Ondřej Adámek : « En musique, j’aime que le public ressente quelque chose de vital » (I)
A 36 ans, Ondřej Adámek est un jeune compositeur reconnu hors des frontières de son pays d’origine. Son talent est très vite repéré, et dès le plus jeune âge, il se forme au Conservatoire de Prague, avant de voler vers d’autres horizons, à Paris, où il étudie au Conservatoire national supérieur qui parachève sa formation. Représentant de la nouvelle musique contemporaine, il a travaillé comme chef d’orchestre avec de grandes formations comme l’Ensemble Modern, l’Orchestre national de Lille. En 2008, sa pièce symphonique Endless Steps a été interprétée par l’orchestre de l’académie de Lucerne sous la direction de Pierre Boulez, rien que ça… Il est aussi le créateur d’un instrument de musique un peu particulier, appelé Airmachine. Radio Prague vous propose la première partie d’un entretien réalisé avec Ondřej Adámek, lors de son passage à Prague.
« Je suis très content d’avoir pu vivre dans plusieurs pays. J’ai vécu huit ans en France, ensuite deux ans en Espagne et quatre ans à Berlin. Entretemps, j’ai aussi passé une année à Rome. Je trouve que pour un artiste, ou un compositeur, c’est bien de voir des environnements différents, des tendances différentes, pour toujours se renouveler. Et puis j’ai aussi fait ses séjours un peu plus courts, comme en Afrique ou au Japon. Cela peut aussi devenir une source d’inspiration pour une ou plusieurs pièces. Même en musique, j’aime beaucoup celle d’autres cultures. J’ai souvent l’idée d’un pays à travers sa musique traditionnelle. Je trouve que c’est bien de bouger mentalement, physiquement pour ne pas rester dans un seul environnement. »
Nous pourrons revenir plus longuement tout à l’heure sur vos influences, mais avant cela, j’aimerais vous demander d’où vient à l’origine votre envie de composer de la musique ? Quel est votre cheminement vers la composition ?
« J’ai commencé avec la musique à huit ans avec des cours de piano. Très vite, j’ai eu envie de composer. J’ai toujours plus improvisé que joué des gammes, des études. Déjà à dix ans, je prenais une partition, j’écrivais des clés et peut-être le premier accord d’un opéra qui n’a jamais abouti. A treize-quatorze ans, j’ai réussi à finir mes premières pièces de piano dans une tonalité un peu libre, ou une ‘atonalité’ libre. A quinze ans, j’étais au Conservatoire de Prague en tant qu’étudiant en composition. J’ai découvert la percussion, la voix, la direction d’orchestre. Petit à petit, je me suis ouvert à la musique d’autres cultures. J’ai découvert des instruments comme le sitar, le didgeridoo, que j’ai commencé à acheter et à jouer. A vingt ans, je suis arrivé à Paris en tant qu’étudiant Erasmus et j’ai étudié au Conservatoire national supérieur de Paris. Là, je me suis perfectionné dans la discipline : musique électro-acoustique, composition, travail avec des ensembles instrumentaux, direction d’orchestre. Je suis devenu discipliné, professionnel, car l’ambiance était très studieuse… »
Est-ce que vous venez d’une famille de musiciens ?
« Oui, mon père est musicien plus amateur. Il joue du piano et chante dans une chorale. Ma mère est mélomane. Et mon oncle était compositeur dans un style dodécaphonique. »Il y a quand même un atavisme familial…
« Oui. Les arts plastiques sont également très présents. Ma grand-mère était peintre, ma mère a des périodes d’activité plastique. »
Vous êtes né à Prague, c’est là que vous avez commencé à étudier la musique. On sait que les pays tchèques ont une grande tradition musicale, on dit souvent « tel tchèque, tel musicien ». Cet héritage, est-ce que vous le portez en vous, est-ce qu’il vous influence ?
« Un jour, quand j’étais étudiant à Paris, j’étais dans mon studio avec des amis musiciens qui venaient chacun d’un autre pays. J’ai lancé, comme une blague : ‘Allez, chacun va chanter un chant populaire de son pays. J’ai commencé avec un chant morave. Puis, mon ami de Barcelone a entonné un chant catalan. Et les Français n’étaient pas capables. Ça m’a choqué ! Il y avait une franco-arménienne qui a dit qu’elle allait ramener un disque. Mais ce n’était pas ça l’idée ! Je suis donc très reconnaissant qu’on ait autant chanté à l’école primaire, au Conservatoire de Prague. Pour moi, c’est l’essentiel que doit savoir un musicien : savoir chanter, pouvoir jouer un rythme. En Tchéquie, quand j’étais dans les cours de solfège, j’étais souvent le meilleur de la classe, et souvent j’étais libéré des cours car j’avais l’oreille presque absolue. En France, quand j’ai voulu être étudiant de la classe de direction d’orchestre, ce n’était pas du tout suffisant. Je n’arrivais pas à faire des dictées de dépistage de fautes, à entendre des micro-intervalles comme tous les Français. Je vois que c’est très différent. D’un côté je suis très content de savoir faire de la musique spontanément, de pouvoir chanter. D’un autre côté, chez les Français, il manque cette spontanéité, mais ils sont plus entraînés, ce qui permet un travail beaucoup plus rapide. »
Suivez-vous ce qui se passe sur la scène musicale tchèque ?
« Oui, il y a mes camarades de classe qui sont devenus professeurs à l’Académie de musique, des gens qui travaillent à la radio, il y a l’Orchestre Berg. Il y a donc de petites sources d’énergie de la nouvelle musique qui me font plaisir et que je suis. En même temps, je n’ai pas trop de contacts pour des projets car ma musique est difficilement jouable en Tchéquie car elle nécessite beaucoup de répétitions et beaucoup d’instruments. »C’est difficile à jouer parce que le public n’y est pas préparé ou parce qu’il n’y a pas de volonté de s’y intéresser ?
« Il y a la volonté et le public, mais c’est difficile d’avoir les conditions idéales dont j’ai besoin pour ne pas être déçu. »
Ces conditions, vous les trouvez où ?
« En France, en Allemagne, en Suisse, aux Etats-Unis. Ça existe. Par exemple, avoir beaucoup de percussions, beaucoup de gongs accordés, c’est déjà difficile en Allemagne. En France, c’est sans problème. Mais en Tchéquie ce ne serait pas possible. »
Pour quelqu’un qui ne connaît pas votre travail, ou pour qui la musique contemporaine est quelque chose d’inconnu, comment pourrait-on décrire votre manière d’appréhender la musique ?
« J’aime beaucoup le rythme, la pulsation, l’énergie, utiliser les instruments classiques pour que ça ‘sonne’, qu’ils créent une énergie tout aussi acoustique que perceptive. J’aime bien m’adresser au public de manière directe afin qu’il ressente quelque chose de vital, de dramatique. J’aime faire de grands contrastes. J’essaye d’exprimer chaque idée de manière tellement exagérée que malgré des obstacles tels que l’acoustique de la salle, la non-préparation des musiciens ou du public, quelque chose reste quand même et parle aux gens. »
C’est une approche de la musique très physique…
« On peut dire cela. Physique, et en même temps poétique. J’aime bien chercher des nouvelles couleurs par des modes de jeux instrumentaux spécifiques, ou par l’harmonie. Je travaille beaucoup avec la voix ces dernières années, avec des chœurs, des ensembles vocaux, souvent accompagnés avec des orchestres ou bien a capella avec des chanteurs solistes. J’aime bien mélanger les langues. Je reviens à l’utilisation du tchèque qui est très intéressant. »
Intéressant pourquoi ?
« La phonétique est assez riche et percussive. Les Tchèques ont une capacité à prononcer les choses rapidement. Et puis, pour moi, c’est plus facile, plus accessible. Je sais immédiatement quel est le bon rythme. J’ai fait une pièce autour de Polednice, un poème que tout le monde connaît en Tchéquie, de Karel Jaromír Erben. Ça m’a fait plaisir de travailler sur un texte pareil, même si c’était aussi un défi. »
(Suite et fin de cet entretien la semaine prochaine)