Petr Václav : « Je n’ai jamais voulu faire totalement la différence entre la fiction et le documentaire » (I)
Petr Václav est réalisateur. Installé en France depuis une dizaine d’années, il a à son actif de nombreux documentaires mais aussi plusieurs long-métrages. Son premier opus, Marian, remonte à 1996 et raconte l’histoire d’un jeune garçon rom qui cherche à se faire une place dans un monde hostile. Mais depuis cette époque, Petr Václav a réalisé de nombreux films, souvent récompensés lors de festivals. Récemment, il était à Hénin-Beaumont au moment des élections législatives françaises, pour prendre la température de cette circonscription à hauts risques. De passage à Karlovy Vary, début juillet, à l’occasion du Festival international du film, Radio Prague l’a rencontré. Petr Václav est revenu sur sa carrière, mais aussi sur sa vision du cinéma tchèque.
Auparavant, vous aviez fait des études à la FAMU, l’Ecole de cinéma de Prague…
« Oui, j’ai fait mes études à la FAMU. C’était de bonnes études, même si sur le plan théorique ce n’était pas très bien en raison de la présence de professeurs qui enseignaient très mal. C’était l’héritage du communisme, mais on était des jeunes étudiants motivés, qui voulaient faire des choses, on partageait pas mal avec nos camarades, on tournait des petits films. Progressivement, j’ai toutefois voulu aller vers d’autres horizons et finalement c’est toujours plus compliqué qu’on ne le croit. En plus, la vie d’un cinéaste est jalonnée de contingences : on a certains projets, mais on doit dévier vers autre chose, ou alors on ne nous le permet pas. Ou bien on finit par faire quelque chose qu’on n’espérait même pas et ainsi de suite. Quand on s’exile, ce sont des problématiques encore plus complexes. Moi-même, ma vie m’est assez opaque : je ne connais pas tous les tenants et aboutissants, je travaille tous les jours, mais la réalisation ou non des projets ne dépend finalement pas de moi. »
Vous prenez cette vie en France comme un exil ?
« Non, ce serait trop exagéré ! Aujourd’hui avec Internet, les avions low-cost, l’exil à proprement parler n’existe plus : on ne peut plus s’exiler totalement comme on pouvait le faire dans les années 1970-1980, où avec le rideau de fer, quand on partait, c’était définitif et sans appel. Aujourd’hui, on ne part pas. Parfois on est aussi nulle part. Mais on est partout, avec des relations avec les gens du monde entier. C’est d’ailleurs une problématique intéressante… »
Comment se sont passés vos premiers pas en France, lorsque vous avez décidé de vous y installer pour de bon ? Y a-t-il eu des déceptions ?
« Pas du tout, j’ai toujours été dans un élan projectif et je le suis toujours. »
Auparavant, dans les années 1990, vous avez réalisé un film qui s’appelle Marian, qui raconte l’histoire d’un petit garçon rom. Comment est née l’idée de ce film ? C’est un thème très fort en République tchèque et pourtant il est extrêmement peu traité par les cinéastes tchèques…
« L’histoire des gitans et le rapport des Tchèques aux gitans est très compliqué et pas très aimable. Cette histoire, j’ai voulu la raconter, parce que les Roms m’ont intéressé depuis toujours, surtout dans ce pays totalement blanc et monolithique, sans étrangers. Donc ce sujet s’est imposé à moi en quelque sorte. C’est une population peu connue, souvent détestée, le racisme est très présent en République tchèque. On le voit d’ailleurs aujourd’hui, où la situation ne fait qu’empirer, d’autant que la haine envers les Roms est particulièrement instrumentalisée politiquement. Aujourd’hui, on est dans une situation qui est paradoxalement pire qu’il y a vingt ans. D’ailleurs c’est pour cela qu’à la rentrée, je devrais avoir préparé le tournage d’un film sur les Roms, qui devrait être fini avant Noël. J’ai souhaité revenir sur le sujet en raison de tout ce qui s’est passé dans le pays ces deux dernières années, avec parfois de vraies ambiances de pogrom dans des petites villes. L’ambiance est vraiment délétère, c’est pourquoi, plus de quinze ans plus tard, j’ai envie de raconter la suite de mon premier film. J’ai retrouvé les acteurs de Marian. J’aimerais bien les faire jouer dans ce prochain film. Pour moi, c’est très agréable d’avoir des amis que je retrouve années plus tard, qui sont maintenant pères de famille. J’écris ce film sur un jeune couple de Roms qui ont un enfant et j’essaye de montrer toutes les entraves qu’ils ont juste vivre : mener une vie ordinaire est déjà ambitieux pour eux ! »
Vous venez du documentaire. Cette façon de revenir sur de mêmes personnages, dans un film de fiction, est aussi une forme de documentation d’une vie…
« Je n’ai jamais voulu faire totalement la différence entre la fiction et le documentaire parce que par essence, tout est fictif, tout est subjectif. Le regard objectif n’existe pas. On nous dit toujours : le documentariste doit être objectif, mais ce n’est pas possible. J’ai toujours aimé brouiller cette frontière. La fiction est intéressante quand elle n’est pas stérile, quand elle n’est pas théâtrale, quand elle amène vraiment de la vie. Travailler avec le réel, avec les acteurs non-professionnels est très intéressant. Pas toujours, mais il y a des projets qui nécessitent cette véracité et qui demandent beaucoup de travail pour obtenir un résultat quasi réel. »
Quelle avait été la réaction du public au film Marian, en République tchèque et en France ?
« Cela m’ennuie d’en parler parce que pour moi cela fait une éternité que ce film est terminé. A l’époque, ça ne s’est pas très bien passé en République tchèque parce que le rapport aux Roms n’est pas très sain. J’ai eu des prix à l’étranger, j’ai pu montrer le film en France, aux Pays-Bas, aux Etats-Unis. Cela a été ma satisfaction personnelle et ça m’a permis en partie de vivre pendant quelques années en France. En République tchèque, l’ambiance autour du film était pesante, ne serait-ce que la manière dont il est sorti en salles, dont il a été ‘tué’ en quelque sorte. Par la suite, il a été plus valorisé à la télévision. Mais dans l’ensemble mon souvenir n’est pas très agréable… »Suite et fin de cet entretien dans la prochaine édition de Culture sans frontières.