Jan Hus ne voulait pas de knedlík
La cuisine tchèque, ou plus précisément les noms de certaines de ses composantes, voilà à quoi nous allons nous intéresser pour cette fois. Nous allons ainsi découvrir l’origine de quelques mots sans lesquels la cuisine tchèque ne serait pas ce qu’elle est.
A noter que la langue tchèque ne fait pas vraiment de distinction entre une soupe et un potage, le même mot « polévka » servant à désigner les deux choses. En français en revanche, le potage, qui indique des légumes « cuits dans un pot », est considéré comme plus noble que la soupe, notamment parce que les aliments sont passés et que sa texture est veloutée. Et c’est vrai que très peu de soupes tchèques, notamment celles de légumes, sont passées ou mixées et gardent plutôt l’apparence d’un bouillon. Là encore, il est intéressant de préciser que la langue tchèque possède deux mots pour désigner un bouillon : un premier emprunté au français avec « bujón » (que l’on prononcera cependant « bouillone ») et un second plus tchèque « vývar », qui est un équivalent très fidèle du français « bouillon » puisqu’il provient du verbe « vyvařit », qui signifie « faire bouillir » ou « réduire » par ébullition.
Il est amusant de constater qu’il en est pratiquement de même pour l’origine du mot tchèque désignant une « sauce » - « omáčka ». Même si on dira plutôt qu’elle l’accompagne pour mettre en valeur, on peut en effet considérer qu’une sauce sert aussi à « mouiller » un autre aliment plus sec, ce qui correspond alors en tchèque au verbe « zmáčet », qui peut également signifier « tremper ». On remarquera ici que le substantif « omáčka » et le verbe « zmáčet » possèdent la même racine, ce qui nous explique donc l’étymologie de la « sauce tchèque ». Il n’est d’ailleurs pas inutile de remarquer que les sauces constituent une des spécialités de la cuisine tchèque et que ces « omáčky », souvent préparées à base de crème, de beurre et de farine, constituent même l’essentiel de certains plats, comme par exemple bien entendu le goulasch ou encore la « svíčková » nationale, du filet de bœuf qui « nage » littéralement dans une sauce à la crème et aux légumes. C’est ainsi qu’on en arrive à l’utilité d’une autre spécialité de la cuisine tchèque : le « knedlík », la fameuse « quenelle » ou boule de pâte qu’on ne présente plus. Toutefois, même si le « knedlík » est considéré comme une composante typique de la gastronomie locale, il convient de rappeler qu’il s’agit d’un mot d’origine germanique, bien entendu parce que les Allemands, notamment les Bavarois, et les Autrichiens, sont également consommateurs de « knödel ». Jan Hus, célèbre réformateur de la fin du XIVe et du début du XVe siècle dont les Tchèques ont fait un héros national face à l’oppression catholique et allemande, refusait déjà d’utiliser cette appellation de « knedlík » et recommandait de parler de « šiška », un mot qui est employé aujourd’hui encore en Moravie et qui fait référence à la forme ovale du « knedlík » avant que celui-ci ne soit coupé en tranches, soit celle d’un pain long, voire d’un cône ou d’une pomme de pin. Ce mot « šiška », nous pourrions également nous en servir pour désigner une ficelle de pain avec sa forme fine et allongée. En revanche, malgré leur forme similaire, cet emploi de « šiška » ne serait pas possible pour les spaghettis, que les Tchèques appellent « špagety ». Cette « tchéquisation » des spaghettis avec l’ajout de cette lettre « š » est intéressante, car ainsi le mot « špagety » se rapporte directement au mot « špagát », très proche de l’italien « spago », un diminutif de « spaghetto » qui signifie… « ficelle ».C’est sur cette constatation qui pourrait presque nous faire dire que le « knedlík » et les « špagety » sont finalement plus ou moins la moins chose, ne serait-ce qu’étymologiquement ou de par leur forme, que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue ». On se retrouve dans quinze jours pour d’autres « futilités » de ce genre. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez donc le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !
Rediffusion du 11/04/2013