La grand-mère, refuge contre la peur de la vie

'Zázemí', photo: fra

Ecrire un livre autobiographique n’est pas une discipline facile. Il n’est pas donné à tous les auteurs de présenter leur vie d’une façon suffisamment originale pour susciter l’intérêt du lecteur. La jeune écrivaine Jana Šrámková est de ces auteurs qui estiment que leur passé et leur vie sont assez intéressants pour mériter d’être arrachés à l’oubli et ressuscités sous une forme littéraire. Le livre dans lequel elle nous invite à voyager vers ses racines est pour elle l’occasion de confronter son passé avec son présent. Dans cette étude autobiographique intitulée « Zázemí » (« Refuge »), elle rend aussi hommage à sa grand-mère.

Jana Šrámková,  photo: Pavel Hrdlička,  CC BY-SA 3.0 Unported
Le chemin qui a mené Jana Šrámková à la littérature n’a pas été droit. Née en 1982, elle obéit d’abord à ce qu’elle appelle « une prédisposition génétique » et se lance dans des études de théologie. C’est précisément lors de ses études qu’elle réalise qu’il existe un lien étroit entre la théologie et la littérature :

« En étudiant la théologie, j’ai abordé pour la première fois le travail avec le texte, parce que la théologie est, au fond, une étude de texte. C’était la première fois que quelqu’un m’expliquait comment lire différents textes, comment lire tel ou tel genre littéraire. En étudiant des langues anciennes, le grec et l’hébreu, j’ai pénétré plus profondément dans le système de la langue et dans son fonctionnement. Et cela a éveillé en moi une véritable passion. Je me suis mise à lire pour la première fois dans ma vie de la bonne littérature, j’ai lu énormément de livres, j’ai plongé dans la littérature, j’ai lu et relu certains livres plusieurs fois en cherchant toujours de nouvelles façons de lire, pour adopter une position vis-à-vis de ces textes. Et, finalement, j’ai eu l’idée, par besoin d’aller encore plus loin, d’écrire moi-même quelque chose. Je considère donc l’écriture comme une main prolongée de la lecture. »

'Hruškadóttir',  photo: Labyrint
Son premier succès littéraire, un court roman intitulé « Hruškadóttir », lui vaut en 2009 le prix Jiří Orten réservé aux jeunes talents. Beaucoup de lecteurs et certains critiques estiment que cette histoire d’une jeune femme qui tombe amoureuse du père de sa meilleure amie, est la confession de l’auteur, mais Jana Šrámková rejette catégoriquement ces spéculations en affirmant que son premier livre est une fiction. Par contre, lorsqu’elle récidive cinq ans plus tard et publie son second texte intitulé « Zázemí », Jana Šrámková ne cache nullement le caractère autobiographique de sa confession :

« La majorité des choses qui figurent dans le livre - on pourrait même dire toutes les choses dans ce livre en exagérant à peine - sont authentiques et se sont vraiment passées. Il y a donc dans ce livre des noms et des faits réels. Pourtant, quand c’est sur le papier et quand vous jetez sur le papier votre monde intérieur, votre perception subjective de la réalité devient fiction. »

En rédigeant son livre, Jana Šrámková se lance dans la recherche minutieuse de ce qui reste de son passé. Elle ramasse jalousement des bribes de souvenirs, de gestes et de parfums, elle évoque souvent des choses qui, de prime abord, pourraient sembler insignifiantes et qui pourtant peuvent changer le cours de la vie. Elle brosse par petites touches un portrait de sa grand-mère, une femme qui vit une existence simple, mais qui est irremplaçable pour ses proches :

« Dans la première partie du livre intitulée ‘Le climat’, la grand-mère est présentée telle qu’elle est gravée dans ma mémoire, comme une grand-mère idéale. Elle est sympathique, aimable, accueillante, c’est cette femme que nous avons tous admirée à l’époque où j’étais petite. Et puis, dans les autres parties du livre, cette image est mise en cause pour être confrontée avec ma propre situation, avec ce que je vis maintenant. Et je me pose beaucoup de questions. N’a-t-elle pas vécu, elle aussi, des situations semblables à celles que je vis, moi, maintenant, dans la vie de tous les jours, dans les rapports avec ses enfants, en s’occupant de sa famille ? N’a-t-elle pas lutté, elle aussi, contre ce genre de problèmes ? N’avait-t-elle pas aussi, un autre visage ? Ne pleurait-elle pas, elle aussi, la nuit dans son oreiller ? J’insinue donc que mes propres combats ont été aussi les siens. Tout à coup, l’image idéale est ébranlée, parce que nous voyons l’aspect problématique de choses qui, dans l’enfance, nous semblaient tout à fait idylliques. »

'Zázemí',  photo: fra
L’auteur réunit quelques petits épisodes de la vie de sa grand-mère, dont plusieurs évoquent des bombardements de la fin de la guerre dans lesquels elle a failli mourir. Mais l’intérêt véritable de ce portrait intimiste est ailleurs. Ce sont de petits souvenirs sur le comportement quotidien de cette femme, souvenirs disparates ne formant pas un récit, qui surgissent maintenant dans la mémoire de la petite-fille. Jana n’en finit pas d’évoquer de petits gestes, de petites paroles, des regards de cette femme vivant entre sa cuisine et son jardin. Elle ne peut jamais oublier les mains et le visage ridé de la grand-mère, ni la facilité avec laquelle cette vielle femme semblait trouver une issue à toutes les situations. Jana admirera toujours sa façon souveraine d’accepter les choses de la vie. Aujourd’hui, devenue adulte et mère de deux enfants, Jana Šrámková se rend compte évidemment que cette grand-mère idéalisée devait elle aussi avoir ses jours de détresse, ses accès de mauvaise humeur, ses jours de faiblesse. Elle confronte sa propre vie pleine d’hésitations, d’angoisses et d’incertitudes, sa recherche difficile d’un équilibre, avec la vie de sa grand-mère devenue comme un symbole de la sécurité, un havre de paix dans lequel il était toujours bon de se réfugier :

« Dans la maison de ma grand-mère, je me sentais chez moi, et c’est le second plan de ce livre qui ne se rattache pas à la grand-mère en tant que personne, mais à la grand-mère en tant que lieu, c’est-à-dire à sa maison, à son jardin et à la ville de Vysoké Mýto où elle habitait. Moi, j’ai passé toute ma vie à déménager. J’ai déménagé pour la première fois quand j’avais trois mois, puis à six ans et douze ans. Nous changions toujours d’appartement et la maison de ma grand-mère dans sa petite ville est resté le seul endroit qui n’a pas changé depuis ma naissance jusqu’à aujourd’hui. Aller chez ma grand-mère, c’était donc revenir dans cet espace idyllique qui était le mien. »

Ce n’est que vers la fin de la vie de sa grand-mère, quand celle-ci vit dans une maison de retraite, que Jana, devenue mère de famille, doit se rendre à l’évidence. Un jour, lorsqu’elle lui rend visite et l’embrasse, elle se rend compte, épouvantée, que sa grande et forte grand-mère n’est plus qu’une petite vieille. Celle qui incarnait pour elle la sécurité, la force et le refuge, lui semble maintenant petite et chancelle dans ses bras. Celle qui pendant toute sa vie soutenait ses proches, a maintenant besoin d’être soutenue. Et en soutenant d’un bras sa grand-mère et de l’autre son petit enfant, Jana réalise dans un moment de lucidité aveuglante que c’est elle qui doit maintenant être la plus forte. Les rôles changent et Jana, angoissée, se retrouve au seuil de l’âge adulte.

(Le livre « Zázemí » (« Refuge ») de Jana Šrámková est sorti en 2013 aux éditions Fra.)