelque chose dans votre activité sachant qu’en fait vous travaillez depuis chez vous en temps normal ?
« Au niveau de la production, non, ça n’a pas changé grand-chose car mon atelier est chez moi à la maison. Mais depuis trois ans, j’ai un petit show-room en bas de la maison. C’est là où j’accueille d’ordinaire mes clients. Pendant le confinement tout était fermé : on n’avait pas le droit d’accueillir des clients dans le magasin. Après le déconfinement c’était mieux, mais les gens restent très réservés sur les visites. Ils ont peur… Avant Noël ça allait mieux. Par contre j’ai beaucoup développé le réseau Facebook. J’avais déjà pas mal d’amis avant, donc j’ai utilisé ce réseau pour promouvoir mes tous derniers modèles, dire aux gens qu’ils pouvaient venir les acheter chez moi ou faire du ‘click and collect’ grâce aux commandes en ligne. Mais cela ne remplace évidemment jamais un marché de Noël, comme celui de Colmar où je suis d’ordinaire tous les ans. »
D'ordinaire, c'est en effet pendant la période des marchés de Noël que vous avez l'occasion de présenter en personne aussi votre artisanat : les marchés de Noël ayant été annulés cette année, n’était-ce pas compliqué au niveau des débouchés ? Ou alors vous avez une clientèle bien établie pour que cela n’ait pas trop d’impact sur les ventes de pains d’épices ?
« C’est vrai que cela fait 11 ans que j’ai ma société. J’ai des clients fidèles qui me trouvent, soit par correspondance, soit ici en Alsace. Mais le problème, c’est qu’on ne touche pas les touristes qui nous trouvent par hasard. Le marché de Noël de Colmar peut accueillir jusqu’à 2 millions de personnes pendant toute la période de l’Avent. Là, on n’a aucun moyen d’aller chercher ces gens-là. Même Facebook n’a pas cette capacité. Le marché de Noël de Colmar me manque vraiment, à cause du contact humain, expliquer la technique, écouter les gens, discuter avec eux. C’est ce qui me manque le plus. »
Vous fabriquez des pains d'épices toute l'année, pour Pâques, les mariages, les baptêmes, mais évidemment Noël est la grande période de l'année pour vous. Comment avez-vous envisagé les fêtes de fin d’année dans le contexte sanitaire ?
« Normalement, ma production commence déjà fin juin : faire la pâte et la congeler en petites quantités. Au mois de juillet, je commence avec la cuisson, la décoration etc. Le temps de conservation du pain d’épices étant assez long, je peux me permettre de commencer en juillet. En effet, cette année, j’ai arrêté la production une fois qu’on a commencé à parler du deuxième confinement. Normalement, pour le marché de Noël, je fabrique 5 000 pièces. Au 8 décembre, j’en étais à 2 500 pièces, donc j’essaye de les vendre via Facebook et Instagram. Tout est plus compliqué. Les envois fonctionnent bien, mais faire de petits paquets, c’est très long ! Il faut vraiment s’adapter aux nouvelles conditions, répondre aux nombreuses questions des clients par SMS, par mail. Ça prend beaucoup de temps. »
Par exemple, pour faire 5 000 pièces, quelles sont les quantités d’ingrédients dont vous avez besoin ?
« Une boule de pâte, une portion, pèse 2,5 kilos. Avec ceci, je fais une centaine de pièces moyennes : des étoiles, des anges etc. Pour cela j’ai besoin d’1 kg de farine, 6 œufs, du bicarbonate de soude et tout ce qu’on met encore dedans : du miel, du sucre etc. »
Est-ce qu'avec le temps vous avez l'impression d'avoir évolué dans votre pratique ? Ou êtes-vous arrivée à un point de maîtrise de votre artisanat ?
« J’ai déjà amélioré ma technique il y a longtemps. Je travaille beaucoup plus rapidement si je travaille en série. Dans la journée, j’essaye de faire toujours le même motif parce que cela me permet d’utiliser les mêmes outils, les mêmes pochettes, les mêmes couleurs… Le geste est aussi plus rapide si je fais toujours les mêmes dessins. Mais c’est moins amusant donc au bout de la vingtième pièce, je fais autre chose avant d’y revenir. C’est vrai que c’est beaucoup plus efficace. De temps en temps, je dois faire des pièces personnalisées, donc je les inclus dans la production habituelle ce qui change l’ordinaire. Mais c’est sûr, si vous me voyiez maintenant et ce que je faisais il y a 10 ans, il y a une grande différence ! »
Vous me disiez à l'époque que les gens souvent achètent vos œuvres, mais n'osent pas les manger... c'est toujours le cas ?
« C’est toujours le cas ! Ceux qui n’osent pas, ce sont les enfants et les hommes. Mais ne demandez pas pourquoi ! »
Quel est votre Noël idéal ? Comment passez-vous les fêtes de fin d’année qui sont très importantes en République tchèque mais aussi en Alsace ?
« C’est vrai qu’au bout de 15 ans en France, les traditions se sont un peu mélangées. Mais la base qui reste c’est le sapin, les petits gâteaux de Noël. L’Alsace ressemble un peu à ma région natale, donc c’est plus facile. Le Noël idéal, c’est en famille à discuter, partager et passer du temps ensemble. »
Dans le sud de l’Alsace, le Sundgau, la carpe frite est une spécialité locale à déguster toute l’année. Il est donc possible d’en trouver à Noël aussi. Est-ce que vous mangez aussi de la carpe comme le font les Tchèques le 24 décembre ?
« Non ! On a toujours du poisson à Noël, mais ça n’a jamais été de la carpe. Je ne saurais pas vous dire pourquoi ! Ma mère n’en faisait pas, mais elle préparait de la truite panée, de la salade de pommes de terre typique de chez nous. On avait aussi des escalopes panées de porc. On avait toujours le choix. Il y avait aussi une soupe de petits pois. »
Il est de coutume de faire des vœux à la fin de l'année, quel seront les vôtres pour l'année 2021 ?
« Tout d'abord, qu’on se retrouve tous dans de meilleures circonstances l’année prochaine. J’espère que la situation actuelle va prendre fin ! Mais sinon, mes vœux sont toujours les mêmes : que tout le monde soit en bonne santé et heureux. »