Ras-le-bol !

Photo: Štěpánka Budková
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Un mois ou presque est passé et 2013 n’est déjà plus qu’un lointain souvenir. Pourtant, c’est bien sur l’année écoulée que nous allons revenir. Dans certains pays, comme en République tchèque, une enquête est organisée en décembre pour élire « le mot de l’année ». Certes, selon une citation de Molière, certaines choses, et les enquêtes de ce type en font partie, n’ont que la valeur que nous leur attribuons, sachez néanmoins que pour 2013, le mot retenu par les Tchèques a été « viróza » - « virose » en français, un mot auquel nous avions d’ailleurs consacré une de nos rubriques lorsqu’il était d’actualité en mai dernier (http://www.radio.cz/fr/rubrique/tcheque/hic-letrange-virose-du-president-zeman). Mais une fois n’est pas coutume, c’est d’abord plutôt le mot français de l’année 2013 qui va nous intéresser pour cette fois. Vous allez comprendre pourquoi…

Photo: Štěpánka Budková
Pour les Français, le mot de l’année 2013 a été « ras-le-bol ». Hausse des impôts, multiplication des taxes, crise qui semble ne jamais devoir finir ou encore déception politique après le changement de majorité, sont quelques-unes des éléments à l’origine de l’exaspération des Français. Même si on peut regretter que ce ne soit pas un mot ne serait-ce qu’un tantinet plus positif qui soit arrivé en tête de l’enquête menée par l’Institut Médiascopie et Kantar Média, ce mot « ras-le-bol » ou l’expression « en avoir ras-le-bol » n’en restent pas moins intéressants, notamment parce qu’ils sont typiquement français et qu’il n’existe pas d’équivalent en tchèque. Bien entendu, les Tchèques, eux aussi, en ont parfois marre ou assez, ils sont excédés et en ont leur claque ou, pardonnez-nous notre vulgarité passagère, « plein le c.. ». Notons d’ailleurs que cette vulgarité n’est que partielle, car en ancien français, le « bol », comme le « pot », désignait le popotin. Bref…

'Mít toho plné brejle',  photo: Archives de Radio Prague
Les Tchèques, pour exprimer leur ras-le-bol, font également référence à différentes parties du corps, mais il s’agit chez eux des dents – « zuby », ou du cou – « krk » (un bien joli mot, n’est-ce pas ? Pour éviter de vous étrangler en le prononçant, placez un « e » muet entre le « r » et le second « k », ça devrait passer). « En avoir assez » - « mít toho dost », se dit alors littéralement « en avoir plein les dents – « mít toho plné zuby » ou « en avoir jusqu’au cou » - « mít toho až po krk ». Rien à voir, bien entendu, avec l’expression française « s’en prendre plein les dents », mais plutôt avec « en avoir plein le dos » ou encore « plein les bottes ». Toutefois, il existe ici une petite nuance, car « en avoir plein les bottes » signifie également « être las, fatigué » de quelque chose. Dans ce cas-là, et selon le contexte, les Tchèques disent alors plutôt qu’ils « en ont plein les lunettes » - « mít toho plné brejle » ou qu’ils « en ont plein les baskets » - « mít toho plné kecky ». Il s’agit donc ici plutôt d’être « rincé ».

Photo: Štěpánka Budková
Avant d’aller plus loin, revenons encore sur ce petit mot « kecky » qui ne manque pas d’intérêt non plus et dont l’origine est assez amusante. Si l’on s’en tient au dictionnaire, des « kecky » sont des baskets, en gros donc des chaussures de sport. Sauf que les « kecky », vous vous en doutez bien, ne sont pas des baskets comme les autres. D’ailleurs, on ne les chausse pas vraiment pour faire du sport, mais plutôt pour être à l’aise ou si vous préférez, c’est le cas de le dire, pour « se sentir bien dans ses pompes ». Sans vouloir leur faire de la publicité (elles n’en ont de toute façon pas besoin), il s’agit, c’est du moins ce qu’affirment ses fabricants américains, de « la première chaussure plus confortable qu’un chausson ». Et près d’un siècle après leur création en 1916, il faut bien reconnaître qu’avec leurs semelles en caoutchouc et leur poids plume, ces petites baskets en toile ont traversé les décennies pour devenir un des symboles de l’Amérique. Pour résumer, ces baskets sont de la marque Keds et c’est précisément celle-ci qui a donné naissance au mot tchèque « kecky ». Nous sommes donc là en présence d’une antonomase, autrement dit une figure de style dans laquelle un nom propre est utilisé comme nom commun. Pour les Français, les exemples les plus connus d’antonomase sont probablement le bordeaux, le roquefort ou encore la poubelle.

Photo: Kristýna Maková
D’accord, nous direz-vous, mais ceux d’entre vous qui ne sont pas tchèques se demandent sans doute quel est le rapport qui existe entre le mot « kecky » et la marque « Keds », dont les premières chaussures sont arrivées en Tchécoslovaquie en même temps que l’aide humanitaire que les avions américains lâchaient durant la Deuxième Guerre mondiale. Après tout, c’est vrai, seules les deux premières lettres des deux mots sont identiques. Alors, sachez qu’à l’origine, les Tchèques, qui comme tous les autres dans le monde ont très vite apprécié le port de ces baskets, avaient dans un premier temps « tchéquisé » la marque en parlant de « kedsky ». Puis, petit à petit, ces « kedsky » sont devenues tout à fait tchèques avec le mot « kecky ». Et le plus amusant finalement dans tout cela est qu’aujourd’hui, très peu de Tchèques connaissent cette petite histoire, la plupart d’entre eux pensant qu’il s’agit d’un mot tout à fait tchèque…

Dans notre prochaine émission, nous reviendrons sur les mots qui ont marqué les années antérieures à 2013 en République tchèque. Ce sera dans quinze jours et le prochain « Tchèque du bout de la langue ». D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !