Des frontières en béton et en acier
L'exposition « Des frontières en béton et en acier » inaugurée devant le siège de l'état-major général de l'armée tchèque à Prague-Dejvice rappelle l'histoire du système de fortifications édifiées dans les années 1935 - 1938 le long de la frontière nord de la Tchécoslovaquie : près de 10 000 constructions en acier et en béton inspirées du modèle de la ligne Maginot, et destinées à la défense du pays après la mobilisation générale décrétée il y a tout juste 75 ans, le 23 septembre 1938.
Entre la Tchécoslovaquie et la France, il existe à l'époque une coopération étroite et des stages d'experts sont effectués dans la région fortifiée de la Trouée de la Sarre, ainsi que le détaille Eduard Stehlík :
« Déjà en 1934, des experts tchécoslovaques se sont rendus en France, il s'agissait alors d'un groupe de militaires avec à sa tête le général de brigade František Havel. Plus tard, la République tchécoslovaque a demandé l'envoi d'experts français pour qu'ils nous aident à prospecter le terrain et à choisir l'endroit le plus convenable pour la construction des fortifications. On peut dire que nos experts se sont inspirés de la France en ce qui concerne le système des tirs latéraux, les types d'armes, les tours blindées et l'aspect extérieur des fortifications. Quant à la construction en elle-même, on a invité les meilleurs experts du pays tels que le professeur Bechyně, spécialiste en matière de génie civil et des constructions en béton armé. L'usine Škoda, fournisseur de matériaux, était une marque de renom. Tous ces spécialistes sont venus avec une série de perfectionnement. Ainsi, de nouveaux types d'acier, plus résistants que ceux de fabrication française, ont été développés. »Une ligne longue de 263 kilomètres a été tracée le long de la frontière nord de la Tchécoslovaquie, depuis les monts des Géants jusqu'à la principale métropole de la Moravie du nord, Ostrava. Un total de 10 000 fortifications dont la plupart sont des fortifications légères, les fameux blockhaus. Pendant combien de temps ces fortifications devaient-elles être capables de résister ? On écoute Eduard Stehlík :
« Il n'était pas prévu que chaque ouvrage du secteur fortifié lutte pour soi -même : le système de fortifications était basé sur le principe des tirs latéraux. Il s'agissait d'une ligne ininterrompue de fortifications capables de se protéger mutuellement. Chaque ouvrage était conçu pour une trentaine de soldats. L'équipement comprenait deux canons antichars et plusieurs mitrailleuses lourdes et légères. Chaque ouvrage était autosuffisant quant à l'eau. On y retrouve des chambrées pour la troupe, une cuisine, une infirmerie, une centrale de production d'électricité, sans oublier une salle de filtres à air permettant de protéger les soldats en cas d'attaque au gaz. Chaque ouvrage, s'il se retrouve isolé, devait être capable de résister pendant une ou deux semaines, suivant la situation. »
La ligne ne devait tomber à aucun prix. Pour qu'il en soit ainsi, sa protection a été renforcée par les forteresses d'artillerie et les obstacles antichars, comme le note l'historien Stehlík :« Un système d'obstacles antichars et antipersonnels faisait partie de la protection. Parmi eux, l'obstacle dénommé Hérisson tchèque s'est inscrit dans l'histoire en tant qu'obstacle spécial développé par des experts tchèques. On a pu le voir par exemple dans le film Sauvez le soldat Ryan à Omaha Beach. Hélas après l'occupation de la Tchécoslovaquie, il a été largement utilisé par l'armée allemande. Ainsi, il est apparu sur les plages de Normandie. »
Josef Načeradský, qui vient de fêter ses 100 ans, est l'un des rares participants directs à la mobilisation présent à l'inauguration de l'exposition. En 1938, Josef Načeradský a servi dans le régiment d'infanterie 48 appelé « Yougoslavie. » Stationné dans une fortification lourde près de Náchod, il s'en souvient :
« J'ai servi en tant que deuxième aide de camp. Il y avait un commandement commun pour deux régiments, et je me souviens que nous étions de garde chaque nuit. »Les soldats, les officiers, tous les hommes mobilisés ont été déterminés à défendre le pays. Après le diktat de Munich, l'ordre de démobilisation a été donné et ils ont été contraints de quitter les fortifications. Jusqu'à présent, l'opinion reste partagée sur la question de savoir si la Tchécoslovaquie devait se défendre contre le diktat de Munich, en 1938. Quant à Josef Načeradský qui a servi plus tard dans un département de contre-espionnage, sa réponse est clairement négative:
« Dans le département de contre-espionnage, j'ai compris que les Allemands étaient au courant de tous nos systèmes de défense. Ils attendaient ce qui allait arriver, quelle serait la réaction de notre partie. En cas de résistance, quelques heures leur suffiraient pour nous liquider avec leurs avions. »Pendant l'occupation nazie, Josef Načeradský a pris une part active à la résistance nationale. Arrêté par la Gestapo, il a subi des interrogatoires brutaux. Quelques jours avant la fin de la guerre, il a été déporté dans la petite forteresse de Terezín avec la mention « liquidation » :
« Le 3 mai encore, ils ont tué beaucoup de personnes, dont nos camarades. Nous avons appris la date de notre exécution et on nous a dit que nos tombes avaient été creusées par des Juifs obligés d'effectuer ce genre de travaux. »
La question de savoir si la Tchécoslovaquie devait se défendre, en 1938, a été posée la veille de l'anniversaire de la mobilisation, le 23 septembre, également par le quotidien Lidové noviny. Des historiens interrogés par ce journal ont été unanimes pour dire qu'en cas de refus des accords de Munich, la Tchécoslovaquie aurait eu contre elle l'Europe toute entière, car celle-ci nourrissait un espoir que la guerre puisse ainsi être évitée. Refuser le 30 septembre 1938 le diktat de Munich serait un suicide, résume le journal.