Lorsque monsieur met ses pantoufles, c’est madame qui porte la culotte
En ce jeudi 26 septembre, la Journée européenne des langues constitue une nouvelle occasion idéale de nous intéresser à d’autres petits mots et expressions intéressants de la langue tchèque. Pour cette fois, il sera question de deux mots dont on pourrait affirmer qu’ils caractérisent parfaitement, sans doute même jusqu’à la caricature, le mode et style de vie des Tchèques. Il s’agit de « bačkory » - chaussons, et « pantofle » - pantoufles, deux mots dont la signification, au propre comme au figuré, est bien plus vaste qu’on ne pourrait le penser de prime abord…
En exagérant quelque peu, et en tenant compte du fait que les écoliers portent eux aussi des pantoufles lorsqu’ils sont en classe tout comme certains employés de bureau (venez à la radio, on vous en montrera), on pourrait donc dire que les Tchèques passent leur vie dans leurs pantoufles « bačkory » (ou « bačkorky » pour les enfants). Une habitude comme une autre, après tout à chaque pays ses us et coutumes, pour autant peut-on affirmer que les Tchèques sont ce que l’on appelle en français des « pantouflards » ? Pas sûr…
Tout d’abord, notons qu’il existe un très bel équivalent tchèque de ce mot « pantouflard ». Pour désigner une personne casanière, les Tchèques parlent d’un « pecivál », un mot composé de deux éléments : « pec » pour le four et « vál » du verbe « válet se » - qui peut signifier « se vautrer, se fourrer » ou « traîner, flemmarder ». Un pantouflard tchèque reste donc chez lui bien au chaud, dans ses chaussons bien naturellement, mais aussi « assis derrière son four », comme nous le confirme d’ailleurs la traduction de l’expression relativement courante « sedět za pecí ».C’est une évidence. En français, le mot « pantouflard » est un dérivé de « pantoufle ». En tchèque, il existe deux mots pour désigner un chausson ou une pantoufle (et même trois avec « papuč »), dans les deux cas, selon le Petit Larousse illustré en lambeaux qui traîne dans nos bureaux, une chaussure d’intérieur sans talon. Il s’agit donc du mot « bačkora » et « pantofel ». Pas besoin d’avoir fait de longues et fastidieuses études de la langue de Karel Čapek pour reconnaître (à l’œil nu) lequel des deux est tchèque (en réalité, il ne s'agit que d'une apparence, car « bačkora » provient du hongrois « bocskor ») et l’autre d’origine étrangère. « Pantofel » est donc arrivé dans les pays tchèques comme beaucoup d’autres mots en provenance de l’allemand, qui avait, lui, emprunté à l’italien « pantofola », qui proviendrait, lui, paraîtrait-il, du vieux grec « pantofellos », qui lui-même… bref, en tchèque, « pantofel »équivaut à une « bačkora ». Certains spécialistes pantouflards – « peciváli », prétendront peut-être qu’il existe des nuances, nous concernant, nous n’avons pas cette prétention.
Ce qui nous intéresse en revanche beaucoup plus, c’est le mot « podpantoflák ». Et celui-là, bien que sa racine « pantofle » soit étrangère, il est bien tchèque ! Avant de nous lancer dans son décorticage en règle, précisons d’abord qu’un « podpantoflák » n’est pas un pantouflard qui flemmarde derrière son four. Un « podpantoflák », ou si vous préférez un Tchèque « pod pantoflem », littéralement « sous la pantoufle » n’est donc pas un « pecivál », c’est… une « bačkora ». Attention, et n’en perdez pas votre latin ou votre tchèque, pas une « bačkora » dans le sens de chausson ou pantoufle, mais plutôt dans le sens de poule mouillée, faiblard. En un mot, ce n’est pas un vrai homme.Un homme qui est donc « sous la pantoufle » est un homme, un mari, qui, à la maison, est sous la domination de sa femme. Madame ne veut pas que monsieur regarde le match de foot ? Monsieur ne regardera pas. Madame ne veut pas que monsieur aille boire une bière avec ses collègues après le boulot ? Monsieur rentrera à la maison. Madame veut aller faire des courses samedi après-midi ? Monsieur l’accompagnera. Le tout sans râler, sans piper mot, sans forcément être malheureux, finalement peut-être même bien heureux que l’on prenne les décisions à sa place. Ainsi vit donc l’homme que les Tchèques appellent « podpantoflák » ou, un peu moins couramment, « bačkora » : les pantoufles aux pieds et sous la pantoufle d’une femme qui en quelque sorte, comme le veut l’expression cette fois française, « porte la culotte » et assure ainsi ce qui est considéré (ou était considéré) comme le rôle de l’homme dans le couple et en possède l’autorité…
Une femme qui porte une culotte, rien de plus normal, nous direz-vous. Sauf qu’il faut ici comprendre le mot « culotte » dans le sens de pantalon, l’expression remontant, semble-t-il, au XVIIIe siècle, quand, effectivement, les femmes n’avaient pas trop le droit de parole et portaient des robes… Tout cela nous amène, raccourci de l’histoire aidant, au thème de notre prochain « Tchèque du bout de la langue » : la culotte de survêtement - « tepláky », une autre spécialité vestimentaire non seulement du pantouflard tchèque et du « podpantoflák », mais aussi bien souvent de sa femme et plus généralement de toute la petite famille tchèque. En attendant cette fascinante découverte, pantoufles ou pas aux pieds, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !