Festival de Jihlava : le projet DOC.STREAM rassemble cinéastes tchèques et suisses
Le Festival international du film documentaire de Jihlava, organisé depuis maintenant 19 ans, a été cette année particulièrement riche sur le plan de la coopération professionnelle entre cinéastes de la République tchèque et de différents pays européens. Ainsi, la Norvège, l’Ukraine, la France et la Suisse étaient représentées pour la première édition d’une nouvelle initiative intitulée DOC.STREAM, qui vise à développer un dialogue international et à faciliter le partage des expériences et des savoir-faire.
Il s’agit aussi bien d’une coopération d’étudiants pour le quatrième pays participant au projet cette année, la Suisse.
Directeur du Département Cinéma de la Haute école d’art et de design de Genève, Jean Perret, qui a également été à la tête du festival Vision du Réel de Nyon, explique l’importance de ces échanges internationaux :
« Je pense qu’il y a deux aspects principaux qui guident ces rencontres et qui en motivent l’organisation. La première raison est d’échanger, de comprendre ce que font les autres pour enrichir notre propre pratique et nos propres engagements dans le cinéma. La deuxième chose, qui est bien sûr liée à la première, c’est que l’on constate des différences qui sont parfois très importantes. Ces différences, il ne s’agit pas de les nier ou de les recouvrir mais d’en prendre acte pour nous comprendre et éventuellement de construire à partir de là des projets communs. Donc des projets communs, ce n’est jamais devenir les mêmes mais de jouer les différences. »
En quoi consiste cet échange d’expériences quant à la production de films documentaires en République tchèque et en Suisse et quelles sont les différences qui se manifestent dans la création des deux pays ?
« Je pense qu’il y a un type d’échange d’ordre artistique et intellectuel qui nous permet de voir comment on aborde les problèmes, les questions ou l’histoire dans la tradition de la création du cinéma documentaire en Suisse et en République tchèque. Il y a des histoires très différentes. La Suisse n’a pas connu le système communiste comme c’est le cas de la Tchéquie. Le rapport du cinéma à son passé, à son histoire, à sa mémoire collective et individuelle est donc aujourd’hui très différent en Suisse et ici. Ces différences sont pour nous très intéressantes et nous permettent de comprendre comment rendre compte d’une identité d’aujourd’hui, riche du passé et en même temps projetée dans les utopies, dans l’avenir. Donc cela représente une différence et une richesse.D’autre part, il y a une tradition ‘auteuriste’ dans le documentaire tchèque et tchécoslovaque qui est très riche et qui fait qu’il y a une parenté, une fraternité spontanée puisqu’en Suisse, le cinéma documentaire est un cinéma de création, un cinéma d’auteur. Il a d’ailleurs souvent plus de succès dans les salles de cinéma que le cinéma de fiction. On est donc dans une même famille de sensibilité de création. Le documentaire n’est pas un genre secondaire, c’est un vrai cinéma au sens plein du terme au cœur du cinéma, aussi bien en République tchèque qu’en Suisse.
Puis bien sûr, il y a aujourd’hui des difficultés de production, de mise en circulation et de diffusion. Et c’est pour cette raison qu’un festival, comme celui de Jihlava ou le festival Vision du Réel de Nyon, sont des plaques tournantes qui sont dans le réseau et qui, grâce à leurs engagements, permettent aux films de mieux circuler. Mais la circulation des films, des longs métrages en particulier, est très difficile dans les salles de cinéma et à la télévision. Même si dans les salles de cinéma en Suisse, on a assez souvent des films documentaires. Je pense que l’on en a beaucoup plus qu’il y en a ici. Cela peut donc être une expérience ou un engagement intéressant pour la République tchèque de dire ‘on peut voir des films documentaires de long métrage suisses et étrangers dans les salles de cinéma’. »
Comment est alors née cette idée de lancer une coopération entre la Suisse et la République tchèque ?
« C’est une initiative du festival de Jihlava, il valait donc mieux en parler avec son directeur Marek Hovorka et son équipe. Comme vous le savez, ce festival est un festival important dans l’est de l’Europe, le plus important sans doute aujourd’hui. Mais ce festival n’a d’importance que s’il est en relation, en réseau avec toute l’Europe de l’Ouest, dont je viens, dont la Suisse vient. Un festival de cinéma a plusieurs vertus. L’une des vertus, c’est de faire exister un réseau de collaborations et d’échanges. Je pense que ces échanges DOC.STREAM font partie de cette ambition du festival de Jihlava d’être en réseau. »Le projet DOC.STREAM devrait fonctionner également comme un échange entre les universités, et plus précisément entre le Département Cinéma de la Haute école d’art et de design de Genève dont vous êtes directeur et la FAMU, l’école de cinéma pragoise. Ainsi, sept films de vos étudiants sont projetés cette année à Jihlava et à l’inverse, les étudiants tchèques présenteront quelques films au festival Vision du Réel à Nyon en avril 2016. Que peut-on voir à Jihlava et quels étaient les critères pour la sélection des films ?
« Les critères sont simples et difficiles. Il s’agit d’un côté de ne pas choisir trop de films et d’un autre côté de montrer la diversité de la création entre des films tournés chez nous, en Suisse, et à l’étranger car on a des films tournés au Japon ou en Colombie, mais aussi la diversité des films qui sont dans ce geste d’hybridation entre le documentaire et la fiction. On aime bien repenser les rapports entre le documentaire et la fiction. On essaie de dépasser les limites académiques pour être dans ce qu’on appelle le cinéma du réel. La diversité se montre également par la présence de films courts ainsi que de films longs, des approches différentes, des origines culturelles différentes car on a des cinéastes suisses, un cinéaste colombien, un cinéaste d’origine japonaise… Donc, je pense que le maître-mot, c’est la diversité. »
Cette année, c’est la première édition de cette coopération même si vous êtes déjà un habitué du festival de Jihlava. Peut-on s’attendre à une suite et envisagez-vous d’élargir ce projet, par exemple, à d’autres écoles en Suisse ?
« La Suisse, c’est la Suisse allemande et la Suisse française. Ce n’est que la Suisse française qui participe à ce projet pour l’instant. Ouvrir cela à toute la Suisse ? Pourquoi pas. On connaît nos collègues à Zurich, à Luzern… Mais c’est moins de notre responsabilité que de celle des personnes qui organisent le projet.En ce qui concerne la coopération entre la HEAD à Genève et la FAMU, on a organisé une collaboration, il y a déjà trois ans. Nous avons fait venir des monteurs et des monteuses de la FAMU pour travailler sur nos films de diplôme. Et nous venons de discuter et de décider avec le directeur de la FAMU de relancer cette coopération et d’accueillir à Genève, aux mois d’avril et de mai, des étudiants en montage de la FAMU qui vont de nouveau venir travailler, pour leurs crédits à eux, sur des films de diplôme de nos étudiants. Donc, le lien est passionnant puisque la FAMU est une grande école d’une réputation magnifique et qui tient toujours ses promesses et nous ne sommes qu’un département. Je pense, que ce sont des échanges très concrets qui sont le fruit de ces rencontres ici.
Vous savez, dans les écoles de cinéma, l’un de nos boulots quotidiens, c’est d’essayer d’être inventif, d’inventer des choses, d’avoir de nouveaux projets. Et venant ici, cela a été l’occasion de voir de nouveaux projets, de relancer, de discuter, d’affirmer qui nous sommes, de résister aussi peut-être à l’endroit du tout-venant audiovisuel, donc, de se sentir en famille, de se sentir dans un cercle. On est moins seul en voyageant. Et en étant ici, à Jihlava, on a le sentiment de faire partie d’une famille, d’une congrégation, d’un ensemble des gens qui, sur des voies très différentes et selon des traditions très différentes, s’engagent à ce que le cinéma reste une façon de comprendre le monde, de comprendre qui nous sommes, d’essayer de comprendre qui sont les autres et, même si le monde va généralement très mal, de croire quand même en quelques utopies. »