Le peintre et musicien Petr Nikl joue avec le temps
L’artiste aux capacités multiples, Petr Nikl (54 ans) a organisé sa rétrospective à la Galerie municipale de Prague. Au cœur de cette exposition se trouve le temps, plus précisément notre rapport au temps. Non seulement, Petr Nikl y revient sur son enfance, mais invite également à contempler le moment présent à travers les installations processuelles, en cours de création devant les yeux des visiteurs. Invité de cette rubrique culturelle, le peintre, musicien et acteur, Petr Nikl a répondu aux questions de Radio Prague.
Petr Nikl écrit également des poèmes et illustre les livres. En 2008, il a obtenu le prix Magnesia Litera décerné au meilleur livre de l’année pour sa publication « Zahádky » (un jeu de mot difficilement traduisible en français), un ensemble poétique qu’il a lui-même illustré. Par ce récit bref de ces succès, Petr Nikl apparaît bien comme un artiste multi-genre. Mais revenons au temps présent.
« Hra o čas » ou « Le jeu du temps », c’est le nom que Petr Nikl a choisi pour son exposition pragoise. Conçue comme une rétrospective par le commissaire Radek Wohlmuth, Petr Nikl, lui, refuse qu’un artiste vivant fasse une rétrospective. Il accepte néanmoins de se pencher sur le phénomène du temps et il explique pourquoi :« Le temps est un sujet que je traite depuis longtemps. Je cherche à voir s’il est possible de le capter et si oui, comment. Je ne voulais pas organiser une rétrospective à la Galerie municipale, les visiteurs peuvent donc voir une exposition thématique qui possède peut-être certains traits de rétrospective. »
Le dessin le plus ancien de Petr Nikl exposé à la galerie date de 1974. C’est un portrait de sa grand-mère, situé sur un tableau en bois juste à côté d’un autre dessin de la grand-mère réalisé par la mère de Petr Nikl une vingtaine d’années auparavant. Ces portraits se trouvent donc sur le même plan, accompagnés des trois datations différentes – la réalisation du premier dessin, du second dessin, et de leur compilation sur la même planche en bois. Petr Nikl poursuit :
« Certaines autres datations remontent jusqu’à l’année 1942 et signalent en quelle année a été prise la photographie à partir de laquelle j’ai réalisé ma peinture. J’ai inclus dans cette exposition une série de portraits de ma mère lesquels se basent sur une photographie d’elle quand elle avait huit ans. Cette série, je l’ai appelée 'J’avais moins dix-huit ans'. »
Avec ces peintures datant de dix-huit ans avant sa naissance, Petr Nikl remonte au temps où sa mémoire ne suffit pas. Le passé est d’ailleurs très présent à l’exposition, elle-même remplie des retours à l’enfance et des souvenirs de sa mère. Nous y retrouvons ses portraits, mais aussi une installation spécifique qui rappelle l’activité principale de Libuše Niklová, qui était une designer de jouets célèbre. Par ailleurs, une rétrospective de ses 120 jouets a été organisée en 2011 au Musée des Arts décoratifs de Paris. Petr Nikl explique :« Il y a mes dessins de jouets faits au crayon, des jouets que maman avait créés. Ces dessins datent de 1995. Pour cette exposition, je les ai mis ensemble et recouverts d’un tissu en satin, ce qui a pour effet de les rendre visibles uniquement sous certains angles. Ces jouets m’ont entouré pendant toute mon enfance et je voulais donc imprégner leurs visages dans l’exposition. J’y ai également inclus des portraits des membres de la famille. C’est comme un album familial. »
Il y a deux ans, Petr Nikl était déjà revenu sur la production artistique de sa mère dans la galerie Wannieck à Brno, qui s’intitulait « Les dialogues avec maman, je suis ton lièvre ». De cette idée est né un spectacle portant le même nom « Já jsem tvůj zajíc » (« Je suis ton lièvre ») qui se tient environ tous les quatre mois au théâtre Archa à Prague.
A la galerie municipale, l’artiste a également produit le portait de Libuše Niklová sur un mur de trente-six mètres. Au départ, le visiteur voit un assemblage de taches noires sur fond blanc, mais en avançant dans la salle, il reconnaît sous certains angles le visage d’une jeune fille, la maman de Petr Nikl à l’âge de huit ans. Cette installation montre la capacité de l’artiste d’aménager l’espace de la galerie autour de son exposition. Petr Nikl souligne : si un dessin statique peut se transformer avec le déplacement du visiteur, cela le rend en quelque sorte dynamique.L’exposition est en mouvement permanent notamment grâce aux installations processuelles. Deux salles ont été transformées en ce que Petr Nikl a appelé le jardin blanc et le jardin noir. Au sol, sur des feuilles blanches et noires se trouve du pigment de couleurs différentes. Le sol est sans cesse parcouru par des « robošvábi », des petites machines à piles dont la taille ne dépasse pas cinq centimètres et qui rappellent des cafards robotiques. Ce sont eux qui par leurs trajectoires imprédictibles créent les dessins par terre, observés par les visiteurs à partir de ponts improvisés.
« La présence de ces machines-robots permet de prendre conscience du moment présent. Car ce sont ces robots à piles qui créent les peintures sur le sol. Au bout de deux mois, les deux espaces de 300 m2 sont méconnaissables par rapport à leur état d’origine. Je remplace de temps à autre les papiers sur le sol et j’en récupère certains. Les peintures pourraient constituer la base d’une exposition insolite des productions artistiques de cafards-robotiques. »Ces machines dynamiques qui parcourent le sol des salles à la galerie ont également une caractéristique importante. Leurs piles se déchargent tous les deux heures. En conséquent, Petr Nikl se rend à l’exposition tous les jours pour les changer. Ainsi, il n’est pas rare pour les visiteurs de rencontrer l’artiste sur un des ponts en train de « pêcher » ses robots à l’aide d’une canne à pêche aimantée. Les dessins plutôt abstraits nés des mouvements de ces robots, Petr Nikl les conserve pour une prochaine occasion.
Si l’exposition s’appelle « Le jeu du temps », c’est également pour marquer que nous jouons tous avec le temps, mais ce n’est pas une compétition que l’on pourrait gagner. Pour cette raison, l’artiste souligne l’autre signification du mot « jeu » qui est plus une activité créative reléguée souvent à l’enfance. Le rôle du hasard et de l’imprédictibilité dans le jeu de nos vies inspire la réflexion suivante à Petr Nikl:« Nous nous trouvons dans un espace et dans un temps souvent déterminés par l’imprédictible. Nous faisons constamment des choix dans la vie, mais ces choix sont soumis au hasard. Parfois, il peut être préférable d’abandonner notre volonté de tout contrôler en donnant plus d’importance à ce qui est aléatoire. Car l’avènement de quelque chose d’imprévu nous fait ressentir le temps différemment. Si le train dans lequel nous voyageons tombe en panne, nous ressentons tout de suite le moment présent et notre perception du temps change. C'est pour cela que j’aime bien le hasard. »
Magicien de la lumière, Petr Nikl organise chaque samedi un programme complémentaire de l’exposition. Il s’agit de concerts d’artistes qu’il invite et qu’il accompagne par le jeu de lumière. Ces événements ont beaucoup de succès car c’est également pour ces réalisations lumineuses que Petr Nikl s’est fait connaître du public tchèque. Il coopère régulièrement avec le quartet Clarinet Factory pour mettre en valeur les espaces inédits dans lesquels se tiennent leurs concerts. Tel était le cas notamment en début de cette année quand Clarinet Factory s’est reproduit deux fois dans les locaux du Musée de la musique tchèque. Encore trois concerts, accompagnés des créations lumineuses de Petr Nikl, seront organisés à la Galerie municipale de Prague, où l’exposition « Le jeu du temps » est à voir jusqu’au 23 mars 2014.