Věra Chytilová, indomptable et obstinée
La première dame du cinéma tchécoslovaque, Věra Chytilová est décédée ce mercredi à l’âge de 85 ans. La réalisatrice et scénariste, symbole du mouvement de la Nouvelle vague dans les années 1960, a marqué le monde du cinéma tchécoslovaque par une détermination sans précédent et par sa vision très crue de la vie humaine. C’est toute la profession cinématographique qui rend hommage à Věra Chytilová, l’insoumise.
« Lorsque l’on m’attaquait, que je me trouvais coincée, et que je voyais que je n’allais pas obtenir de travail, alors je me disais : ‘je vais m’y rendre, et je vais dire oui à tout, même si je pense le contraire’. Je vais être d’accord avec tout, pour que je puisse travailler. Mais une fois sur place, je commençais à me disputer de nouveau, parce que je n’arrivais pas à tenir le coup. Grâce à mes mauvaises qualités, à mon mauvais caractère, au fait que je sois très irascible, on n’a pas réussi à me briser. »
Věra Chytilová attire l’attention sur elle en 1961 avec son film de fin d’études à la FAMU, l’école de film de Prague, où elle est la seule femme à étudier la réalisation : son deuxième court-métrage, « Strop » - « Le Plafond », relate l’histoire d’une jeune fille, qui commence à prendre conscience du désœuvrement et de la futilité de son existence. Son premier moyen–métrage, « Pytel blech » - « Un Sac de puces », voit le jour en 1962, et c’est son premier long-métrage de 1963 « O něčem jiném » - « Quelque chose d’autre », qui confirme le début d’une carrière exceptionnelle. Suivront «Perličky na dně » - « Les petites perles au fond de l’eau » et « Sedmikrásky » - « Les Petites Marguerites » en 1966, qui marqueront alors le début d’un enchainement de succès et de films provocateurs par leur caractère cru. Věra Chytilová provoque par la façon de narrer les histoires, avec des sujets toujours très tranchés et singuliers. A propos du tournage de son film « Dědictví aneb Kurvahošigutntág » en 1992, une comédie de terroir avec Bolek Polívka, qui excelle dans le rôle-titre de bon à rien rustre en devenant soudainement millionnaire suite à un héritage inespéré, Věra Chytilová raconte :« Dans ce film, nous abordons la problématique de l’époque, à de nombreux endroits même si on le fait sous forme de comédie. Le sens caché du film postule que la vie est une comédie. Et même si on peut dire de nos jours, que ce n’est pas de la rigolade, alors il s’agit d’une ‘comédie humaine’. Et nous devons espérer qu’elle reste seulement sur grand écran. »Toute la profession du septième art tchèque lui rend hommage ces jours-ci et Miroslav Donutil, un des acteurs du film « Dědictví aneb Kurvahošigutntág », a fait savoir ce mercredi soir :
« C’est une immense perte parce que il n’existe pas de deuxième Věra Chytilová, et il ne peut même pas y en avoir. Věra Chytilová est absolument indépassable et irremplaçable. »
En 1970, son film « Ovoce stromů rajských jíme » - « Les Fruits du paradis » est nommé dans trois catégories au Festival de Cannes, où Věra Chytilová ne pourra toutefois pas se rendre. En 1992, elle est décorée de l’ordre des Arts et des Lettres par le ministère français de la Culture. En 1998, elle obtient la médaille d’honneur des mains du président de la République Václav Havel et en 2000, elle reçoit le globe de cristal récompensant sa contribution artistique exceptionnelle à la cinématographie mondiale au Festival international du film de Karlovy Vary. Son collègue, le célébrissime réalisateur Jan Němec, qui avait émis le souhait il y a peu de réaliser un film sur Věra Chytilová, n’a pas tari d’éloges à son égard, la qualifiant de femme attachante, dynamique, courageuse, mais qui n’hésitait pas à user de son charme de femme. Jan Němec:« Que ce soit dans la vie professionnelle ou dans la vie privée, elle possédait tous ces traits de caractère dynamiques et démoniaques des personnes qui influencent de façon indélébile le monde, la vie et la société ».
Selon les paroles de ses étudiants de la FAMU, la spontanéité était son mot d’ordre. Les choses préparées à l’avance ne l’intéressaient que très peu. Elle cherchait toujours à porter son intérêt sur la signification du film, plutôt que sur les moyens utilisés; elle éveillait la curiosité. Pour Věra Chytilová, il était essentiel de ne pas avoir peur de commettre de fautes, qui servaient de sources de libération et d’inspiration au sein du processus cinématographique. L’histoire en soi n’était pour Věra Chytilová qu’un second plan, une base sur laquelle une réflexion plus poussée était possible. Elle créait des situations de conflit, pour rechercher la vérité.« Le film doit avoir une certaine signification. Cela ne tourne pas autour du fait que vous voulez créer des histoires. Les histoires ne m’intéressent pas, les histoires ne servent qu’à amadouer les spectateurs, afin que même le plus grand des idiots s’y intéresse. »
Résistante, combative, humble, inventive, Věra Chytilová devient la première femme à laisser une empreinte ineffaçable et immortelle dans le cinéma tchécoslovaque, avec près d’une quarantaine de films et de documentaires à son compte.