Festival Tanec Praha : l'identité et le combat pour la liberté au cœur du spectacle d'Akram Kahn
La 25e édition du Festival international de danse contemporaine (Tanec Praha) s’est achevée à Prague jeudi dernier avec un spectacle d’Akram Khan, danseur et chorégraphe britannique. Fondatrice et directrice de Tanec Praha, Yvona Kreuzmannová, est revenue au micro de Radio Prague sur cette édition anniversaire du festival.
« Pour moi, cette édition a été quelque chose de vraiment extraordinaire, parce que nous avons planifié le vingt-cinquième anniversaire avec de nombreux artistes des pays qui ont influencé le développement de la danse contemporaine dans notre pays ces vingt dernières années. Tanec Praha a fait d’énormes progrès aussi bien dans la programmation que dans le programme éducatif. Le programme se déroule également dans les régions et pas seulement à Prague. Nous avons aussi progressé au niveau du public. »
En 2013, le thème principal du festival était la réminiscence ; l’occasion pour les organisateurs de rendre hommage aux personnalités qui ont influencé les tendances dominantes de la danse contemporaine tchèque. Yvona Kreuzmannová :
« Cette année, nous avons une ligne de programmation qui va dans le sens de la réminiscence – nous sommes revenus vers les artistes qui ont influencé notre public, comme Maguy Marin, Ohad Naharin, les grandes personnalités de la danse. Nous avons aussi invité des gens qui ont travaillé ici en Tchéquie, comme Karine Pontier qui est d’origine française. Nous avons aussi invité Hervé Diasnas, qui malheureusement n’a pas pu venir, mais nous avons fait une vidéo souvenir des années 1990 pour l’ouverture du festival. Tout ça, c’est très important, parce qu’il y a des artistes qui ont vraiment marqué la scène publique tchèque de la danse. »Tanec Praha fait découvrir au public tchèque les nouvelles tendances dans la danse contemporaine et dans le théâtre de mouvement. Il est devenu un des rendez-vous incontournables de la danse dans le pays. Créé après la révolution, le festival s’est établi au fur et à mesure. Il a été témoin du chemin difficile qu’a parcouru la danse contemporaine en République tchèque. Proscrite sous le régime communiste, notamment parce qu'elle prônait l’épanouissement individuel, la danse contemporaine n’est apparue que dans les années 1990. Même si la danse reste aujourd’hui encore sous-financée par rapport à d’autres domaines artistiques, avec 9 millions de couronnes alloués à l’ensemble de la discipline en 2012, Yvona Kreuzmannová considère que les progrès sont néanmoins considérables :
« En principe, la danse contemporaine en République tchèque a fait un progrès énorme, on ne peut pas vraiment faire une comparaison entre les années 1990 et maintenant. C’est une vingtaine d’années d’énormes progrès et beaucoup d’expérience accumulée dans la coopération internationale. Plusieurs artistes qui ont travaillé en Tchéquie, ou des artistes tchèques qui ont travaillé à l’étranger et sont revenus, ont aidé à développer une scène très riche dans laquelle il y a beaucoup de diversité. Il ne s’agit pas seulement de la danse pure, il y a aussi beaucoup de théâtre du mouvement, de danse physique, etc. »
Lors de sa création, le festival a non seulement dû faire face à des problèmes de financement, mais également à l’absence de public pour ce type de spectacles. Là encore, l’évolution a été importante. Yvona Kreuzmannová :
« C’était assez dur dans les premières années du festival parce qu’on n’avait pas de public. Sous le régime communiste, la danse contemporaine n'existait pas au niveau professionnel. Il y avait uniquement l’école du ballet russe classique et le folklore. Nous avons dû remplir ce vide et développer le public spécifique pour la danse contemporaine. Pour moi, il ne s’agit pas uniquement du public de la danse. A Prague, il y a beaucoup de public pour la musique, pour le théâtre, il y a une forte tradition des arts vivants et la danse doit en faire partie au même niveau. Jusqu’à aujourd'hui, je ressens un peu une discrimination de notre branche. »Quels défis se présentent à la danse contemporaine en République tchèque ? Yvona Kreuzmannová estime que les vingt-cinq années n’ont pas encore été suffisantes pour le développement de structures permettant l’encadrement des jeunes artistes. Ainsi, un accent sur l’éducation permettrait de mieux utiliser le potentiel de la nouvelle génération des danseurs en République tchèque. Si des scènes se sont ouvertes à la danse contemporaine, il faudrait maintenant donner de l’espace à la recherche et au travail dans les studios :
« En 2001, nous avons ouvert le théâtre Ponec, qui est un espace ouvert pour la danse contemporaine. Puis, plusieurs autres espaces ont été créés, comme le studio Alta, Alfréd ve Dvoře ; le théâtre Archa est également ouvert à la danse contemporaine, même si ce n’est pas la programmation de base. Avec l’espace, il faut aussi trouver plus de studios. Nous sommes dans une nouvelle étape : après vingt années, nous essayons de trouver un espace pour une vraie maison de la danse. On ne sera jamais comme à Lyon ou comme d’autres maisons de la danse, mais on veut aussi trouver des espaces différents pour les studios et pour la recherche, parce que la location des studios coûte très cher et ne permet pas d’avoir des conditions de travail idéales. » Pour compléter ce regard sur la 25e édition du festival Tanec Praha, évoquons le spectacle phare de la saison : DESH d’Akram Khan, un chorégraphe et danseur britannique aux origines bengalies. Le mot DESH signifie « patrie » en bengali. En 2012, le spectacle a reçu le prix Laurence Olivier pour la meilleure production de danse. C’est une œuvre autobiographique qui s’interroge sur des concepts comme l’identité, la nation, l’assimilation ou encore la résistance. Excellent dans l’utilisation de nouvelles technologies, le spectacle se trouve à la frontière avec d’autres disciplines artistiques comme la scénographie, la musique ou encore le travail avec la lumière. Il combine la grandeur avec l’intimité, met en scène un voyage dans l’espace, alterne un état de rêve avec la réalité et reflète la communication intergénérationnelle. Bien que les répliques soient entièrement en anglais et en bengali, le public tchèque a apprécié le spectacle avec des ovations debout. Yvona Kreuzmanová complète :« C’est un des meilleurs spectacles que j’ai vus ces dernières années. La façon dont Akram Khan, Britannique d’origine bengalie, a redéfini son identité culturelle et personnelle est extraordinaire. Dans son travail, il part de dialogues oubliés parmi différentes générations : nous et nos enfants, nous et nos parents et nos grands-parents. Il pose la question de savoir quelles sont les sources de notre identité. Akram Khan touche des sujets très actuels du Printemps arabe, ce qui a fait naître en moi un fort sentiment de ce qu’est notre responsabilité pour la liberté. » Pour les spectateurs qui attendraient d’ores et déjà avec impatience l’édition 2014 du festival Tanec Praha, Yvona Kreuzmannová donne de quoi se réjouir :« Nous discutons beaucoup avec Marie Chouinard, qui veut revenir à Prague. Sa participation nous ferait très plaisir, parce qu’elle veut faire aussi son propre solo. Sa compagnie est déjà venue deux fois à notre festival, à chaque fois avec un succès énorme. C’est donc l’événement de l’année prochaine. »