Travailleurs pauvres, un nouveau phénomène en République tchèque
Ils se rendent chaque jour au travail, beaucoup d’entre eux travaillent même très dur, et pourtant ils restent dans la pauvreté ou au seuil de celle-ci en raison de la faiblesse de leurs revenus. Il est question ce que l’on appelle les « working poors » - les travailleurs pauvres. Si ce sujet est d’actualité en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Autriche de longue date déjà, il s’agit d’un phénomène relativement nouveau en République tchèque.
« Ce phénomène des travailleurs pauvres est plutôt quelque chose de nouveau. Il ne s’est répandu que depuis quelques années, et il s’est perdu dans les statistiques qui réfèrent aux employés en général. Le salaire minimum en République tchèque est de 8 000 couronnes, soit un peu plus de 300 euros par mois. Il stagne grosso modo depuis 2007, tandis que l’inflation, elle, ne cesse d’augmenter. Évidemment, tous ceux ou presque qui perçoivent le salaire minimum tombent dans la catégorie des travailleurs pauvres. »
En faisant référence à la France, Jan Keller précise quelques raisons du développement de cette catégorie de la population active :
« Nous classons dans cette catégorie les travailleurs dont le salaire représente moins de deux tiers de la médiane des salaires dans le pays donné. On sait que la médiane est la valeur qui permet de couper l’ensemble de n’importe quelle valeur en deux parties égales. En République tchèque, la médiane du salaire pour une heure de travail est actuellement de 4,5 euros. En comparaison, la médiane fait presque 14 euros en France. Cela veut dire que les travailleurs pauvres en République tchèque gagnent moins de 3 euros pour une heure de travail. Une des raisons pour lesquelles le nombre de working poors est si considérable chez nous est qu’il y a beaucoup de personnes sans aucune qualification. »La pauvreté menace 29 % des personnes sans qualification dans l’Union européenne, mais elle en menace plus de 41 % en République tchèque. Une situation qui serait due notamment à la suppression presque totale du système des centres d’apprentissage. Jan Keller évoque une autre raison de l’augmentation du nombre de travailleurs pauvres :
« Un des autres facteurs est aussi le soi-disant ‘spar système’ (un plan d’économies, ndlr), qui se propage dans notre économie. Dans ce système, les travailleurs cessent d’avoir les droits des employés, ils deviennent une sorte d’ouvriers saisonniers, et on sait que les revenus des saisonniers sont toujours plus que modestes. »
La flexibilité du marché du travail et celle de l’individu lui même, souvent requise par l’employeur, forment à elles seules une autre constituante du phénomène des travailleurs pauvres. Jan Keller interprète cette flexibilité sous une autre forme :« Vous avez parlé de la flexibilité du marché de l’emploi, je suis persuadé que c’est seulement un autre mot pour désigner la transmission des risques du marché des firmes aux travailleurs, soit aux employés, soit aux travailleurs saisonniers. »
Sachant qu’une femme sur quatre est touchée par ce phénomène, Jan Keller évoque également un autre aspect, plus large, du problème :
« On parle de plus en plus souvent des nouveaux risque sociaux. Ce sont des risques qui touchent surtout les gens pauvres, les gens moins qualifiés, les immigrés, et ils touchent les femmes plus souvent que les hommes. Être un travailleur pauvre, ou plutôt une travailleuse pauvre, voilà un des cas les plus symptomatiques des nouveaux risques sociaux. Au contraire, les hommes de 30 ou 40 ans, et surtout les familles sans enfants, sont rarement touchés par ces risques et ne tombent pas dans la catégorie des travailleurs pauvres. La population tchèque le sait parfaitement et je suis persuadé que c’est à cause de cela que les Tchèques sont en train de s’éteindre. »
Actuellement débattue par les politiciens, une éventuelle augmentation du salaire minimum de 300 à 400 couronnes (de 12 à 16 euros) ne résoudrait pas le phénomène de précarité grandissante. Mais en considérant la situation économique actuelle du pays, doubler le salaire minimum est pour l’heure chose inimaginable, et ce bien que les analystes mettent en garde contre l’accroissement de cette catégorie. Dans la mesure où l’emploi crée des habitudes sociales et permet une meilleure intégration de l’individu dans la société, il en va de l’intérêt de celle-ci que l’écart entre le revenu d’une personne qui travaille et celui d’une personne au chômage soit le plus grand.