Christian Lequesne : « L’approfondissement de l’UE déjà compromis avant l’élargissement de 2004 »
Enseignant à SciencesPo et membre du Centre d’études et de recherche internationale (CERI), Christian Lequesne a forcément un ressenti particulier sur le dixième anniversaire de l’adhésion de la République tchèque à l’Union européenne. De janvier 2004 à août 2006, il était en effet directeur du CEFRES, le Centre français de recherche en sciences sociales basé dans la capitale tchèque. Le 1er mai 2004, Christian Lequesne s'attendait à croiser des Pragois en liesse. Ce ne fut pas le cas bien que diverses manifestations étaient organisées pour célébrer cette adhésion. Au micro de Radio Prague, le chercheur a d’abord essayé de répondre à la difficile question de savoir ce que l’élargissement de 2004 a apporté à l’UE.
Il est très difficile de répondre de façon globalisée à cette question de l’apport de l’élargissement. Il y a des cas qui sont très différents. Si on prend les pays d’Europe centrale, les pays du groupe de Vysegrád, il est très difficile de parler de la même manière de la République tchèque, de la Pologne, de la Slovaquie et de la Hongrie. Ce sont quatre cas assez différents. Si vous prenez par exemple les performances économiques, il est évident que la République tchèque, la Slovaquie et la Pologne constituent un groupe qui a plutôt bien réussi à s’adapter, alors que la Hongrie n’a pas réussi. Si vous prenez l’engagement en faveur du développement des institutions européennes, il est évident qu’il y a plutôt une ambition polonaise très forte qui n’existe pas dans les autres pays. Si on considère la contribution aujourd’hui à la politique extérieure de l’Union européenne, là aussi, il y a une ambition polonaise qui est importante.
Tout cela peut en même temps changer car il ne faut pas oublier qu’on a des pays où il y a des débats. En République tchèque, il y a plusieurs lignes politiques face à l’Europe incarnées par des partis politiques différents. C’est ce que j’essaie d’expliquer en France car on y a gardé l’idée d’une République tchèque très eurosceptique. Et je crois qu’il est vrai que le président Klaus a réussi à délivrer ce message d’une République tchèque qui ne veut pas de l’Europe. Je pense qu’avec le nouveau gouvernement et notamment avec les sociaux-démocrates, nous sommes sur une ligne totalement différente de celle qu’adoptait le parti civique-démocrate ODS. »
Dans une déclaration récente, Václav Klaus considère justement que le traité de Lisbonne a limité la souveraineté des petits pays dans l’UE. C’est un point de vue qui n’est pas seulement partagé par l’ancien président tchèque. Qu’en pensez-vous ?« Cela a tendance à me faire sourire ce genre de déclarations. Il faut prendre l’histoire de la Tchécoslovaquie depuis qu’elle a obtenu son indépendance en 1918. C’est grâce au fait d’être dans l’Union européenne, et également grâce au fait d’être membre de l’OTAN, que la République tchèque peut faire valoir sa souveraineté. Quand on pense à ce qu’a été l’histoire tragique de ce pays, on se dit qu’il n’a jamais été aussi sécurisé et aussi à même d’affirmer sa position nationale que depuis qu’il est dans l’Union européenne et dans l’OTAN. Donc, d’un point de vue historique, la déclaration de M. Klaus, que je n’ai pas entendue, n’a absolument aucun sens. »
Comment expliquer le faible intérêt des Tchèques pour les élections européennes ?
« Ce n’est pas là une particularité des Tchèques, mais de l’ensemble des sociétés européennes face à cette élection, tous les cinq ans, des députés européens. Je parlais récemment avec un analyste polonais qui me disait qu’on s’attendait à un taux de participation en Pologne aux alentours de 20%. Je pense que c’est lié à la difficulté qu’a le Parlement européen à faire comprendre le rôle qu’il joue. C’est d’autant plus paradoxal que c’est une institution qui n’a cessé, depuis le milieu des années 1980, de gagner des pouvoirs. S’il y a une institution qui a vraiment gagné du pouvoir dans le développement institutionnel de l’Union européenne, c’est bien son Parlement. On considère aujourd’hui que75% à peu près de ce qui est décidé au sein de l’UE l’est en codécision entre les Etats et le Parlement européen.Mais cela ne s’est pas accompagné d’une légitimité et d’une véritable connaissance par le public. Et là, je crois qu’il y a aussi une responsabilité des responsables politiques nationaux. En France, par exemple, il y aura le 15 mai un débat entre les grands leaders des partis : Martin Schulz pour le Parti socialiste européen, Jacques Santer pour le Parti populaire, le centre-droit donc, etc., et la radiotélévision française a décidé de ne pas le diffuser, ou simplement de faire en sorte que ce soit disponible sur Internet. On voit bien là qu’il y a un vrai problème. »