Régime communiste et démocratisation de la science
« Věda jde k lidu ! », littéralement « La Science va vers le peuple ! » en français, c’est le titre d’un ouvrage publié en 2014 par l’historienne Doubravka Olšáková. La chercheuse s’est intéressée aux moyens mis en œuvre par le régime communiste pour développer la science et pour en assurer la vulgarisation. Une politique dont le peuple tchèque porte encore les traces ainsi qu’elle le développe au micro de Radio Prague.
La volonté du pouvoir communiste d’utiliser la science au service de l’idéologique naît à quel moment ? Quelle a été l’influence du modèle soviétique ?
« En ce qui concerne la démocratisation de la science ou bien des connaissances scientifiques, cela provient intégralement du marxisme-léninisme. Dans les livres de Marx et d’Engels, vous pouvez trouver l’idée qu’il faut que les ouvriers apprennent comment utiliser la science parce que la science facilite la vie. Il y a tout d’abord cet aspect philosophique. Ensuite il était important pour le régime de conserver des chercheurs qui possédaient des connaissances uniques. Il s’agissait surtout de techniciens parce que la technique était la plus importante pour le développement de la nation et de l’Etat. Mais il s’agissait aussi de biologistes, de spécialistes dans le domaine de la chimie organique, etc. Là, il fallait trouver un moyen de rendre la science intéressante pour les nouvelles élites créées par le régime communiste mais aussi pour les gens auxquels on voulait faire comprendre que la science est très importante.
L’inspiration est venue de l’Union soviétique. C’était une inspiration générale et intégrale basée sur le principe de la centralisation. Avant 1939, il existait des académies pour les ouvriers, qui travaillaient sur des cours pour comprendre les principes biologiques, etc. Il existait des académies pour les socialistes, qui recevaient le soir des cours de chimie, des cours techniques, etc. Mais il n’existait pas de modèle centralisé. Ce modèle est arrivé de l’Union soviétique avec des experts tchèques qui ont été à Moscou pour apprendre comment faire. Ils sont revenus en Tchécoslovaquie et ils ont fondé cette société qui s’appelait « Společnost pro šíření politických a vědeckých znalostí » (Société pour la diffusion des connaissances politiques et scientifiques). »Comment fonctionnait cette institution ?
« Cela fonctionnait comme toutes les organisations dans un régime totalitaire. C’est-à-dire qu’il existait un comité central responsable de tout ce qui se faisait dans la société. Ce comité ne donnait pas seulement un agenda pratique mais également l’agenda idéologique. Il définissait des priorités. Par exemple dans les années 1950, il y a une priorité qui concernait l’athéisme scientifique. On a fait des plans, des projets pour diffuser l’athéisme scientifique dans la société. On a défini des cours à donner dans les régions, les départements, les villes. Il y a avait ensuite un système hiérarchique, des comités, des commissions, qui ont travaillé avec ces projets et qui étaient responsables de leur réalisation. »
Comment cette ambition de démocratisation de la science se manifeste-t-elle dans la culture populaire ? Vous avez pris notamment l’exemple du film d’animation « Cesta do pravěku » de Karel Zeman (« Voyage dans la préhistoire », sorti en 1955)…
« C’était surtout grâce à l’aide des chercheurs, des paléontologues, qui ont travaillé sur leur domaine, sur leur projet, mais qui ont interprété leurs conclusions, un peu, je ne dirais pas totalement, à l’aide de l’idéologie. Vous avez mentionné ce film « Cesta do pravěku », c’était très populaire, très connu. Il faut regarder les conclusions scientifiques de ce film. A la fin, on voit un groupe de quatre garçons qui sont arrivés au bord de la mer et qui voit des trilobites et qui se disent que cela correspond au début du monde. Nous voyons que ce n’est pas un dieu qui reste là-haut, mais que c’est dans l’eau que la vie est née. C’était très important car dans la société tchèque après 1948, il existait toujours un groupe très important de gens qui croyaient en Dieu.Grâce à ce film, grâce à la culture populaire, il était possible d’éduquer des enfants. Un autre aspect était bien sûr l’utilisation de la radio. Il existait des cours, on appelait ça « université radiophonique » (« rozhlasová univerzita »), où on invitait des spécialistes de géologie, de l’astronomie, etc. On y donnait des cours, par exemple de géophysique. On a aussi utilisé des revues pour la jeunesse, où des rubriques ont été créées, par exemple sur le progrès scientifique dans tel ou tel domaine. Il s’agissait vraiment d’une stratégie très bien développée, gérée, et qui a eu, d’après moi, un impact énorme sur la société à cette époque. »
Vous avez mentionné le fait que dans les années 1950, l’une des priorités était d’aller vers l’athéisme scientifique. Comment ont évolué ces priorités ?
« Au début des années 1950, on voit que le plus important, c’est l’idéologie. C’était le principal souci du comité central. Dans les années 1960, la situation change. On voit que c’est plutôt la technique. On voit les interactions de la nature et de la technique. Il y a le lancement du satellite Spoutnik en 1957. C’est la technique qui est au centre de l’attention. Dans les années 1970, du fait de la crise de la distribution des biens de consommation, du fait de la crise de la production, on voit que la priorité va toujours à la technique mais également à la chimie et aux autres disciplines qui étaient importantes voire vitales pour le fonctionnement du régime au niveau du fonctionnement économique. Dans les années 1980, c’est très intéressant parce qu’on voit tout un coup un retour de la nature, avec l’éducation de la société en ce qui concerne principalement la protection de l’environnement. »