Le Temps de l’aventure – une histoire d’amour d’une journée qui dure toute une vie
Voici deux semaines s’est achevée la 16e édition du Festival du film français, événement très important pour la cinématographie française en République tchèque qui a rassemblé un nombre record de spectateurs. Parmi les films présentés, « Le Temps de l’aventure », une histoire d’amour aussi brève et improbable que passionnelle, a séduit le public tchèque. Jérôme Bonnell, le réalisateur de ce long-métrage qu’il avait déjà eu l’opportunité de présenter lors du Festival international du film de Karlovy Vary en juillet dernier, était présent à Prague. Il s’est confié au micro de Radio Prague, évoquant d’abord ce mot, celui de l’aventure.
En République tchèque, le titre a été traduit par « Chvíle setkání – Le Temps d’une rencontre », ce qui n’est pas non plus la même chose. Et c’est justement l’histoire d’une rencontre, une rencontre qui se passe dans un train, dans un endroit où souvent les gens s’observent mais ne discutent pas entre eux. Quelle était votre idée ?
« L’idée c’était de se demander comment, à partir d’un regard échangé dans un train entre deux personnes qui ne se connaissent pas, un regard très fort, ces deux personnes vont se retrouver à peine quelques heures plus tard, ensemble, dans la même chambre d’hôtel. Il y a toute cette témérité à accepter, ce danger à assumer. Alors que ces deux personnes, ces deux amants, ne sont pas du tout des dragueurs professionnels. Ils sont absolument surpris de faire ce qu’ils font et de la très forte histoire d’amour qu’ils vivent même si elle ne dure qu’une journée. »
Vous ajoutez une instabilité linguistique puisque l’un des deux amants est anglophone. Pourquoi avoir voulu réunir une personne francophone et une autre anglophone ?« Tout simplement parce que le fait qu’ils vivent dans deux pays étrangers supposent au départ qu’ils ont peu de chance de se retrouver. En route, j’ai ensuite constaté que l’anglais était quelque chose de très fort. C’est la langue du rock’n roll. On peut dire des choses sur le plan amoureux très simples et très fortes. En français, cela aurait été plus affecté. »
Emmanuelle Devos et Gabriel Byrne, ces deux amants d’un jour, se disent en effet des choses très intimes, des choses qu’elle n’a par exemple pas même dites à son propre compagnon…
« C’est un peu comme des acteurs. Plus vous leur donnez des obstacles, plus finalement ils ont de l’audace et ils vont loin pour les surmonter. Ils touchent alors à quelque chose qui est encore plus intime. »
Emmanuelle Devos joue justement une actrice. Pourquoi ? Il y a une espèce de mise en abyme…
« C’est pareil, c’est quelque chose qui était innocent au début. Je voulais tout simplement rendre hommage aux acteurs et aux actrices parce que j’adore ce métier, je passerai ma vie à les adorer. Par ailleurs, je trouve qu’il n’y a qu’Emmanuelle Devos pour jouer une actrice parce qu’elle a quelque chose de particulièrement espiègle. Je trouve qu’au moment où elle joue, elle partage son plaisir de jouer, d’une manière qui lui échappe d’ailleurs, mais qui est vraiment belle et généreuse. D’autre part, j’ai constaté en faisant ce film et en le montrant qu’il était impossible d’en parler sans dire à quel point les metteurs en scène révèlent les acteurs mais les acteurs révèlent aussi les metteurs en scène. Et c’est l’histoire d’une femme qui se révèle à travers cette histoire d’amour et la circulation de tout cela est infinie. Donc oui, c’est une mise en abyme qui m’a échappé. »Vous aviez déjà tourné avec Emmanuelle Devos et vous avez souhaitez en quelque sorte faire ce film pour elle…
« Cette histoire, je l’avais en tête depuis des années. Et la très bonne coïncidence, c’est qu’au moment où je me suis dit que j’écrirais volontiers un film pour Emmanuelle, parce que nous nous étions vraiment bien entendus, cette histoire m’est revenue. Penser à Emmanuelle a vraiment précisé les choses et c’est comme si Emmanuelle m’avait révélé cette histoire. Encore une histoire de révélation. »
Elle vous a révélé cette histoire mais avez-vous déjà eu cette envie de partir à l’aventure avec quelqu’un dont vous avez juste croisé le regard ?
« Gabriel Byrne, qui joue donc l’Anglais dans le film, cet amant d’une journée, m’a posé tous les jours la question : « Mais Jérôme, cette histoire, est-ce qu’elle t’est arrivée ? Et je ne lui ai jamais répondu… »Nous n’en saurons sans doute pas plus donc… Le côté aventureux du film s’exprime également à travers le fait que l’action se déroule intégralement à Paris. Pourquoi ce choix ?
« Pour des raisons très basiques ; parce qu’à la fois c’est ma ville et c’était une bonne occasion de la filmer. Je n’avais jamais eu l’occasion de le faire dans mes autres films. C’est donc le premier film que j’ai tourné à Paris. Ce n’est pas du tout pour des raisons romantiques au départ. Il y a aussi une question de crédibilité de l’histoire vu qu’Emmanuelle Devos joue une actrice et qu’en France, l’activité artistique, beaucoup le théâtre et l’essentiel du cinéma, se passe à Paris. Dans le film, elle joue une pièce de théâtre en province et elle doit passer des essais à Paris. Cela me plaisait qu’elle soit obligée de repartir de Paris le soir pour aller jouer en province. Il y a une espèce de suspense, on se demande si elle va attraper son train, ou si elle va plutôt rester avec l’homme et peut-être changer de vie. J’aimais bien le fait qu’elle soit presque étrangère dans sa propre ville ce qui alimente une espèce d’état flottant et tendu. »
Il y a une unité de lieu puisque le film se passe presque intégralement à Paris. Il y a aussi une unité de temps puisque l’action se déroule sur une journée. Et il y a ces horloges qui sont très présentes. Pourquoi ?« Au tout départ, quand le projet était encore flou, j’étais obsédé par l’idée du temps présent, par l’idée de filmer l’idée du présent, ce qui est absolument impossible car le film n’est pas en temps réel. Je voulais créer beaucoup de suspense avec une situation qui a l’air minuscule, juste un simple regard échangé dans un train… »
Et l’action se passe le 21 juin, le jour de la Fête de la musique…
« La Fête de la musique était un contrepoint parfait, qui creusait encore davantage l’intimité de cette histoire, la mélancolie, le fait que ces amants soient dans une parenthèse dorée. Le fait de les plonger dans cette foule bruyante, c’était un contrepoint et c’était dramatiquement très fort.
Cette journée unique, j’ai réalisé ensuite qu’il s’agissait presque d’une métaphore du cinéma. Nous, spectateurs, quand on va au cinéma, nous sommes plongés dans un temps qui est finalement assez court, une heure et demie, deux heures, à ressentir des émotions très fortes et à avoir eu l’impression que le voyage était beaucoup plus long. C’est vraiment ce qui arrive à mes personnages. Ils vivent une histoire d’amour, qui est presque toute une vie en une seule journée. »