65 ans depuis le Coup de Prague : les étudiants ont été les seuls à protester
Ce lundi, 65 ans se sont écoulés depuis que le putsch communiste a transformé l'ancienne Tchécoslovaquie en dictature communiste, et ceci pour quarante années. Le 25 février 1948, date à laquelle la crise du cabinet a culminé, le président Edvard Beneš étant sous pression des forces communistes, les étudiants des écoles supérieures ont été les seuls à aller dans la rue pour exprimer leur soutien et l'encourager à ne pas accepter la démission des ministres démocrates. La marche d'une dizaine de milliers d'étudiants qui se dirigeait vers le château de Prague a été brutalement réprimée par les forces de l'ordre. Une plaque commémorative dévoilée à l'endroit de ces accrochages, rue Nerudova, a été ce lundi le théâtre d'une cérémonie du souvenir.
Une minute de silence pour les victimes du régime totalitaire et les participants de la marche étudiante du 25 février 1948 a été observée ce lundi au pied du château de Prague. D'anciens étudiants de 1948 se réunissent chaque année, rue Nerudova, autour de la plaque commémorative dévoilée en 2003 par le sénat et le club académique 48 à l'endroit où les forces de l'ordre munies de mitraillettes ont barré la route aux étudiants les empêchant de rencontrer le président de la République Edvard Beneš. Jiří Navrátil, président du Club académique 48, s'en souvient :
« Il y a 65 ans, c'étaient les étudiants qui, comme d'ailleurs maintes fois dans notre histoire, ont manifesté leur soutien en faveur de la liberté et la démocratie, pour être ensuite persécutés par le régime totalitaire. Beaucoup se souviennent encore que dans la période de drôle de démocratie au lendemain de la guerre, les communistes occupaient des postes dans le parlement et le gouvernement. Lors des premières élections d'après-guerre encore démocratiques organisées en 1946, ils ont remporté 40 % des suffrages, obtenant la majorité avec les sociaux-démocrates de Zdeněk Fierlinger. Mais cela ne leur suffisait pas. D'un coup, dans un pays dont l'évolution avait été démocratique depuis sa création en 1918, les milices populaires armées ont défilé dans les rues. Les comités d'action ont commencé à licencier les non-communistes, à nous exclure, nous, les étudiants, des écoles. Sur 40 000 étudiants à l'époque, plus de 10 000 ont été mis à la porte des universités et traités pour le reste de leur vie comme des citoyens de 3e catégorie. »Pour le recteur de l'Ecole des Hautes Etudes Techniques, Václav Havlíček, la disparition de la démocratie en Tchécoslovaquie a commencé bien avant 1948 :
« Elle a commencé avec l'occupation nazie et la signature des accords de Munich et a été achevée après la fin de la guerre par la création de ce qu’on appelait le ‘Front national’, lorsque plus de la moitié des partis démocrates ont été écartés de la vie politique. La mesure a touché notamment la population à la campagne qui s'est retrouvée sans représentation politique propre. Cette répartition des forces a eu pour conséquence la victoire du parti communiste dans les premières élections d'après-guerre. Entre 1945 et 1948, les communistes ont progressivement occupé les postes dans les corps de sécurité, l'armée et d'autres institutions, preuve que le coup de Prague avait été préparé à l'avance. »Les coups de fusil tirés le 25 février 1948 contre la marche étudiante ont blessé un étudiant de l'Ecole des Hautes Etudes Techniques, comme le rappelle le recteur Václav Havlíček :
« Le 25 février 1948, une marche de plusieurs milliers d'étudiants est partie du siège de la faculté, place Charles, pour être violemment réprimée en haut de la rue Nerudova. Un étudiant de notre école, Řehounek, a été blessé par des coups de fusil. 118 autres étudiants ont été arrêtés lors de la marche. Plus tard, dix étudiants ont été exécutés. De nombreux participants de la marche ont été condamnés à de longues peines de prison. »
Soixante-cinq ans après, des participants de la marche étudiante sont venus exprimer l'importance de l'événement encore aujourd'hui, d'autant plus que des communistes sont de nouveau présents dans certains conseils régionaux. Václav Havlíček :
« Je n'arrive pas à comprendre l'incroyable arrogance des conseillers communistes et je suis heureux que ce soit de nouveau les jeunes qui protestent contre leur présence en Bohême du sud et dans la région de Karlovy Vary où un ancien agent de la StB occupe le poste de conseiller. »
De son côté, le recteur de l'Université Charles Václav Hampl a précisé que deux marches ont défilé à travers Prague il y a 65 ans de cela, en février 1948 :
« La première est arrivée le 23 février jusqu'au château de Prague. Cinq étudiants ont alors rencontré le président Beneš pour lui traduire le soutien des étudiants dans ses décisions difficiles portant sur l'avenir du gouvernement. La deuxième marche organisée le 25 février a été arrêtée par la police au pied du château. Aucun autre groupe de citoyens n'est allé dans la rue en février 48. Les étudiants ont été les seuls à se mobiliser pour manifester leur opposition. La rapidité des événements comme si elle avait paralysé la société, y compris les élites politiques et intellectuelles. C'était le cas, aussi, du recteur de l'Université Charles, Karel Engliš, qui a présenté le même jour, le 25 février, sa démission. »Difficile d'imaginer aujourd'hui l'atmosphère qui régnait dans la Tchécoslovaquie d'après-guerre : les communistes gagnent les premières élections, Klement Gottwald est nommé chef du gouvernement. Dès 1947, Moscou intensifie son influence sur les pays satellites. Sur l'injonction de Staline, le gouvernement rejette le Plan Marshall. La répression des opposants politiques commence. Les communistes contrôlent les postes décisifs dans l'armée et la police.
Début février 48, le ministre de l'Intérieur communiste Václav Nosek révoque huit commandants de la police praguoise. En signe de protestation, douze ministres démocrates donnent leur démission, espérant que le président de la République ne l'acceptera pas, que le gouvernement sera dissout et que de nouvelles élections seront organisées. Cela ne convient pas au parti communiste dont la cote de popularité est en baisse dans les sondages. Le 21 février, Klement Gottwald vient avec son projet de solution : la démission des ministres démocrates. L'offensive continue le 24 février, lorsque 2,5 millions de personnes participent à la grève générale lancée par les communistes.
Craignant une guerre civile et une intervention militaire soviétique, Edvard Beneš, affaibli par une attaque cérébrale, finit par céder aux pressions : il accepte la démission, en remplaçant les ministres démocrates selon les conseils de Gottwald. Ce dernier peut annoncer sa victoire devant les foules rassemblées place de la Vieille-Ville :« Je reviens du Château de Prague. Ce matin, j'ai remis au président de la République le projet de démission des ministres qui ont démissionné le 20 février. Je peux vous assurer que le président a accepté toutes mes propositions. »
La prise du pouvoir par le parti communiste d’une manière qui, du point de vue formel, était en accord avec la Constitution, était ainsi achevée.
Le 10 mars 1948, le ministre des Affaires étrangères Jan Masaryk meurt. Le rapport officiel parlait du suicide, les dernières connaissances en date le qualifient d’assassinat.
Le 9 mai 1948, Edvard Beneš refuse de signer la constitution communiste. A la suite de sa démission, Klement Gottwald devient président de la République. Commencent alors la collectivisation de l'agriculture et la nationalisation de l'industrie.Lors des procès politiques organisés dans les années 1950, 248 personnes seront condamnées à mort, 200 000 opposants seront emprisonnés ou envoyés dans des camps de travaux forcés, 4 500 d'entre eux y trouveront la mort. La répression s'abattra sur l'élite démocratique, les étudiants, les paysans, les prêtres. Pour l'historien Jan Tůma, les conséquences du Coup de Prague ont été une catastrophe dont l'ombre plane d'une certaine manière encore sur le pays aujourd'hui.