Coup de projecteur sur les Ateliers théâtre du Lycée français de Prague

Photo: Denisa Tomanová

Dans le cadre de la « Týden France v Praze », soit « La Semaine de la France à Prague », manifestation qui célèbre l'amitié franco-tchèque, de nombreux évènements de différents genres seront organisés entre le 29 mai et le 14 juin. Cette deuxième édition de la Semaine de la France est aussi l’occasion de mettre un coup de projecteur sur les Ateliers théâtre du Lycée français de Prague. Dirigés par la metteuse en scène et comédienne Sophie Knittl, les élèves de la Sixième à la Terminale présenteront trois pièces, fruit de leur travail tout au long de l’année scolaire écoulée. Ce samedi 30 mai, ce seront d’abord les élèves de Troisième à la Terminale qui se produiront à l'Institut français, puis ce sera au tour des plus jeunes le vendredi 5 juin au théâtre Na Prádle, dans le quartier de Malá strana. Radio Prague a assisté aux répétitions, quelques jours avant ces deux premières.

Marivaux, Molière et Shakespeare à Prague

Photo: Denisa Tomanová
Un brin d'inquiétude, quelques autres de confiance, de stress, de curiosité, de doute, d’amour, de patience, de certitude et de talent à la fois : tels sont peut-être bien les ingrédients nécessaires pour monter une pièce de théâtre. A une semaine des représentations de la vingtaine d’élèves des Ateliers théâtre, la voix puissante de Sophie Knittl résonne dans la salle de répétition du Lycée français de Prague afin de peaufiner ce qui reste à peaufiner. La metteuse en scène dévoile la genèse de cette aventure :

« C’est une longue histoire puisque nous en sommes à notre treizième année d’existence. La première fois que le Lycée français a décidé d’ouvrir ces Ateliers théâtre, qui sont destinés à tous les élèves du Lycée, c’était à la rentrée 2002/2003. On a une longue d’histoire derrière nous. A travers ces Ateliers, le Lycée a pu toucher un grand nombre d’élèves. La première année, nous étions très peu, cela ne s’adressait qu’aux Terminales. Cela ne se passait que dans des petits lieux. Les années ont passé et le nombre d’élèves qui a souhaité participer est devenu de plus en plus important. Les spectacles sont devenus de plus en plus amples. Du coup nous sommes allés pour les représentations dans les théâtres mêmes, puisque le but de ces ateliers est certes de proposer une initiation au théâtre, un moment de liberté, un moment de création, mais comme il s’agit justement d’une création, il est bien que cela se passe dans un théâtre et devant un public. Nous en sommes donc cette année à une nouvelle étape. Nous quittons les théâtres pour aller investir des lieux dans Prague assez exceptionnels, puisque nous avons l’ambassade de France et l’Institut pour la partie des Ateliers lycéens, des lieux qui vont donner un rayonnement nouveau à ces Ateliers du LFP. »

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Bien que la représentation au Palais Buquoy affiche complet ce vendredi, les élèves de la Troisième à la Terminale présenteront deux pièces atemporelles de Marivaux le samedi 30 mai à 18h30 à l'Institut français de Prague. La première, « La Réunion des Amours », une pièce en un acte et en prose, a été remaniée pour servir de prologue à la seconde, « La Dispute ». De leur côté, les élèves de la Sixième à la Quatrième se produiront avec d’autres pièces au théâtre Na Prádle. Sophie Knittl nous en dit plus :

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« Pour les collégiens, c’est ‘Une petite vie de Molière’, c’est-à-dire que je me suis appuyée sur des images vidéos. Je suis partie du film d’Ariane Mnouchkine. La vidéo est là pour raconter, et les enfants, comme s’ils sortaient de la vidéo, sont là pour interpréter quelques grandes scènes du répertoire de Molière. Puis il y a une autre pièce, « Le Songe d’une nuit d’été », allégée, car sinon elle est beaucoup trop longue. Enfin, il y a le lycée avec Marivaux. »

Le théâtre, un tremplin vers la culture et la confiance en soi

Comme le LFP dans son ensemble, ses Ateliers théâtre regroupent de nombreuses nationalités. Epris d'affection pour l'atelier depuis la Sixième déjà, Mariam, une Bulgaro-Canadienne, et Clément, un Franco-Allemand, deux élèves de Terminale, expliquent pourquoi ils ont choisi de fréquenter cet atelier :

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Mariam : « J'étais quelqu'un de très timide. Cela ne faisait que deux ans que j'étais dans le système français, je ne parlais pas un mot de français. Enfin, je commençais un peu. Mais je parlais à peine, j'étais complètement muette en cours. Et avec l'atelier théâtre, j'ai pris un peu plus confiance en moi. Sophie était très libre avec nous. Elle nous a donné beaucoup de conseils. Sans le théâtre, je crois que je serais toujours muette aujourd'hui. J'ai donc fait ça pour devenir un peu plus ouverte d'esprit, me décoincer un peu. »

Clément : « Pour moi, le théâtre est un élément de culture. Avec le bac de français en Première, j'ai appris à apprécier encore plus cette activité-là. Mais en Sixième, c'était plutôt pour me défouler. Contrairement à Mariam, je n'ai jamais vraiment été timide, mais j'ai toujours eu besoin de me défouler après les cours. En effet, ça fait toujours des cours de plus, mais l'atelier théâtre, c'est une certaine tradition qui dure déjà au Lycée et Sophie peut être considérée au même niveau que les autres professeurs dans le corps enseignant. On a donc forgé une très forte amitié avec Sophie. On ne va pas dire que c'est par obligation, mais c'est aussi par amitié que l'on fait cet atelier, que l'on s'investit toujours autant dedans. »

Sur la difficulté de découvrir un auteur classique

Photo: Denisa Tomanová
Et qu'est ce qui a été le plus compliqué dans la mise en scène des deux pièces de Marivaux, au-delà de la nécessité de connaître son texte par cœur ? Ecoutons tout d'abord Clément puis Sophie Knittl :

Clément : « On a toujours joué des pièces modernes et souvent de l’absurde. C’est ce qui nous a toujours passionnés. Je pense que l’on a tous une certaine part de folie dans cet atelier, on est tous là pour l’exprimer, et l’absurde était un bon moyen de la canaliser. Comme on est dans un groupe dont les élèves ont entre 14 et 18 ans, le problème est que Marivaux est un auteur classique. La langue est donc déjà un peu différente. Ensuite, c’est une pièce qui est relativement complexe et qui aborde des sujets dont je pense que certains d’entre nous n’ont pas la maturité pour saisir tous les enjeux. Au fond, c’est une pièce qui est tout à fait passionnante, mais je pense que ça demande un niveau peut-être supérieur au nôtre. Mais c’est toujours un défi à relever. Bien sûr, ce vieux langage, ce vieux français n’attire par les élèves pour s’investir entièrement dedans. Les textes sont un peu plus durs à apprendre. Même si ‘La Dispute’ est très courte, c’est surtout le découpage complexe des rôles qui a demandé beaucoup de travail à Sophie, mais aussi à nous pour savoir quand est-ce que l’un va répondre et l’autre répliquer. »

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Sophie Knittl : « Particulièrement, cela a été de faire comprendre aux enfants qu’ils n’allaient pas être dans un cadre théâtral habituel, qui comporte le frontal avec d’un côté la scène, de l’autre le public, et qu’on allait être dans des lieux différents. J’ai choisi en plus une représentation bi-frontale, c’est-à-dire avec le public de chaque côté, et eux les comédiens au milieu. Puis ce sont des lieux qu’ils ne connaissent pas bien, donc évidement ils doivent se projeter. Le théâtre, ils le connaissent, et même s’ils ne le connaissent pas, on est dans le frontal, et c’est plus facile à répéter. Cela a donc été la plus grande difficulté dans le Marivaux : inclure l’élément-lieu dans une spatialisation complètement différente. Il a fallu que les élèves l’imaginent. Cela a été un grand travail, mais ils y sont arrivés. Puis cette année, nous avons également inclus de la musique en direct créée pour l’occasion par un ancien élève de ces Ateliers, qui nous a fait des compositions. Cyrille Oswald, un des professeurs de musique du Lycée, a eu la gentillesse de bien vouloir nous accompagner, il a constitué un groupe. Il y a un peu de chant, un peu de musique, du théâtre. Et donc faire l’agglomérat de tout cela a été le plus difficile. »

Partir à la découverte de nouveaux horizons avec les Ateliers théâtre

Photo: Denisa Tomanová
Alors « qui de Cupidon ou de l’Amour peut le mieux gouverner l’homme? Et qui de l’homme ou de la femme a commencé la querelle entre les sexes ? ». Telles sont les questions existentielles qui seront donc posées cette semaine. Et si ces interrogations sur le sens de la vie tiennent chaque année une place non négligeable dans les Ateliers théâtre, Clément dévoile quelles découvertes il a faites avec « La Dispute » de Marivaux :

Clément : « C’est une pièce qui tourne complètement en dérision les esprits de l’époque. Et c’est ce qui m’amuse particulièrement : voir comment on peut jouer cette pièce et ignorer l’aspect totalement raciste et totalement méprisable des personnages qu’on incarne. On est à la fois conscient du message qu’il y a derrière, mais quand on le joue, on le joue avec notre cœur, et parce qu’on a envie de faire du théâtre, de se défouler. Mais, au fond, on ne se rend pas compte. Et je trouve que c’est un peu le pouvoir de cette pièce, le pouvoir incarné des rôles qui sont totalement ignobles et abjects. »

Photo: Denisa Tomanová
Le parcours de la comédienne Sophie Knittl, passionnée de mise en scène, est tout aussi étonnant. Si elle avoue qu’elle ne pensait rester que quelques mois à Prague lors de son arrivée il y a treize ans de cela, Sophie espère aujourd’hui que cette aventure théâtrale aux côtés d’élèves francophones continuera encore longtemps. Qui est alors cette Sophie Knittl toujours extrêmement pétillante ?

Sophie Knittl : « Je suis ce que l’on appelle une enfant de la balle. Mon propre père est metteur en scène. Je suis née en France, mon père qui est Tchèque a émigré en 1968 en France. Donc, j’ai vraiment grandi dans le milieu théâtral. J’aurais pu choisir de faire complétement autre chose. Tous les enfants “de” ne sont pas forcément des artistes, mais ça peut vraiment aussi marquer. J’ai décidé de faire du théâtre dès l’âge de 14 ans. Et en France j’ai fait un parcours classique, c’est-à-dire après le bac, une école de théâtre professionnelle, les Cours Florent, suivie d’une autre école qui n’existe plus, mais qui était absolument formidable, les Ateliers Gérard Philippe. Puis j’ai fait deux stages très importants dans ma vie de jeune comédienne en formation : un stage avec Redjep Mitrovitsa, dont je suis devenue par la suite l’assistante à la mise en scène, et un autre stage avec Madeleine Marion. Car j’ai souhaité m’approcher le plus possible de la formation « vitezienne ». Antoine Vitez portait une parole qui me touchait énormément et par laquelle je me sentais appelée. Antoine Vitez étant décédé en 1990, je suis allée vers ceux qui restaient, certains de ses comédiens, Madeleine Marion et Redjep Mitrovitsa. »

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Le théâtre restera-t-il présent dans la vie des élèves, une fois le baccalauréat en poche ? Pour Mariam, en Terminale L, la question ne se pose même pas :

Mariam : « J’aimerais absolument garder le théâtre dans ma vie. Je ne sais pas encore comment. Peut-être pas dans mes études, mais cela m’a apporté tellement de choses. Rien que ma personnalité a été très forgée par cet atelier. L’humour que Sophie m’a encouragée à développer, à exprimer, restera avec moi toute ma vie. J’aimerais poursuivre avec tout ce qui est organisation de pièces, de spectacles, du public. Cela me plaît bien. »

https://atelierstheatrelfp.wordpress.com