Il y a vingt ans, la Tchécoslovaquie vivait ses derniers jours

Il y a de cela vingt ans, la République fédérale tchèque et slovaque – nom officiel du pays depuis le 23 avril 1990 – vivait ses derniers jours. Un pays de plus de 15 millions d’habitants, d’une superficie de 128 000 km2, fondé le 28 octobre 1918, avait voté sa partition, le 25 novembre 1992. Le 1er janvier 1993, deux nouveaux Etats – la République tchèque et la République slovaque – sont apparus sur la carte de l’Europe. Certains des événements ayant précédé la scission de l’Etat commun, des souvenirs des artisans de cet acte historique, ainsi que quelques témoignages d’archives sont au programme de cette page d’histoire de Radio Prague.

Petr Pithart,  photo: Archives de ČRo7
« Je pense que la Tchécoslovaquie survivra à l’année 1992. Pourquoi ne le ferait t-elle pas ? » Ces propos remplis d’optimisme sont ceux du Premier ministre tchèque de l’époque, Petr Pithart, prononcés dans son discours du Nouvel An de 1992. Au début de cette année-là, peu de politiciens tchèques croyaient en effet que la partition serait effective, moins de douze mois plus tard.

Début février, des négociations relatives à la prochaine organisation étatique ont lieu dans la commune morave de Milovy. L’accord trouvé par les deux représentations politiques n’est finalement pas voté par le conseil national slovaque, alors que du côté tchèque, il sera toujours considéré comme un point de départ pour les futures délibérations. Entre-temps, les élections législatives se tiennent en juin 1992 en Slovaquie. Leur vainqueur n’est autre que Vladimír Mečiar, leader du HZDS – Mouvement pour une Slovaquie démocratique. Peu de temps après la victoire de ce parti, la Slovaquie fait clairement entendre sa volonté d’emprunter une voie menant à l’émancipation. Le 17 juillet 1992, la Déclaration d’indépendance est adoptée par le conseil national slovaque : un acte qui sonne le glas de l’Etat commun.

Jan Zahradil,  photo: Archives de ČRo7
Bien qu’il soit clair de nos jours que la situation devenait intenable, de nombreux politiciens tchèques, comme Jan Zahradil, ancien député fédéral du parti ODS et actuel eurodéputé, ne s’en rendaient alors pas compte :

« En regardant les événements avec le recul de vingt ans, je dois admettre que beaucoup d’entre nous ignoraient le vrai état des choses en Slovaquie, les sentiments qui régnaient. Ici, en République tchèque, l’attention était concentrée sur les questions économiques, la privatisation et la réforme, alors qu’en Slovaquie, on jouait la carte de l’autonomie, de la souveraineté, de l’indépendance. Ces deux façons de voir les choses, ces deux voies étaient absolument éloignées l’une de l’autre. »

Le 20 juillet 1992, soit trois jours après l’adoption de la Déclaration d’indépendance par le Conseil national slovaque, le président Václav Havel annonce sa démission. Jusqu’à la fin de l’existence de l’Etat commun des Tchèques et des Slovaques, le poste de chef de l’Etat restera vacant. Voici l’enregistrement sonore de la voix de Václav Havel du 20 juillet 1992 :

Václav Havel,  photo: Archives de ČRo7
« Je ne peux pas assumer la responsabilité de l’évolution politique dans un pays qui prend une direction indépendamment de mon influence. De la même façon que je ne veux pas devenir un frein aux événements historiques, je ne veux pas non plus être réduit à un simple fonctionnaire vivant dans l’attente du moment où il quittera définitivement son poste et qui, pendant tout ce temps-là, ne fera que regarder passivement les choses. J’ai toujours souhaité et je souhaite, à l’avenir également, créer quelque chose de bon et d’utile, au profit de mes concitoyens. Le poste de président fédéral ne me permet plus de faire un travail créateur et constructif. »

Un mois plus tard, le 26 août 1992, les premiers ministres tchèque et slovaque, Václav Klaus et Vladimír Mečiar se rencontrent à Brno, symboliquement à mi-chemin entre Prague et Bratislava, pour devenir des acteurs d’un événement historique. Dans la célèbre villa Tugendhat, ils signent un accord prévoyant la création de deux Etats indépendants. Vladimír Mečiar est le premier à annoncer la date exacte de la scission :

Vladimír Mečiar,  photo: Péter Kamocsai,  Wikimedia Commons
« D’ici le 1er janvier 1993, nous supposons que deux républiques – tchèque et slovaque, seront issues de l’actuelle fédération, en tant que deux Etats indépendants. »

Selon les propos de Vladimír Mečiar prononcés dans la villa Tugendgat, la situation au sein d’un Etat commun était devenue intenable. L’évolution des choses a pourtant surpris certains des dirigeants slovaques qui ont même commencé à demander des concessions en ce qui concerne la monnaie ou l’armée. Pour beaucoup d’historiens, c’est Václav Klaus, le vainqueur de ces négociations, car c’est lui qui a insisté sur la rapidité des changements et qui a établi un itinéraire du processus de séparation des deux pays cohabitant depuis 74 ans au sein d’un Etat commun.

En 1992, la Tchécoslovaquie connaît un automne chaud. Le danger que le pays éclate d’une manière chaotique, non constitutionnelle, devient réel après le rejet par l’Assemblée fédérale de la loi sur la partition. Les forces d’opposition insistent alors, en vain, sur l’organisation d’un référendum sur cette question.

Finalement, le 25 novembre 1992, la loi constitutionnelle relative à la partition de la Tchécoslovaquie est adoptée par le parlement fédéral. Cet acte entérine définitivement le processus de partition engagé. En même temps, il représente un tournant historique dans l’existence du pays. Comme on peut le lire dans le premier article de cette loi : « la République fédérale tchèque et slovaque cesse d’exister, après le 31 décembre 1992. »

Václav Klaus,  photo: Archives de ČRo7
La nouvelle constitution de la République tchèque, approuvée par le Conseil national tchèque le 16 décembre 1992, prend force de loi le 28 décembre, soit quatre jours avant que la partition de la Tchécoslovaquie devienne effective. Dans le discours du Nouvel An prononcé le 1er janvier 1993, le premier ministre tchèque Václav Klaus a alors pu constater :

« L’Etat tchèque qui vient de naître représente en premier lieu une immense tâche qui, bien qu’il s’inscrive dans le passé, demande encore à être réalisée. Une partie du travail qui nous attend est de renouer avec les meilleures traditions de la politique tchèque, celles qui remontent à un passé plus éloigné aussi bien qu’avec celles qui se sont développées depuis le milieu du XIXe siècle avec l’œuvre et les activités de personnalités importantes telles que Palacký, Havlíček et Masaryk. »

Il y a vingt ans, la Tchécoslovaquie a réalisé un divorce à l’amiable qui a suscité l’admiration de par le monde. Vingt ans après, Tchèques et Slovaques jouissent de relations hors norme, qui sont également dues à l’absence de barrières linguistiques. Pour Milan Kňažko, acteur, ancien député du Parlement slovaque et ancien vice-premier ministre du cabinet Mečiar, la partition de la Tchécoslovaquie a apporté une amélioration des rapports réciproques :

Milan Kňažko,  photo: T. Vodňanský,  ČRo
« La nouvelle organisation des rapports réciproques n’a pas été un acte d’hostilité, au contraire. Les deux parties ont été d’accord pour que les rapports soient bons et qu’ils puissent s’améliorer. Et c’est ce qu’on a réussi à faire, du fait notamment, que les raisons susceptibles d’entraîner une détérioration des rapports dont nous étions témoins auparavant n’existent plus. Et c’est ce qui est le plus important dans tout cela. »

Reste à ajouter que le 26 janvier 1993, la Chambre des députés a élu Václav Havel premier président de la République tchèque. Même si la partition s’est bien passée, la solution aux questions relatives aux rapports réciproques a pris encore plusieurs années. Ainsi, le traité sur le tracé des frontières a été signé le 4 janvier 1996. Les Etats naissant ont mis sept ans pour résoudre la question de la partition des biens communs.

C’est seulement le 24 novembre 1999 que les premiers ministres d’alors - Miloš Zeman et Mikuláš Dzurinda ont apposé leurs signatures au bas du traité qui réglaient définitivement les litiges liés à ces biens fédéraux. Ceux-ci, d’une valeur de 475 milliards de couronnes, ont été répartis entre les deux nouveaux Etats suivant le principe territorial et aussi proportionnellement au nombre d’habitants, deux tiers pour la République tchèque et le tiers restant pour la République slovaque.