La Tchécoslovaquie au seuil du régime totalitaire
La carrière de Jaroslav Šedivý a été longue et riche. Né en 1929, il travaille d’abord dans des instituts de recherche. Après l’invasion soviétique en 1968, il est emprisonné pendant six mois et puis chassé de la vie publique. Après la chute du régime totalitaire il est nommé, en 1990, ambassadeur à Paris, ce qui est le début d’une brillante carrière diplomatique qui le propulsera jusqu’ au poste de ministre des Affaires étrangères. Fort de ses expériences, il a publié plusieurs livres sur l’histoire moderne et ancienne dont Osudné spojenectvi (Une Alliance fatale, Prague et Moscou, 1920 à 1948), sorti récemment aux éditions Mladá fronta. Voici la seconde partie de l’entretien sur ce livre que Jaroslav Šedivý a accordé à Radio Prague :
«La réponse est relativement simple. L’Union soviétique a proclamé deux fois qu’elle était prête à venir en aide à l’armée tchécoslovaque si celle-ci commençait à se défendre contre l’attaque de l’armée allemande. Mais Moscou soulignait également toujours la deuxième condition pour une éventuelle aide soviétique. Elle exigeait que les Français accomplissent, eux aussi, leur devoir stipulé dans le traité d’assistance mutuelle et viennent de l’Ouest en aide à la Tchécoslovaquie. Les Français ont cependant refusé. La réponse théorique à votre question à savoir si l’Union soviétique pouvait toute seule intervenir en faveur de la Tchécoslovaquie en 1938 est non. Par quelle voie ? A travers la Pologne ? Impossible. Ce serait un nouveau conflit. Par la voie aérienne à travers la Roumanie ? Impossible. Le roi Carol a refusé. Alors ? »
Pendant la guerre, la Tchécoslovaquie occupée a été représentée par un gouvernement exilé à Londres. A cette époque, le président Beneš a signé un traité d'alliance avec l'Union soviétique. Vous expliquez ses motifs dans votre livre. Pourquoi a-t-il signé ce document ?
« La politique du président Beneš exilé à Londres avait deux buts principaux. Premièrement annuler les accords de Munich, ce que le gouvernement britannique, en 1942, et le gouvernement français, en 1944, ont fait. Et deuxièmement, il voulait préparer pour son pays la position internationale après la guerre. Et il a bien compris que le rôle de l’Union soviétique après la guerre en Europe de l’Est serait dominant. Beneš surestimait la signification des accords diplomatiques. Et par cette voie, c’est-à-dire, la négociation diplomatique, il voulait désigner d’avance les futures relations tchéco-soviétique. Mais en même temps Staline pensait déjà à la création du bloc soviétique en Europe après la guerre. Beneš a proposé de signer un traité d’alliance avec Moscou, ce qui a été fait au mois de décembre 1943. L`article quatre contenait l’obligation de ne pas se mêler des affaires internes des partenaires. Pour Beneš, cette obligation était principale, Staline voyait dans ce traité le départ pour former le bloc soviétique. D’ abord par le réseau d’accords semblables avec d’autres pays, futurs pays socialistes, et aussi entre ces pays, les uns avec les autres. Mais ici il faut ajouter une remarque. Staline pouvait suivre une telle politique en Europe de l’Est parce que ses partenaires lors de la conférence de Yalta en 1944, c’est-à -dire Churchill et Roosevelt, sont pratiquement arrivés à la reconnaissance du rôle du Staline là-bas. C’était l’Union soviétique qui a libéré une grande partie de ces territoires européens, y compris la Tchécoslovaquie, et Staline savait très bien exploiter cet avantage. »Vous démontrez dans votre livre les conséquences des conférences tenues vers la fin de la guerre à Téhéran et à Yalta pour l'influence soviétique sur la politique tchécoslovaque. A partir de quel moment l'Union soviétique a commencé à considérer la Tchécoslovaquie comme faisant partie de sa sphère d'influence ? Dans quelle mesure c'était dû justement au fait que l'armée soviétique a libéré en 1945 une grande partie du territoire tchèque.
« Je viens de parler déjà de la conférence de Yalta mais je vais vous dire un détail très intéressant pour expliquer tout ça. Au début des années1950, le premier secrétaire du Parti communiste hongrois Rakoczy a mentionné dans un séminaire communiste un épisode. En 1943, Staline a invité quelques secrétaires des partis communistes de pays centre-européens qui étaient pendant la guerre en exil à Moscou. Parmi ses invités, il y a eu aussi le chef du Parti communiste tchécoslovaque Klement Gottwald. Pendant cette rencontre, Staline a expliqué que ces pays seraient libérés par l’armée soviétique, bien sûr. Cependant, d’après lui, il ne serait pas raisonnable de former tout de suite dans ces Etats des gouvernements communistes mais négocier les nouveaux gouvernements sur la base du Front national ou du Front populaire. Ces gouvernements devaient être amicaux envers Moscou et Staline croyait que les communistes allaient triompher dans le jeu politique. Nous savons bien ce qui est arrivé à Prague. Et je voudrais ajouter encore quelque chose. Khrouchtchev dit dans ses Mémoires que la Tchécoslovaquie était pour Staline le point le plus important dans sa vision du futur bloc soviétique pour des raisons économiques, politiques et surtout militaires. »Comment s'est manifestée cette influence soviétique dans la vie politique et économique de la Tchécoslovaquie après la guerre, dans la période entre 1945 et 1948 ?
« Moscou était donc très attentive à l’évolution dans notre pays. Gottwald, qui était déjà à cette époque Premier ministre du gouvernement tchécoslovaque, était relativement libre en ce qui concernait les activités de son gouvernement. Deux fois seulement Staline a usé de contrainte à l’égard du gouvernement tchécoslovaque. Le 5 juin 1947, le ministre américain Marshall a présenté le plan d’aide économique américaine à l’Europe. A Prague, le gouvernement a d’abord déclaré sa participation à la réalisation de ce plan. Et en même temps se sont déroulées les négociations sur un éventuel traité d’amitié avec la France. Le 9 juillet 1947, une délégation du gouvernement tchécoslovaque dirigée par Gottwald et avec le ministre tchécoslovaque des Affaires étrangères Jan Masaryk a été accueillie à Moscou par Staline qui a dit non à ces deux questions. Non au plan Marshall et non au traité d’amitié et de coopération avec la France. Après le retour à Prague, c’était le 10 juillet, Jan Masaryk a déclaré :
‘Je suis allé à Moscou en tant que ministre des Affaires étrangères, et je suis rentré en tant que serviteur de Staline.’ »