La musique dans le cinéma tchèque de la Normalisation
Voici quelques temps, nous avons entamé avec ce dimanche musical une série consacrée à la musique dans le cinéma tchèque. Après avoir parcouru l’oreille grande ouverte la décennie 1960, marquée par un renouveau exceptionnel du 7e art en Tchécoslovaquie, nous poursuivons logiquement avec les vingt années suivantes. Après 1968 et l’invasion des troupes du pacte de Varsovie, les communistes orthodoxes reprennent en main tous les secteurs de la société, les épurant des éléments ayant participé de près ou de loin au Printemps de Prague : c’est alors la période dite de Normalisation. Le cinéma en est l’une des victimes. De nombreux films sont interdits « à jamais » et les studios de production sont désormais surveillés de près. Aussi, de 1970 jusqu’à la chute du régime communiste en 1989, la cinématographie tchèque et slovaque est relativement pauvre. Deux genres mineurs vont se distinguer : le conte, toujours très populaire de par ces contrées, et les comédies.
Les films relevant du genre de la comédie entre 1970 et 1989 doivent beaucoup à un duo drolatique, prolifique et imaginatif, Zdeněk Svěrák et Ladislav Smoljak, le premier s’occupant généralement du scénario et le second de la réalisation. Les deux hommes, membres fondateurs du théâtre de Jára Cimrman, sont aux génériques d’un certains nombre de comédies souvent très drôles mais à la qualité inégale. Certaines sont assez médiocres, d’autres magistrales. Dans cette dernière catégorie, il faut immanquablement placer le film « Vrchní prchni ! » (Enfuie-toi serveur !) dont est tiré la chanson « Severní vítr » (Le vent du nord) que signent Zdeněk Svěrák et un autre de ses complices, Jaroslav Uhlíř.
On retrouve Smoljak, Svěrák et Uhlíř au scénario et à la musique de la comédie musicale Trhák. Son titre signifie « Film à succès » en français, ce qui n’est pas forcément justifié à la vue des critiques mitigées qu’il a suscitées. Il recèle toutefois d’agréables comptines que nous vous proposons d’écouter.Nous restons avec des têtes connues avec une autre comédie, sortie en 1977, qui n’est pas forcément entrée dans les annales, « Což takhle dát si špenát », avec Václav Vorlíček à la réalisation, et Zdeněk Svěrák et Jaroslav Uhlíř à la baguette pour la composition de la chanson-titre. Ce sont également ces deux compères qui signent « Vadí, nevadí » (C’est grave, ce n’est pas grave), morceau entendu dans l’agréable « Tři veteráni » du cinéaste à succès Oldřich Lipský.
A l’image du cinéma tchèque et slovaque dans les années 1950, la censure se fait très pressante dans les deux décennies qui nous intéressent avec cependant une légère accalmie à la fin des années 1980. Comme souvent en pareil cas, les cinéastes se rabattent sur des genres « mineurs » moins contrôlés et où ils disposent d’un peu plus de liberté. Les comédies prolifèrent donc, on l’a vu, mais également les contes, qui rencontrent un succès jamais démenti auprès de générations de Tchèques et de Slovaques. « Noc na Karlštejně (La nuit à Karlštějn) est sans doute le plus emblématique d’entre eux. Diffusé en 1974, le film évoque avec pléthore de chansons le château de l’empereur et roi Charles IV, dont l’accès est interdit aux femmes.Autre conte « légendaire », tout du moins en terres tchèques, le film « Tři oříšky pro Popelku » (Trois noisettes pour Cendrillon) fait partie de ces œuvres que tout enfant se doit de regarder une bonne dizaine de fois. Du reste, il n’a pas vraiment le choix, puisque les chaînes de télévision ne se gênent pas pour le rediffuser à l’infini.
Les années 1980 voient également déferler des hordes de synthétiseurs, pour le meilleur et pour le pire. Figure emblématique de cette révolution musicale, Michal David participe aux bandes originales de nombreux films. Il est par exemple responsable de « Discopříběh » (Histoire disco en français) et il est conseillé aux âmes sensibles d’éloigner leurs oreilles de leur poste quand les premières notes digitales de ce morceau de bravoure se font entendre.« Bony a klid » est également un film typique des années 1980, intéressant pour sa bande-son surréaliste. Scénarisé par Radek John, l’histoire raconte le destin de petits mafieux, vivant notamment du trafic de devises dans la capitale tchécoslovaque, et comporte donc un aspect critique envers le régime communiste. Sans doute pour illustrer cela, le réalisateur a choisi d’utiliser de la musique américaine, en l’occurrence Franky goes to Hollywood, dont il utilise deux morceaux. Il les use même jusqu’à la corde. La chanson Relax (Don’t do it) passe ainsi littéralement en boucle, interrompue seulement lors de scènes sentimentales avec la ballade The power of love, pour un résultat surprenant.Ceci n’est qu’un aperçu, que l’on espère représentatif, des musiques de film des années 1970 et 1980. L’incontournable Karel Gott est par exemple également l’auteur d’un grand nombre de chansons destinées au cinéma. Lors d’une prochaine émission de ce dimanche musical, nous reviendrons sur la musique dans le cinéma tchèque contemporain.