Les Tchèques à Bordeaux (IV) : Jana Verdier

Jana Verdier

Nous poursuivons notre série d’entretiens avec les Tchèques installés dans la région d’Aquitaine et que Radio Prague a pu rencontrer au printemps dernier. Aujourd’hui, c’est Jana Verdier, professeur des arts plastiques au collège d’Arsac.

Jana Verdier
Jana Verdier, quel a été votre parcours jusqu’à présent ? Depuis combien de temps vivez-vous à Bordeaux ?

« Je vis à Bordeaux depuis six ans, mais je suis venue en France en 1997, donc je suis en France depuis 15 ans et je m’y plais pour le moment. »

Votre mari est Français ?

« Oui il est Français, je l’ai rencontré pendant mes études en République tchèque, et après quatre ans, nous avons décidé de vivre ensemble et de nous installer en France ».

Quelle est sa profession ?

« Pour le moment il est chargé d’études mais sa situation professionnelle va peut-être changer puisqu’il envisage de passer un concours. »

Vous-même, vous êtes enseignante de profession, c’est bien cela ?

« Oui, tout à fait, j’ai fais mes études à la faculté de pédagogie en République Tchèque, j’ai même commencé à enseigner en République tchèque, puis il a fallu se décider et j’ai quitté mon pays ainsi que ma famille et mon travail. Je dois avouer qu’au début cela a été difficile, je ne pouvais pas trouver de travail car mes diplômes n’étaient pas reconnus en France et j’ai eu beaucoup de mal à en trouver un. J’ai dû me rendre assez souvent au Pôle Emploi, qui était à l’époque l’ANPE et je ne savais pas ce que j’allais devenir. »

Qu’avez-vous enseigné en République tchèque ?

« J’ai enseigné la langue tchèque ainsi que les arts plastiques. Pour pouvoir exercer à nouveau ma profession j’ai envoyé ma demande au rectorat et j’ai été acceptée en tant que vacataire. Je travaille pour l’éducation nationale française depuis maintenant neuf ans et je pense qu’avec la nouvelle loi je pourrais éventuellement obtenir un CDI, si tout se passe bien. »

Qu’avez-vous fais précisément pendant toutes ces années avant d’obtenir la reconnaissance de vos diplômes ?

« Cela n’a pas été pas facile, en arrivant en France, je dois dire que je ne maîtrisais pas trop le français, j’avais seulement quelques notions et ce n’était pas facile de trouver un emploi. Au début j’ai effectué des stages au Pôle Emploi puis j’ai commencé à faire des petits boulots. J’ai été notamment fleuriste, et j’ai travaillé dans des centres de loisirs. J’ai essayé différents domaines, tout en continuant le plus souvent possible à travailler avec des enfants. L’année où j’ai décidé de poser ma candidature au rectorat je voulais vraiment retrouver cela en exerçant mon métier d’origine, c'est-à-dire professeur. »

Dans quel établissement travaillez-vous actuellement ?

Cllège d'Arsac
« Dans un établissement qui se situe à Arsac, en Gironde dans un petit collège qui est très sympathique, je suis contente de travailler là-bas. Je n’enseigne malheureusement pas la langue tchèque mais j’ai gardé ma spécialité : les arts plastiques. »

Comment vos élèves ainsi que vos collègues perçoivent le fait que vous êtes tchèque ? Cela change-t-il quelque chose ? Sont-ils curieux ? Vous posent-ils souvent des questions ?

« Oui, évidemment, dès mon premier contact avec les élèves ils perçoivent mon accent, et je formule parfois mes phrases de manière un peu bizarre donc cela éveille leur curiosité. Dès le début je leur explique d’où je viens et pourquoi j’ai un tel accent ; c’est parce que j’ai appris le français à l’âge de vingt ans. Ce n’est pas la même chose de maîtriser les deux langues depuis la naissance ou de devoir apprendre une seconde langue à l’âge adulte. Je pense qu’entre 11 et 15 ans, à l’âge de mes élèves, on est très ouvert ils comprennent ce genre de choses. Et parfois c’est agréable car ils peuvent me corriger. »

Y a-t-il quelque chose de votre pays d’origine qui vous manque en France ?

« Pour le moment je ne saurais dire si il y a quelque chose qui me manque vraiment, ou peut être des petites choses comme la carpe au repas de noël, ou les petits gâteaux tchèques. Je pense avoir réussi à m’adapter jusqu’à maintenant, j’ai 41 ans donc je vis pleinement ma vie et je ne ressens pas de manque, peut –être plus tard. »

Avez-vous des enfants ? Quel âge ont-ils ?

« Oui, j’ai un fils de onze ans donc j’ai ma famille, mon travail, mes amis ici. On voyage souvent et je peux téléphoner quand je veux à ma famille en République Tchèque, il y a aussi Internet, on peut aussi se voir via ‘Skype’. »

Toutes ces choses là n’existaient, d’ailleurs, pas lorsque vous êtes arrivée en France ? Ce n’était pas aussi courant que maintenant.

« Non, avant je devais utiliser des cabines téléphoniques, toutes les conversations étaient minutées, j’appelais donc de façon occasionnelle. Maintenant, avec les nouvelles technologies c’est tellement simple de rester en contact que j’ai l’impression que la République tchèque n’est pas loin. »

Selon votre expérience, pensez vous que l’opinion des français à l’égard des Tchèques a beaucoup évolué depuis que vous vivez en France ?

« Oui, je pense que le regard des français a changé depuis que la République Tchèque fait partie de l’Union Européenne. Au début je ressentais comme une distance des gens vis-à-vis de nous, on se méfiait notamment de nos diplômes, de nos compétences ou bien encore de nos habitudes. Maintenant je peux leur montrer que notre pays a été capable de donner une base solide aux personnes et que l’on peut l’exploiter aussi à l’étranger. Je pense que de nos jours c’est beaucoup plus simple d’arriver en France. »

Vous plaisez-vous à Bordeaux ? Comment trouvez-vous la ville et la région ?

Bordeaux
« Je m’y plais beaucoup, nous avons voyagé dans toute la France, nous avons habité à Cherbourg, Toulon, Paris, Pau, et maintenant Bordeaux. Chaque région a quelque chose de différent. Comme je le dis souvent, en Normandie, il pleut beaucoup, le temps est mauvais mais les gens sont très sympathiques, je rencontre le même genre de personnes à Bordeaux, des gens gentils et ouverts d’esprit. »

Bordeaux est-elle une ville intéressante du point de vue de votre domaine ; les arts plastiques ?

« Oui, tout à fait. Une fois par an nous organisons avec mes collègues, une sortie au musée d’Art contemporain de Bordeaux, cela permet aux élèves de découvrir cet art et de se familiariser avec l’art en général. »

Depuis peu la France a un nouveau président de la République, avez-vous pu voter pour cette occasion ?

« Oui, ayant la nationalité française, j’ai pu voter aux deux tours. »

Avez-vous un autre regard que les français sur la politique française ? Vous arrive t-il de parler avec vos amis français et de vous apercevoir que vous n’avez pas forcément la même perception des choses ?

« Non, car je ne m’intéresse pas beaucoup à la politique, j’ai évidemment voté pour les élections car c’est important mais je préfère rester dans mon domaine, l’art. »

Suivez-vous le débat concernant la prochaine élection présidentielle en République Tchèque, puisque pour la première fois les tchèques vont pouvoir élire leur président au suffrage universel direct, en mars prochain probablement. Connaissez-vous les candidats qui vont se présenter ?

« Je ne connais pas vraiment les candidats mais je suis souvent sur Internet pour suivre les actualités et voir ce qui se passe en République Tchèque. Je sais que beaucoup de gens sont déçus vis-à-vis de ce qui se passe autour de la scène politique mais je pense que c’est un réel progrès que les tchèques puissent voter directement pour la personne de leur choix. »

Y a-t-il une communauté tchèque à Bordeaux ?

« Oui, nous avons une association franco-tchèque d’Aquitaine et nous nous réunissons le plus souvent possible. Nous organisons des événements, des concerts, réalisons des projets autour de thématiques comme celle de Noël. Je trouve que c’est important de se retrouver, de pouvoir parler notre langue, retrouver nos habitudes, notre culture. Bien que nous soyons loin de la République tchèque nous sommes toujours tchèques. »

Donc vous ne regrettez pas d’avoir choisi la France comme votre second pays ?

« Non, j’ai deux pays. Quand je vais en République tchèque je dis ‘Je vais chez moi’ et lorsque je quitte la République tchèque pour retourner en France je dis aussi ‘Je vais chez moi’. »

Vous avez donc deux « chez vous » ?

« Voilà, tout à fait. Je le ressens comme ça. Je réfléchie encore, pour l’avenir, je ne sais pas encore si je vais rester ici ou retourner en République tchèque, on ne peut pas savoir ce qui nous attend, mais actuellement je suis très bien ici. »

Votre fils, parle-t–il tchèque ?

« Oui, on ressent un petit peu qu’il n’est pas tchèque lorsqu’il va en République tchèque et lorsqu’il joue avec les enfants, ils lui demandent ‘Tu es Slovaque ?’. Il fait quelques petites fautes, mais il fait des efforts. »