Inégalité femmes-hommes : l’autre facette de la réforme des retraites
La réforme des retraites approuvée par le gouvernement de Petr Nečas reste un sujet de controverses. L’ancien Premier ministre défendait encore le nouveau système à peine un mois avant sa démission, en mai 2013, lors de la conférence sur l’avenir du système des pensions. Cependant, malgré de vifs débats sur la portée des différentes mesures, un aspect a systématiquement été omis. Il s’agit de l’impact différencié qu’ont ces réformes sur le niveau de vie des femmes et des hommes à la retraite. Radio Prague a interrogé Radka Dudová, spécialiste de l’Institut de sociologie à l’Académie des Sciences, pour y voir plus clair.
« Parce que l’impact en fonction du sexe est différent et personne ne l’a jamais vraiment étudié. Surtout, il n’y avait pas de discussion à ce sujet dans l’opinion publique. Il y avait beaucoup de discussions politiques et publiques sur la façon de faire la réforme, mais jamais on ne s’est posé la question d’égalité entre les sexes. L’impulsion est venue des organisations féministes avec l’intention de comprendre quelle influence aura la réforme des pensions sur des groupes différents. Mon intérêt a été d’ouvrir ce débat. »
Les réformes de retraites s’inscrivent dans une certaine continuité du débat public depuis les années 1990. Sorti du régime communiste, le pays a été confronté à la question de la pérennité du régime des retraites et très vite également au problème de son financement. Radka Dudová explique la situation de départ et quelles ont été les impulsions pour le changement :
« Le système qui existait ici jusqu’à 1996 était très redistributif, il l’est toujours, mais pas autant. Dans ce système, il y avait également beaucoup de redistribution aussi des hommes vers les femmes. Et le débat qui s’est ouvert dans les années 1990, portait sur la nécessité de changer le système pour qu’il reflète mieux le niveau des contributions, pour que cela soit mieux reflété dans le niveau des prestations. Ce n’était pas illégitime, mais on ne s’était pas posé la question de ce que cela voulait dire en pratique pour des groupes différents. Il y a avait un peu une discussion sur l’impact que cela aurait pour des gens ayant des salaires très bas, pour les pauvres et pour les riches, mais on n’a jamais discuté que les femmes, lesquelles constituent un groupe spécifique, parce que leurs salaires sont toujours plus bas que les revenus moyens des hommes. Leurs carrières sont très différentes aussi, elles ne sont pas tellement continues, elles font des arrêts pour s’occuper des enfants, elles prennent des travails moins rémunérés. Plus le niveau des cotisations est reflété dans le système des retraites, plus cela reflète aussi la situation sur le marché du travail et les inégalités qui existent sur ce marché. Et donc, ce nouveau système este moins avantageux pour des femmes si on le compare avec celui qui existait auparavant. »
En résumé, le renforcement du lien entre ce que l’on cotise et le niveau des pensions de retraite fait ressurgir les inégalités, et notamment entre les sexes, qui existent sur le marché du travail. Ainsi, selon les statistiques de l’Administration tchèque de sécurité sociale (ČSSZ) du juillet 2013, l’écart dans les niveaux de retraite est environ de 18 % au profit des hommes. Ils touchent en moyenne 12 100 couronnes (480 euros) par mois contre 9 900 couronnes (400 euros) pour les femmes. Ce qui pose problème, ce n’est pas tant l’écart entre les retraites que le montant très bas des pensions. En conséquence, même une petite modification peut signifier pour certaines personnes le franchissement du seuil de pauvreté. Radka Dudová fournit une illustration sur la base d’une comparaison à l’échelle européenne :« J’ai vu une comparaison avec les pays de l’UE. Le niveau moyen des pensions en Europe correspond à 200 % du seuil national de pauvreté pour les hommes, et pour les femmes ce chiffre est de 120 %. L’écart entre les retraites des femmes et des hommes est donc plus grand dans d’autres pays. Mais en Tchéquie, les hommes touchent des pensions qui correspondent en moyenne à 122 % du seuil de pauvreté et les femmes seulement à 106% de ce seuil. Quand on voit ces chiffres-là, cela prend une importance différente. Même si les écarts sont plus petits, ils ont beaucoup d’influence sur la vie des personnes, et si on continue dans la direction qu’on a prise et que les écarts s’accroissent, il faut savoir que cela aurait un impact très important sur les femmes. »
La réforme du gouvernement de Petr Nečas consistait d’une part en un changement des paramètres de calcul du montant de la pension - parmi les éléments les plus importants se trouve la prolongation des années de cotisation obligatoires, qui est de trente-cinq ans actuellement -, ainsi que le renforcement du lien entre ce qu’on cotise et ce qu’on reçoit en prestations. D’autre part, il s’agissait de mettre en place un système d’épargne privée, appelé le second pilier. Celui-ci n’est pas obligatoire, mais une fois choisi, la personne doit cotiser sur son compte individuel deux pour cent de son salaire accompagné d’un soutien de l’Etat jusqu’à son entrée à la retraite. Radka Dudová considère que ce système est clairement moins avantageux pour les femmes :
« En tous cas, pour moi c’est bien évident que ce système est moins avantageux pour les femmes que pour les hommes. Parce que les femmes ont des revenus plus bas, et donc elles peuvent moins épargner. Elles ont aussi des carrières discontinues et donc elles ne peuvent pas travailler aussi longtemps. Il y a des périodes où elles n’ont aucun revenu ou bien elles ont des revenus plus bas, parce qu’elles ont d’autres obligations et ont donc d’autres priorités que de faire des économies pour la retraite. Leur situation est plus difficile dans ce sens. Cela ne concerne pas toutes les femmes, mais c’est vrai pour un groupe pour important que chez les hommes, si on prend le groupe en moyenne, il est plus difficile pour les femmes de faire ces économies-là. »Le système du second pilier correspond donc à un système par capitalisation, qui obéit plus à une logique d’épargne que d’assurance où les risques sont mutualisés, ce qui définirait mieux le système par redistribution. En analysant l’impact différencié de la réforme sur les deux sexes, Radka Dudová s’est aperçue que le fait d’entrer dans le second pilier est également moins avantageux pour des femmes qui touchent des salaires égaux ou supérieurs aux hommes :
« Si on prend une femme et un homme dans un même groupe de revenus, le système sera toujours plus désavantageux pour les femmes. D’abord, si elles décident d’avoir des enfants, le temps qu’elles consacrent à s’occuper de ces enfants, dans le système public, est compensé partiellement, et il est comptabilisé. Tandis que dans le système privé, si les femmes arrêtent d’épargner, elle n’a pas l’obligation de cotiser pendant le temps qu’elle passe à s’occuper des jeunes enfants, mais cela veut aussi dire que la retraite serait plus basse. »
Même si une femme n’a pas d’enfants et gagne autant qu’un homme au même poste, elle aura toujours une retraite plus faible, tout simplement, parce que son espérance de vie est plus longue que celle des hommes. Radka Dudová :
« Après avoir pris votre retraite, vous pouvez utiliser vos économies et vous devez faire un choix sur la façon d’utiliser cet argent. Soit vous choisissez la rente viagère : jusqu’à votre mort on vous paie une prestation qui reste la même, ou vous pouvez choisir une rente de vingt ans. Donc on divise l’argent que vous avez par vingt et pendant vingt ans vous recevez la somme qui en résulte. Le problème c’est que pour les hommes, il est plus avantageux de choisir la rente de vingt ans, parce que leur espérance de vie correspond à cela, donc ils peuvent être sûrs de bien profiter de l’argent qu’ils avaient économisé et s’ils meurent plus tôt, l’argent peut bénéficier à leur(s) héritier(s). Tandis que pour les femmes, cela n’est pas très avantageux, parce que leur espérance de vie est plus longue et elles risquent de se retrouver seulement avec une pension publique, laquelle est réduite par le fait que ces femmes étaient partiellement sorties de ce système public, et elles risquent de voir leur niveau de vie tomber progressivement quand elles atteignent quatre-vingt-cinq ou quatre-vingt-dix ans. »Dans ce système, tous les hommes sont incités à opter pour la rente des vingt ans, et si les femmes le font aussi, elles ont un risque plus important de se retrouver dans la précarité à la fin de leur vie. Ou bien, elles choisissent la rente viagère, mais celle-ci sera alors redistribuée uniquement parmi les femmes. En résumé, si une femme souhaite avoir la même prestation qu’un homme, il faut qu’elle cotise plus car elle vit en moyenne plus longtemps.
Dans la rhétorique souvent entendue au sujet de la réforme des retraites, il serait normal de voir les femmes recevoir une pension plus basse, parce que ce serait tout simplement ce qu’elles « auraient mérité » après une carrière plus courte et discontinue. L’approche de Radka Dudová est justement singulière dans le sens où elle décide de ne pas utiliser ce paramètre, mais de prendre plutôt en compte le niveau de vie et le risque de se retrouver dans une situation précaire ou même en-dessous du seuil de pauvreté :
« Pour certains, c’est comme si la question du niveau de vie ou de la pauvreté au troisième ou quatrième âge ne se posait pas. Pour eux, la retraite est l’affaire de la famille ou des épargnes privées qui doivent régler cette situation. Vraiment, c’est une autre optique et c’est donc difficile de discuter après. »
Comme l’affirme Radka Dudová, le débat s’annonce difficile sur ces aspects parce que les deux perspectives correspondent à des logiques très différentes. Il n’en reste pas moins que les femmes sortent perdantes de cette introduction de l’épargne privée dans le financement des retraites, ce qui explique peut être le faible intérêt des citoyens tchèques pour ce second pilier.L’étude de Radka Dudová, sollicitée par l’association Gender Studies, est disponible en langue tchèque en ligne sur le site www.genderstudies.cz.