Le cinéma de Jiří Menzel, une simplicité toute littéraire
Réalisateur parmi les plus importants du cinéma tchèque, cinéaste marquant de la Nouvelle vague de ce cinéma dans les années 1960, Jiří Menzel bénéficie ce mois de février d’une rétrospective à la Cinematek de Bruxelles. En compagnie d’Aurélie Lachapelle, une doctorante qui travaille sur les cinémas d’Europe centrale et de l’Est, Radio Prague vous propose de revenir sur la carrière de ce poète ès-caméra, oscarisé en 1966 pour « Trains étroitement surveillés », et dont l’œuvre est fortement marquée par sa fructueuse collaboration avec l’écrivain Bohumil Hrabal.
« C’est un des cinéastes tchèques parmi les plus réputés et les plus connus en Belgique. Ce sont des films assez accessibles, qui parlent d’un quotidien dans lequel on peut se retrouver. Je pense que c’est pour cela qu’il bénéficie d’une rétrospective à la Cinematek à Bruxelles et qu’il a été accueilli pour un Masterclass. »
Tous ces réalisateurs qui ont en commun leur popularité à l’étranger ont contribué à la renaissance du cinéma tchèque dans les années 1960, une période qui prend vite le nom de Nouvelle vague tchèque et que certains qualifient même de « miracle » comme le critique Antonín Liehm. De miracle, il n’est pourtant point question et des raisons objectives peuvent expliquer ce renouveau. Les cinéastes de la période forment ainsi un groupe relativement homogène. Tous ou presque ont étudié à l’Ecole de cinéma pragoise, la FAMU, créée dans l’après-guerre, jouissant d’une solide réputation et qui permet aux apprentis cinéastes de découvrir les mouvements d’avant-garde cinématographiques notamment italiens et français. A l’origine pourtant, Jiří Menzel, né en 1938 et fils de l’écrivain et scénariste Josef Menzel, se destine à une tout autre carrière. Aurélie Lachapelle :
« Au départ, il voulait débuter dans le théâtre mais il a été refusé à l’école de théâtre et il s’est donc dirigé vers la FAMU et il a fait cinq ans d’études dans cette université à Prague. »
Aux côtés de personnalités comme Jiří Weiss ou Milan Kundera, Otakar Vávra enseigne à cette époque à la FAMU. Ce réalisateur prolifique né en 1911 est considéré comme l’un des pères de la Nouvelle vague et prend sous son aile certains des futurs cinéastes de ce mouvement qui intègrent l’école sans passer de concours. Jiří Menzel est l’un deux et il trace alors son chemin dans le monde cinématographique tchécoslovaque comme le raconte Aurélie Lachapelle :
« Il débute ensuite comme acteur, notamment dans un film de Ján Kadár et d’Elmar Klos (Obžalovaný - L’Accusé en 1964). Jiří Menzel a également été l’assistant de Věra Chytilová sur son premier film O něčem jiném (Quelque chose d’autre, 1963), avant de réaliser ses propres films. »Après plusieurs petits rôles en tant qu’acteur et un film de fin d’études, Jiří Menzel se lance à 27 ans dans la réalisation de son premier long-métrage en même temps que d’une œuvre qui marquera les esprits :
« Là où il a vraiment débuté, c’est dans le film phare de la Nouvelle vague, Perličky na dně (Les Petites perles au fond de l’eau) avec son sketch qui découle d’une nouvelle de Bohumil Hrabal. »
La Nouvelle vague tchèque est un mouvement sans programme et sans film manifeste. Rétrospectivement, les critiques ont cependant identifié certaines œuvres pouvant remplir cette fonction. Ainsi, le film Les Petites perles au fond de l'eau, constitué de cinq court-métrages réalisés par Věra Chytilová, Jiří Menzel donc, Ivan Passer, Jaromil Jireš, et Jan Němec, est considéré comme la profession de foi de ce cinéma. Il met l'accent sur des destinées individuelles confrontées à un monde social qui les dépasse et sur lequel elles n'ont aucune prise. Les cinq réalisateurs de ces court-métrages, inspirés de nouvelles de Bohumil Hrabal, sont facilement identifiables à leur style personnel, lequel imprégnera leurs œuvres futures. Aurélie Lachapelle évoque les traits marquants de ce cinéma à travers celui de Jiří Menzel:« Le cinéma de Jiří Menzel se rapporte à la Nouvelle vague surtout avec ce lien avec un quotidien d’une simplicité assez importante. On est aussi dans quelque chose d’un peu absurde. On fait tout de suite référence, quand on voit un film tchèque et notamment de Jiří Menzel, à des références de l’absurde kafkaïen. Donc, c’est vraiment ces caractéristiques qu’on retrouve dans tout le cinéma tchèque et chez Jiří Menzel, donc le quotidien, l’absurde, l’ironie, se moquer un peu de situations un peu loufoques, mais toujours au sein d’une collectivité presque autarcique. »
Dans les années 1960, le régime communiste se libéralise sous l’effet d’une sphère réformatrice de plus en plus influente. Dans le monde du cinéma, les règles du réalisme socialiste édictées lors de la décennie précédente ne sont plus d’actualité. Des personnalités ayant des prétentions artistiques prennent le contrôle des studios de production. Ainsi, le cinéma s’autonomise de la sphère politique et les cinéastes sont plus libres de réaliser les films tels qu’ils l’entendent. Ils s’affirment en tant qu’auteurs.
L’œuvre de Jiří Menzel est ainsi reconnaissable entre toutes. Elle est largement et à toutes les époques marquée par sa collaboration avec des écrivains célèbres et notamment avec Bohumilr Hrabal, qui participe activement à l’adaptation de ses propres ouvrages. Ainsi, outre une des nouvelles des Petites perles au fond de l’eau, le cinéaste filme « Trains étroitement surveillés » (1966), « Alouettes, le fil à la patte » (1969), « Les fêtes des perce-neige » (1984) et plus récemment « Moi qui ai servi le roi d’Angleterre » (2006). Aurélie Lachapelle évoque le tandem formé par Jiří Menzel et Bohumil Hrabal :« Si je me souviens bien dans un article, où Jiří Menzel parlait de sa collaboration avec Bohumil Hrabal, il expliquait qu’il voulait revenir à une simplicité qu’on peut retrouver dans la littérature. Donc, il a un cinéma qu’il qualifie lui-même d’assez théâtral. Sa caméra ne bouge pas beaucoup, elle reste fixe. C’est un peu une fonction presque théâtrale du cinéma. »
Le film « Trains étroitement surveillés » est d’ailleurs salué de l’Oscar du meilleur film étranger en 1967, participant un peu plus à la légitimation du cinéma tchèque à l’intérieur et hors des frontières tchécoslovaques. Pour Aurélie Lachapelle, cette récompense est aussi celle de tout un groupe qui participe à la création de ce cinéma :
« Il faut savoir que Jiří Menzel a gagné un Oscar mais déjà l’année précédente, Ján Kadár et Elmar Klos gagnaient l’Oscar du meilleur film étranger, pour le film « Le Miroir aux alouettes. » Donc, ce n’est pas seulement Jiříri Menzel, c’est tout un groupe. Pour moi, c’est ça qui est important dans le cinéma tchèque, c’est qu’il s’agit d’un groupe entier qui met en avant sa spécificité, son cinéma. »
C’est par ailleurs un de ces longs-métrages adaptés d’un roman de Bohumil Hrabal qu’Aurélie Lachapelle affectionne tout particulièrement :
« Le film de Menzel qui m’a le plus touché, c’est certainement « Alouettes, le fil à la patte » et surtout le début du film. Quand il dit qu’il ne fait pas de film politique, je trouve justement que ce passage est assez contradictoire à ce sujet puisqu’il ironise le parti communiste, il ironise le pouvoir en place. Et c’est cela qui me plaît, c’est cette facilité à se moquer des dirigeants avec cette poésie assez frappante, une simplicité au niveau du jeu d’acteur. Donc, il n’y a pas de superflu. »« Alouettes, le fils à la patte » évoque un camp de rééducation destiné à faire perdre aux personnes qui y sont enfermées leur habitus bourgeois. Le film, qui devait sortir sur les écrans en 1969, est interdit dans le contexte de la Normalisation, quand les éléments orthodoxes du régime communiste reprennent la main et « épurent » le monde du cinéma de ses éléments acquis au Printemps de Prague. Les spectateurs ne pourront le découvrir que vingt ans plus tard.
Durant cette période de la Normalisation, Jiří Menzel, après quelques années d’inactivité, retourne derrière la caméra et réalise des films souvent de très bonne facture. Il est notamment aidé au scénario par Zdeněk Svěrák pour des œuvres dépeignant avec humour et poésie la campagne tchèque, telles que « A l’orée de la forêt » (« Na samotě u lesa », 1976) ou « Mon cher petite village » (« Vesničko má středisková », 1985).Après la Révolution de velours, alors que l’industrie du cinéma tchèque s’essouffle et peine à retrouver un système de financement fiable, Jiří Menzel lui-même connaît des difficultés à renouveler sa production. Certains de ses films, et notamment le dernier, « Donšajni », diffusé sur les écrans en 2013, souffrent de critiques particulièrement sévères. Il n’en reste pas moins que le cinéaste reçoit toute une série de récompenses internationales distinguant l’intégralité d’une œuvre où percent avec brio et sensibilité une grande tendresse pour ses personnages et une douce quiétude.