« L’Institut français de Prague a un rôle d’accompagnement et de conseil qu’il faut valoriser »
Radio Prague a accueilli dans ses studios cette semaine, Alexandre Pajon, le tout nouvel attaché culturel à l’Institut français de Prague. Quels sont ses objectifs, comment voit-il l’évolution et l’avenir de l’IFP. De tout cela et de bien d’autres sujets encore, il en sera question dans cet entretien.
« Familier non, mais j’étais déjà venu il y a une vingtaine d’années dans le cadre d’une mission de coopération éducative. Je suis partagé entre mon tropisme pour le soleil et mon attachement intellectuel pour tout l’environnement de l’Europe centrale. Prague est un univers intellectuel, musical et artistique qui m’est cher depuis longtemps. Je suis germanophone et historien de formation : je suis attaché à l’histoire de l’empire austro-hongrois. Effectivement, ma vie balance, de part et d’autre de la Méditerranée en fonction de cela. Mon attachement à la culture méditerranéenne d’une part, et à la vie intellectuelle du nord. Il se trouve qu’au bout d’un certain temps dans le nord, j’ai un peu froid et je redescends au sud ! »
Vous êtes en poste à Prague depuis un mois, j’imagine que vous avez pris vos marques progressivement… Quelles sont les choses qui vous ont séduit pour l’heure ici, vingt ans après votre première visite ?
« Ce qui m’a énormément surpris, c’est l’emprise touristique qui était réelle à l’époque mais qui aujourd’hui a pris des proportions incroyables. Dans un premier temps, je suis dit : ‘c’est un parc à thème’. Heureusement, dans mon travail, je rencontre très vite des gens qui me conduisent à l’écart du flux, et me permettent de rencontrer une vie intellectuelle, artistique et culturelle extrêmement intense et beaucoup moins conformiste qu’on ne pourrait le craindre. Effectivement, entre le festival 4+4 dny v pohybu, Jatka78, et la jeune scène, ça bouge. Comme j’aime beaucoup Berlin, comme j’ai beaucoup travaillé en Allemagne de l’Est avant et après, il y a des allures de scènes intellectuelles et artistiques qui ne me sont pas inconnues et je suis heureux de les retrouver. »Comment percevez-vous les relations franco-tchèques à l’heure actuelle, et en particulier dans le domaine culturel ?
« Avant de venir j’ai essayé de ramasser toutes les informations, toutes les notes rédigées par mes prédécesseurs ou mes collaborateurs. On m’avait dit, pour le domaine des arts plastiques, que la scène en art contemporain n’est pas vraiment tournée vers ce qui se passe en France. Or, j’arrive ici, il y a une exposition au Rudolfinum qui présente Louise Bourgeois. Il y a Eric Beaudelaire, Renaud Rerez. En l’espace de quelques jours, je vois plein de jeunes artistes qui représentent bien cette scène, des vidéastes etc., et qui sont là. Je m’aperçois qu’il y a une relation institutionnec/kultura/ifp_kino35lle, diplomatique, classique : les relations entre la France et la République tchèque sont solides, anciennes, mais nous ne sommes ni les premiers partenaires commerciaux, ni politiques. Mais je remarque que contrairement à ce qu’on a pu me dire, il y a une curiosité d’une partie de la scène, notamment dans le domaine de la musique ancienne, musique baroque, art contemporain, pour ce qui se passe ailleurs en Europe et en France en particulier, qui est ancienne et qui a tendance à se consolider. Cela se fait en fonction de relations réticulaires, des réseaux qui n’ont pas besoin de passer par la case ambassade ou par la recherche de subventions. Ces artistes, finalement, sont proches les uns des autres. Dans un pays où l’anglais a pris une place aussi importante, les artistes français qui ne sont pas attachés au territoire de manière définitive, bougent. Les artistes tchèques bougent aussi. Et finalement, on est vraiment dans l’ère de la relation globalisée. »
La France est pourtant souvent connue en Tchéquie souvent à travers quelques clichés : la bonne gastronomie, Paris, la Côte d’Azur, le savoir-vivre à la française… Comment un peu casser ces clichés et faire en sorte que la France d’aujourd’hui soit mieux connue pour ce qu’elle est en République tchèque.
« Les stéréotypes font partie des codes de communication. Les Britanniques, avec Tony Blair, ont décidé à un moment donné de définir un ‘brand’, un ‘british brand’ et le gouvernement Blair et ses spin-doctors a tout mis en œuvre pour consolider les stéréotypes. Et je m’aperçois qu’en matière de communication, la question n’est pas de casser les stéréotypes, mais de jouer avec, de ne pas en être esclave, de les détourner. Faire un festival Louis de Funès par exemple, n’est pas ce qui va renouveler l’image de la France, mais si on le fait avec des commentaires à l’appui, avec un minimum de dérision et qu’on s’amuse avec Louis de Funès, comme un élément de notre patrimoine, alors pourquoi pas ? »Inversement, côté français, comment voit-on la République tchèque ? On a parfois l’impression que vu de France, on la connaît surtout par ses sportifs et par le fait qu’au sein de l’UE, elle joue un peu les trublions…
« C’est pire que cela. C’est presque un non-sujet. On en parle comme un lieu de villégiature. C’est la ville d’Europe charmante, où l’on va en vacances. Mais on ne parle pas de politique… Qu’au sein du groupe de Visegrad, une politique ait été adoptée en matière de migration, quelques un vont y penser, mais la majorité va évoquer ses vacances, de la musique à Prague… Là, il y a manifestement une image véhiculée par le tourisme de masse. Après, derrière ce stéréotype, il y a une part de vérité, puisqu’il y a trois salles quand même qui proposent des opéras de manière hebdomadaire. J’ai d’ailleurs connu cela à Berlin après la chute du mur. On a la même chose ici. Or on a un pays d’11 millions d’habitants contre 80 millions en Allemagne. Cela prouve une densité de musiciens au mètre carré qui est impressionnante. Donc il n’y a pas qu’un stéréotype, il y a aussi une réalité. »
Il y a quelques années, l’Institut français de Prague a connu de gros changements en lien avec des réductions budgétaires. Il y a eu des réductions de personnel assez importantes notamment. Est-ce qu’on peut dire que cette période est close ?
« Il ne faut jamais jurer de rien. On avait beaucoup investi après la révolution de velours en Europe centrale, pour préparer la construction européenne. Ce choix a supposé des investissements. Vingt ans plus tard, les priorités vont être au Maghreb ou en Extrême-Orient. Les moyens injectés ici ont été mis ailleurs, car on doit faire des choix. Il a donc fallu réduire la voilure. En même temps, il y a autre chose : un Institut français dans une ville européenne stabilisée n’est pas un opérateur. On n’a pas à se substituer aux organisateurs responsables de la programmation de grands théâtres et festivals. On est là pour accompagner. Aujourd’hui, avec un effectif réduit et une certaine professionnalisation des métiers, on est dans ces nouvelles fonctions. Mais en effet, on a changé de nature d’action : on n’est plus dans la reconquête, dans une démarche avec une volonté d’être opérateur. On est plus dans la coopération. Dans cet Institut qui a été entièrement rénové sur le plan immobilier, de l’équipement, de la numérisation, on a un outil qui devrait nous permettre de mener à bien cela. A condition que les moyens soient mis en œuvre de manière cohérente et visible. En fait, on continue à beaucoup travailler mais ça ne se sait pas. Le problème majeur n’est pas simplement la question des investissements culturels, mais de la valorisation de ceux-ci. Il faut donc agir de manière précise, cohérente et dans le même temps, mener à bien un travail de valorisation. C’est mon travail. »Il y a une dizaine d’années, l’IFP était vraiment le lieu francophone où se déroulaient beaucoup d’événements, avec des lectures, des rencontres etc. Ces dernières années, peut-être en raison des restrictions budgétaires, on a le sentiment ici à Prague, que l’IFP est avant tout un centre d’apprentissage du français, et que les activités principales se résument au Kino 35 et au Festival du film français. Je vois bien, d’après le programme, qu’il y a aussi d’autres petits événements, mais cela s’est beaucoup réduit.« En fait, la salle de cinéma, celle où on accueillait des conférences et des acticités, est devenue une salle de cinéma professionnelle avec plus de 150 films par an, donc elle n’est accessible pour un spectacle que le lundi soir. A partir du moment où on a une salle de cinéma qui répond au label européen des cinémas d’art et d’essai, on ne peut plus en faire autre chose. Donc le choix a été fait de mettre l’accent sur le cinéma, pendant le festival et pendant toute l’année. Mais cela, on ne le sait pas assez. En ce qui concerne les autres activités, comme on n’est plus opérateur, on va les faire hors les murs. L’idée, c’est que nous avons un cœur d’activités réel à l’IFP, mais qui n’est pas assez visible faute de communication. Et nous avons beaucoup d’activités en dehors. Il y a eu la Quadriennale cette année, on a été très présents à Plzeň avec le cirque. Il va falloir qu’on se développe un peu plus en musique actuelle. Mais les concerts vont se faire là où il y a les installations pour le faire. L’IFP est plus dans un rôle de facilitateur, d’accompagnement, de conseil, par exemple pour la levée de fonds, mais pas dans les mêmes proportions qu’avant. On ne peut plus être ceux qui vont mettre en scène un opéra… Ce n’est pas notre métier. Mais ceci dit, l’outil est bien, je le découvre entièrement rénové. C’est vrai que les effectifs ont été réduits et on ne peut pas trop aller plus loin. Mais les équipes sont professionnelles, c’est évident. »
Quels objectifs vous êtes-vous fixés pour votre mission pragoise ?
« Dans un premier temps, prendre la température et essayer de comprendre, de voir quelle est la cohérence d’ensemble. On va choisir des axes forts autour du cinéma, du débat d’idées, avec une nuit de la philosophie l’année prochaine. Mon principal souci, c’est un travail de mise en cohérence. Je ne vais pas arriver ici pour favoriser une rupture. Il s’agit d’aller plus loin dans la cohérence et surtout vos questions témoignent de la difficulté que nous avons à faire entendre notre discours. On a besoin de changer d’image, et ne pas être seulement des perdants ou des has-been. On a besoin de montrer qu’on est dynamiques, qu’on croit à ce que l’on fait. Il faut avoir une capacité de séduction et d’attraction. Ensuite sur la programmation, on va avancer aussi. »D’ici la fin de l’année, plusieurs rendez-vous attendent l’IFP, dont le Festival du film français. Quels sont les temps forts des derniers mois de l’année 2015 ?
« Le 3 novembre et le 3 décembre, on va avoir des débats sur le numérique qu’on organise avec l’Université Charles. Philippe Jaroussky va de nouveau venir donner un concert, cette fois dans la Salle espagnole du Château de Prague. En musique actuelle, Isaac Delusion va venir à Prague. Il y aura aussi toute une série de concerts de musiques du monde. Nos axes sont les suivants pour la fin de l’année : les débats d’idée, la musique et la scène vivante, le cinéma. Il y a bien d’autres choses, mais il ne faut pas que le regard soit dispersé. Je ne suis pas persuadé que la dispersion soit la meilleure stratégie pour faire passer un message. »