L'art de la noblesse française établie dans les pays de la couronne de Bohême
« L'art français des collections aristocratiques », tel est le titre d'une exposition inaugurée le 22 novembre dans les Ecuries impériales du Château de Prague. S'inscrivant dans le cadre du projet « L'année de la culture française en République tchèque », elle présente des œuvres d'art qui touchent à l’histoire des émigrés nobles français ayant trouvé refuge dans les pays de la couronne de Bohême.
« En principe, il y a eu trois occasions ou temps forts de l’installation de familles nobles françaises en Bohême et en Moravie. Il y a tout d'abord la période qui suit la Guerre de Trente ans qui a fait venir notamment des familles lorraines : les Des Fours ou la famille noble huguenote Raduit de Souches. Une nouvelle vague d'émigrés nobles français arrive massivement en Bohême après la prise de la Bastille. Ensuite, ce sont des familles nobles françaises ayant un lien marital avec la Bohême. Ces liens se créent notamment pendant les guerres napoléoniennes et dans le courant du XIXe siècle. »
Selon certaines sources, il est possible d'identifier près de 90 familles nobles françaises ou francophones installées en Bohême, en Moravie et en Silésie : les Bucquoy venus d'Artois et installés à Rožmberk, les Mensdorff-Pouilly – une famille de la noblesse lorraine établie à Boskovice, la famille de la Motte, les comtes de Harbuval Chamaré, ceux de Choiseul d'Aillecourt ou la grande famille aristocratique lorraine des Ficquelmont. Parmi elles, la famille Rohan occupe une place particulière, comme le raconte Marie Mžyková :
« La famille Rohan s'installe en Bohême au début du XIXe siècle. En 1820, Charles Alain Gabriel Rohan rachète le château baroque de Sychrov dans le nord de la Bohême, pour en faire une résidence familiale. Issu de la branche des Rohan-Guéméné, il remanie Sychrov en style néo-Renaissance et néo-gothique, selon le modèle du château de Josselin, en Bretagne. La maison de Rohan est l'une des plus puissantes familles du duché de Bretagne. A partir du XVIIe siècle, les princes Rohan utilisent le titre des princes étrangers, pour souligner leur rang de princes passant juste après les princes du sang. Dans le courant du XIXe siècle, les Rohan ont fait déplacer de France à Sychrov leur collection de portraits, une collection cachée pendant la Révolution française dans le palais Rohan-Soubise à Paris : un total de 240 tableaux. »Couvrant l'ensemble des intérieurs du château de Sychrov, la collection de portraits des membres de la famille Rohan et de souverains français est la plus grande hors de France. L'exposition qui se tient actuellement dans les écuries impériales du Château de Prague est la toute première occasion pour la présenter au grand public. Comme l'observe Marie Mžyková, depuis la création de la République tchécoslovaque en 1918, la France a cherché à étudier et à documenter cette collection, or la famille Rohan a refusé que des historiens français ne visitent Sychrov, ne pouvant pas oublier les raisons de leur émigration :
« En 1830, les Rohan sont les héritiers des biens royaux, suite à la mort, peut-être un suicide, du dernier membre de la branche aînée des Bourbons, Louis VI Henri, à condition toutefois de rentrer en France. Ils décident cependant de rester à Sychrov où ils sont naturalisés. Un des membres de la famille, le prince Camille de Rohan, se voit décerner le titre de citoyen d'honneur de la ville de Prague, pour ses activités à la tête de différentes associations scientifiques. »Des générations de familles nobles françaises, ayant un lien marital, territorial ou de sang avec la Bohême, ont enrichi leurs résidences à Rožmberk, Sychrov, Nové Hrady, Boskovice, Milotice et ailleurs de tableaux et de bibliothèques. Ils ont aménagé des parcs et introduit le style de vie de l'aristocratie française, ainsi que le français en tant que première langue des milieux nobles. C’est ce que souligne Marie Mžyková :
« Deux siècles durant, la France a eu une influence sur le style de vie des milieux aristocratiques. L'exposition est une occasion de présenter des objets d'usage quotidien inspirés de modèles français, dont des terrines en forme de perroquet, d'oiseau sauvage et de tête de chou. Fabriqués à l'origine dans les manufactures de faïence de Strasbourg, leur production est ensuite transférée dans la plus ancienne manufacture morave de Holíč et fabriquée ici sous la direction de Nicolas Germain de Strasbourg. Le rayonnement de la culture française commence avec l'ère du Roi-Soleil : le français est la langue de la noblesse cosmopolite. Toute l'Europe centrale ainsi que, par exemple, Saint-Pétersbourg, à l'époque la capitale de l'Empire russe, subissent l'influence de la culture française : on peut parler de deux siècles d'intérêt des élites pour la culture française. » Les liens artistiques franco-tchèques sont documentés par la création de la portraitiste Elisabeth Vigée Lebrun, elle aussi émigrée en Autriche-Hongrie. D'autres témoignages sont fournis par les tableaux de peintres paysagistes de l'Ecole de Barbizon et ceux de style troubadour qui ont influencé plus d'une génération de peintres tchèques du XIXe siècle.Le portrait de Pauline, princesse de Schwarzenberg, de François Pascal Simon Gérard, n'est pas méconnu des francophiles. Il a été ramené de France par Karl, prince de Schwarzenberg, ambassadeur de la monarchie autrichienne à Paris, dans son château d'Orlík, en Bohême du sud. Le 1er juillet 1810, le prince organise un bal en l'honneur des fiançailles de Napoléon avec l'archiduchesse autrichienne, Marie Louise. Parmi les invités, il y a la belle-sœur de l'ambassadeur, Pauline, qui trouve la mort dans un incendie qui se déclare dans la résidence autrichienne lors du bal. Marie Mžyková nous montre un autre portrait ayant un lien avec la Bohême :
« Le tableau représente le prince Jules-Armand Louis de Rohan qui était le premier époux de la comtesse Vilemína Zahaňská connue grâce au célèbre roman Babička (Grand-Mère) de Božena Němcová. En compensation de leur divorce, la comtesse a offert au prince Louis le palais Rohan dans la rue Karmelitská à Prague, actuel siège du ministère de l'Enseignement. » Les Heures de Rohan constituent un objet rarissime de l'exposition d'art français. Non, il ne s'agit pas d'une montre, mais d'un manuscrit richement enluminé exécuté autour de l'an 1500 à Rouen et amené par les Rohan au Château de Sychrov. Depuis la confiscation de leurs biens conformément aux décrets Beneš, l’œuvre est conservée à la Bibliothèque nationale de République tchèque. Composé par quatre enlumineurs, le manuscrit commence par un calendrier en français suivi des extraits des Evangiles et des prières traditionnelles de la liturgie en latin. Un fac-similé complet relié de cuir rouge a été édité à Prague par la Fondation Archa 90.Des montres, véritables, sont également représentées à l'exposition d'art français. On écoute Marie Mžyková :
« Certains objets proviennent de dons offerts par l'empereur Napoléon Ier aux diplomates. Parmi eux, un grand ami de Napoléon, puis son adversaire, le chancelier Clément-Venceslas de Metternich. La splendide montre Athéna exposée ici est à mettre en parallèle avec le même objet mondialement célèbre qui se trouve à la Maison Blanche à Washington. On ignore qu'un autre exemplaire de cette montre fait partie des collections de la famille Metternich au château de Kynžvart. »
En plus de cette montre, le château de Kynžvart en Bohême occidentale abrite des objets uniques ramenés de sa mission diplomatique à Paris par Richard Metternich et ceux offerts à ce dernier par Marie-Alexandrine Dumas, fille du célèbre romancier : des manuscrits d'Alexandre Dumas ainsi que quelques objets personnels dont notamment le bureau sur lequel Dumas avait écrit 160 vers de son adaptation inédite de Roméo et Juliette de Shakespeare. Mais il s’agit d’un autre chapitre de l'histoire.
Plus d'informations sur l'exposition « L'art français des collections artistiques » qui se tient au Château de Prague jusqu'au 23 février prochain sur : www.francouzskyrok.cz