A Prague, la fête des lumières veut montrer le potentiel contemporain du patrimoine
La première édition du Signal Festival, fête des lumières qui se tient ces jours-ci à Prague, permet de voir et considérer Prague, de nuit, sous un autre jour. Depuis jeudi et jusqu’à ce dimanche, installations et projections lumineuses ont en effet proposé au public une vision souvent très contemporaine de certains des espaces publics et du patrimoine architectural du centre de la capitale tchèque. Avec deux projets intitulés l’Hypercube et Défilé, le premier installé sur la place de la Vieille ville et le second projeté sur la façade du palais Hybernia, les collectifs français 1024 Architecture et AntiVJ comptaient parmi les principaux invités du festival. A cette occasion, deux de leurs responsables, François Wunschel pour 1024 Architecture et Romain Tardy pour AntiVJ, nous ont rendu visite dans nos studios. Après avoir évoqué concrètement leurs projets présentés à Prague, évocations diffusées dans nos programmes cette semaine, François Wunschel et Romain Tardy ont également parlé plus globalement de certains des aspects de leur travail ; un art relativement récent qui, selon eux, permet notamment d’envisager des villes musées comme Prague ou Paris sous un angle innovateur et même futuriste.
François Wunschel : « Nous avons tous besoin d’un ancrage historique dans nos vies de tous les jours. Par contre, ce qu’apportent nos installations, et c’est leur point commun, c’est la notion de mouvement, de dynamisme. Ce sont les moyens des technologies actuelles qui nous permettent de rajouter cette notion cinétique, de dynamisme, au patrimoine qui, lui, est statique. Dans deux cents ans, la place sera toujours la même, l’horloge astrologique sera toujours là. Par contre, nos installations ne durent que trois jours. Mais durant ces trois jours, cela permet de rajouter cette notion de mouvement qui est essentielle dans notre vie quotidienne. »
RT : « J’ajouterais qu’il est particulièrement intéressant d’intervenir dans un contexte historique de ce point de vue-là, parce que c’est vraiment là que l’on prend conscience que ce patrimoine se met en mouvement. Il ne tient qu’aux gens qui vivent à un instant T de les remettre en mouvement. Dans tous les cas, c’est dans cette démarche que nous nous inscrivons. »Vous êtes cependant également confrontés à des réactions négatives. De quel type sont-elles ?
FW : « Il y a toujours des réactions négatives dans toute œuvre. On appelle le public à prendre parti. Ceci dit, de par la nature même de l’œuvre, qui est éphémère, ça ne prête pas forcément à conséquence. Même si une partie du public va être en désaccord avec le parti qui a été pris, ce n’est pas grave. Dans trois jours, l’installation sera démontée et d’autres personnes vont se réapproprier le lieu d’une autre manière. C’est important et c’est ce qui donne une certaine légèreté à ces installations éphémères. »
Est-ce un confort pour vous ou regrettez-vous cet aspect ? Provoquer fait aussi partie du travail de l’artiste…
RT : « C’est intéressant, parce que dans la réaction des gens, on a effectivement un peu de tout. L’aspect spectaculaire fait qu’il y a un a priori positif. Mais je me méfie précisément de cet aspect spectaculaire qui est le côté un peu facile de l’installation. On travaille en grand format avec de la lumière, donc les gens quelque part n’ont pas trop le choix. Ils se retrouvent immergés dedans. C’est pourquoi nous avions conscience qu’il convient de trouver un rapport qui ne soit pas trop intrusif. Il ne s’agit pas non plus de transformer la ville en une kermesse géante. L’idée est quand même de mettre du sens dans ces travaux et de soulever des questions. Pour avoir travaillé par exemple en Corée du Sud ou en Chine, je pense qu’il y a un problème d’occupation de l’espace avec une quantité de lumière qui est phénoménale et qui n’est pas forcément pensée dans le sens des habitants. On est en présence de choses très agressives qui tournent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. On peut alors se poser la question si ça apporte vraiment un plus à la qualité de vie des gens, ce dont je ne suis pas convaincu. Il y a donc aussi ces enjeux-là dont nous sommes conscients. On peut se permettre par le caractère éphémère des installations d’être dans une forme de recherche, d’expérimenter des choses. Certaines installations plairont peut-être davantage au public, tandis que d’autres choqueront par certains aspects. Mais dans ce travail de recherche dans lequel on se situe, on se permet à notre échelle d’envisager quelles pourraient être certaines caractéristiques de la ville de demain. »Votre domaine d’activité est relativement récent. Envisagez-vous déjà ce qui pourrait encore se faire à l’avenir avec l’évolution des technologies ou êtes-vous totalement plongé dans le présent ?RT : « Ce n’est parce que l’on travaille beaucoup sur des formats éphémères que l’on est dans une vision à court terme des choses. Il y a aussi des collaborations qui commencent à se dessiner entre architecture et création d’images. Il y a une transversalité assez naturelle dans notre domaine qui tend à se consolider pour faire émerger des nouvelles formes. Personnellement, j’ai eu la chance il y a deux de mener un projet de projection permanente à la Hala Stulecia à Wroclaw en Pologne qui tourne toujours aujourd’hui. Il s’agissait d’une démarche pour travailler sur un format d’installation qui puisse justement créer ce lien entre patrimoine et art contemporain. La proposition dans ce lieu qui est fermé, ce qui rendait d’ailleurs l’installation possible, était de créer une pièce qui serait vraiment liée à l’architecture dans la durée et qui donc donnerait une nouvelle vie au lieu, tout en sachant que celui-ci est également toujours visible sans la projection. Ce sont donc deux moments qui sont complètement différents et l’architecture conserve naturellement toutes ses caractéristiques et toute sa validité. Mais ce qui est possible aujourd’hui, c’est aussi d’en proposer une version augmentée avec la projection. C’est précisément dans cette direction que je souhaite m’orienter : travailler sur des installations peut-être plus pérennes et pas nécessairement en extérieur dans l’espace public. Ce que j’aimerais engager, c’est une réflexion commune avec des urbanistes, des architectes pour voir comment on peut développer cette complémentarité entre le patrimoine et les technologies à une échelle plus large. »
FW : « La problématique qui est aussi la qualité de ce type de projets technologiques, c’est qu’ils utilisent justement la technologie. La technologie, elle, est en constante évolution. Il n’y a donc jamais d’acquis. On est toujours dans une vision à moyen terme de l’évolution de la technologie, et celle-ci va permettre de faire évoluer la discipline et d’ouvrir à un horizon plus large pour toutes les disciplines qui entrent en jeu pour la création d’un projet, que ce soit l’architecture, l’urbanisme, la vidéo projection, l’informatique ou le son. Toutes ces dimensions-là sont portées par la technologie, et c’est elle qui les transforme aussi au fur et à mesure. »RT : « Il y a un paradoxe assez important entre cette architecture séculaire et la vitesse d’évolution des technologies. C’est un rapport qui est parfois difficile à appréhender, y compris parfois pour nous qui sommes là-dedans. Une des façons de continuer à relier les wagons et de ne pas partir non plus dans quelque chose qui serait une sorte de vision complètement abstraite du monde, c’est de remettre évidemment les spectateurs au cœur de ce dispositif. C’est important quand on travaille à cette échelle-là et dans ce contexte public de ne jamais perdre de vue l’utilisateur final, le spectateur, qui n’a peut-être aucune connaissance de ce qui se fait dans ce domaine-là, et j’ai envie de dire que ce n’est même pas nécessaire pour pouvoir apprécier ce genre de travaux. »
Pourquoi les Français sont-ils les initiateurs dans cette technologie qu’est le mapping vidéo ?
FW : « C’est un peu par hasard. Il se trouve que nous étions un petit groupe en 2005-2006 à utiliser ces techniques. Je pense que le video mapping est une discipline fondamentalement européenne qui rayonne aujourd’hui dans le monde entier et qui a été réapproprié par la publicité et beaucoup d’artistes. C’est devenu un médium en soi. »
RT : « De tout temps, il y a eu à un certain moment des convergences artistiques et techniques dans certaines zones du monde, et ce bien avant Internet. Il y a aussi forcément quelque chose qui est dans l’air du temps. Il y a un rapport à l’accessibilité des technologies qui fait que plus ou moins à cette époque-là, et même avant, on a pu commencer même avec peu de budget à expérimenter avec des vidéo-projecteurs et à les amener en dehors d’une salle de projection. »
FW : « Mais si la discipline particulièrement du mapping video est européenne, c’est parce que nous avons en Europe du patrimoine architectural, et notamment des églises. Or, la question de l’usage de ces églises se pose à une époque où la religion a moins d’emprise sur notre société. Par contre, il reste le patrimoine bâti de cette religion et très vite s’est posée la question de comment se le réapproprier, comment l’utiliser, comment lui donner une nouvelle vie, un nouvel impact. »
RT : « Pour avoir participé à plusieurs projets dans des églises, je pense qu’il y a une façon différente d’utiliser certaines caractéristiques de l’architecture comme une église, c’est-à-dire que même si nous ne sommes pas spécialement croyants, ce sont des bâtiments qui imposent un certain calme, une certaine attention. Quand on entre dans une église, l’architecture est souvent écrasante, ce qui bien évidemment a été utilisé à d’autres fins en d’autres temps, et même encore aujourd’hui. Mais c’est aussi une caractéristique très intéressante si elle est utilisée dans un but artistique. Nous avons remarqué en travaillant dans des églises que la puissance de l’installation peut être démultipliée du simple fait d’être à l’intérieur de ce type de bâtiment. »