Anca Damian : « L’animation m’offre une vraie liberté d’expression »
La 50e édition du Festival de Karlovy Vary est déjà loin, les festivaliers sont bien évidemment repartis la tête pleine d’images et les équipes qui organisent l’événement peuvent un peu souffler. Pour la dernière fois avant l’an prochain, revenons encore dans la ville thermale de Bohême de l’Ouest à la rencontre d’une des invitées du festival. Anca Damian est une réalisatrice roumaine qui présentait cette année son dernier film, La montagne magique, dans le cadre de la compétition officielle. Au micro de Radio Prague, elle est revenue sur sa création cinématographique, très influencée par les arts visuels.
« Bien sûr. Mais c’est un film étrange pour un festival ordinaire, car c’est un mélange d’animation. D’habitude, les festivals de catégorie A ne prennent pas d’animation en compétition, c’est très rare. Mais comme mon film précédent, Le voyage de M. Crulic, était plutôt un film d’art et d’essai, ça a marché partout, et surtout dans les festivals de fiction. Donc La montagne magique n’est pas uniquement de l’animation, c’est un film qui mélange les genres mais qui s’adresse à un public de films d’art et d’essai. »
D’où vous vient cette envie de mêler animation et cinéma classique ? C’est déjà la deuxième fois que vous attelez à un film oscillant entre les deux…
« L’animation m’a tentée pour élargir les moyens et le langage cinématographiques. J’y trouve une vraie liberté d’expression. La mise en scène m’appartient toute entière et je la fait à partir de rien. Je ne suis liée qu’à mon histoire et je peux trouver mes acteurs idéaux, les lieux de tournage parfaits, parce que je peux créer une nouvelle réalité, raconter mon histoire de façon plus concentrée, plus proche du sens que je veux lui donner. Et ça, ça m’offre beaucoup de libertés. Mais ça ne peut pas se faire pour toutes les histoires. Quand je commence à imaginer un film, je ne le réalise pas automatiquement ainsi. Mais il y a des histoires qui doivent être dites comme cela. »Rappelez-nous l’histoire de La montagne magique. Vous y suivez le parcours d’un homme dont vous allez nous en dire plus. Et en quoi l’animation vous a-t-elle aidée pour raconter l’histoire de cet homme ?
« Effectivement, j’ai choisi de raconter l’histoire d’Adam Jacek Winkler. Après avoir fini Crulic, j’avais envie de faire une trilogie sur l’héroïsme. Crulic, c’est le rapport de l’homme avec la mort. La première phase était un peu naïve, inconsciente : Crulic a donné sa vie pour sa vérité, mais il ne voulait pas mourir. Il a seulement perdu sa volonté de survivre. La deuxième phase dont j’ai eu envie de parler, c’est quelqu’un qui veut mourir pour changer le monde. »
Ce qui est le cas d’Adam Jacek Winkler…
« En effet. Adam était comme cela : il voulait donner sa vie pour changer le monde. Il était un peu comme Don Quichotte, il voulait y arriver seul. C’était un mélange de cynisme, d’aventure, d’humour… On pourrait dire qu’il est fou mais moi, j’aime ce genre de folie. »Pour les personnes qui n’auraient pas vu le film, rappelez-nous en quelques mots qui était Adam Jacek Winkler…
« C’était un Polonais réfugié à Paris, qui a vécu sa vie en-dehors de la société. Il voulait être libre. Pour cela, il a choisi notamment de s’engager dans la lutte contre le communisme. Il avait quitté la Pologne et le communisme dans son pays. Malgré son départ, il estimait devoir faire quelque chose contre le bolchévisme qui était pour lui l’incarnation du mal. Comme pour tous les personnages romantiques, le bien et le mal sont en noir et blanc, il n’y a pas de zone grise. Il a donc essayé de mener des actions anti-communistes quand il était à Paris mais il ne risquait rien. Quand Solidarnosc est né, il a estimé que quelque chose était fini. Il ne se voyait pas dans une foule qui manifeste. Il fallait pour lui qu’il y ait une lutte indépendante. L’invasion des Russes en Afghanistan est devenue sa lutte. Il s’est identifié au peuple pauvre afghan qui luttait seul contre l’armée soviétique. Il a commencé à se préparer pendant deux ans pour se joindre au combat. »
Il s’est donc engagé auprès des moudjahidines, auprès du commandant Massoud et a vécu et combattu à leurs côtés…« Oui, à leurs côtés. En même temps, chaque combat est une désillusion à la fin. Mais ça a été quand même l’aventure de sa vie. Pour moi, ce film a été mon premier contact avec l’Afganistan. J’y ai passé deux semaines pour faire des repérages. C’était un voyage dangereux, mais si je ne l’avais pas fait, j’aurais raté le film. Cela pose aussi la question : qui sommes-nous, nous les hommes ? Comment changer le monde ? Bien entendu, à la fin, avec la mort de Massoud, le 11 septembre, à la fin de sa vie Adam se rendait compte qu’un aventurier n’avait plus sa place dans ce monde. C’était la grande désillusion pour lui, mais en même temps, c’était une désillusion achevée. Et une désillusion achevée, c’est beaucoup plus qu’une vie ratée. »
Vous dites que l’animation vous donne beaucoup de liberté. En quoi elle vous a donné de la liberté pour ce personnage en particulier ?
« Adam Winkler Jacek dessinait. Grâce à cela, le monde visuel de ce film est beaucoup plus riche. Quand j’ai commencé à travailler sur l’animation de Crulic, j’avais quelques photos, pas beaucoup d’éléments et je me suis dit que j’allais peindre et construire quelque chose au-dessus des images réelles, des lieux… J’ai décidé de construire le film avec des dessins au-dessus de la réalité. Cette fois-ci, avec La montagne magique, les images à partir desquelles j’ai commencé à faire le film étaient beaucoup plus riches. Il y avait déjà toute l’imagerie du chevalier sur 2000 ans d’histoire. En outre, mon personnage faisait lui-même des dessins, beaucoup de photos. Il y avait aussi tout l’art afghan qui est fascinant. Pour constuire ce récit, j’ai aussi fait des références à l’histoire du cinéma, cachées dans le film. Même si les spectateurs ne savent pas forcément à quoi telle ou telle chose fait référence, cela apporte beaucoup au film. »
Le cinéma roumain s’est fait pas mal connaître ces dernières années avec la nouvelle vague du cinéma roumain. Par contre, vos films semblent sortir d’ailleurs. Ils sont plus cosmopolites et ne traitent pas de sujets roumains. Cela fait de vous un peu un OVNI…« Oui, d’ailleurs ce mot a été utilisé par quelqu’un quand j’étais à Locarno avec mon film sur Crulic. Il a dit que c’était un OVNI (rires) ! D’ailleurs, moi, je suis plutôt individualiste et je n’aime pas trop aller avec la vague. Je fais mon propre chemin. Mon histoire est plutôt liée aux arts visuels. J’ai été directrice de la photographie. Jusqu’à présent je suis la seule femme à avoir été directrice de la photographie pour des longs-métrages en Roumanie. Mon ‘background’ est plus lié au visuel. Et j’aime développer un langage qui amène l’art au cinéma. Je trouve qu’il y a encore de la place pour y mêler la peinture, la musique… C’est cela mon chemin, et je le suis. »
Est-ce que vous songez à traiter un sujet roumain dans un film ?
« J’oscille entre fiction et animation. Je commence justement un film de fiction cet automne avec un sujet roumain. Il est même lié à ma biographie puisqu’il est inspiré de la mort de mon père. C’est un sujet qui se passe en Roumanie et tourné en roumain. Ce n’est donc pas aussi cosmopolite que La montagne magique. Mais je suis en train de développer un nouveau projet pour finir ma trilogie sur l’héroïsme. Ce sera le dernier film. Il aura un personnage féminin, et ce, pour la première fois. Cette fois-ci, c’est la phase de sacrifice, la phase de la mort consciente. Donc, on le voit, j’alterne entre fiction et animation. »