Josef Mysliveček, ou l’« histoire icarienne » d’un compositeur oublié (II)
Suite et fin de notre entretien avec le réalisateur franco-tchèque, Petr Václav, à propos de son film documentaire, Confessions d’un disparu, consacré au compositeur Josef Mysliveček (1737-1781), né en pays tchèques et contemporain de Mozart. Acclamé en Italie où il fit toute sa carrière, il tomba dans l’oubli le plus total, alors que Wolfgang Amadeus lui-même l’admirait. Aujourd’hui, de nombreux musicologues mais aussi musiciens le redécouvrent. Petr Václav, pour sa part, espère, après ce documentaire, pouvoir réaliser un film de fiction consacré à la vie de Josef Mysliveček.
J’aimerais revenir sur la forme de votre film documentaire. Vous alternez entre des images des répétitions de l’ensemble Collegium 1704, dirigé par Václav Luks, et celles d’Italie, de Naples où Mysliveček a connu ses plus grands succès. Il y a une voix off : c’est Mysliveček qui parle de manière feutrée, qui raconte son histoire. C’est assez étonnant sur la forme car il y a un vrai contraste entre les répétitions dans une pièce avec une lumière d’intérieur, et les décors naturels de l’Italie où les lumières sont plus sombres… Il y a une sorte de clair-obscur, et comme vous parliez de Barry Lyndon, c’était un peu l’idée ?
« C’était un grand casse-tête : comment raconter la vie de quelqu’un qui n’est plus là depuis plus de 200 ans. Vous n’avez pas d’images de lui. Comment le raconter ? Je ne voulais pas aboutir à une construction télévisuelle du type : en 1700, sous le règne de… J’avais ces répétitions musicales tournées dans des lieux anonymes, où l’on suit la fabrication de cette musique et ces musiciens qui la font naître. La question était : quel contrepoint trouver à ces séquences pour raconter l’histoire de cet homme ? Je me suis dit qu’il fallait que ce soit subjectif, que ce serait lui qui parlerait de lui-même, comme si c’était son fantôme qui se souvenait. Ce sont en fait les mémoires d’outre-tombe de Mysliveček. Il nous parle avec distance de sa vie. C’est pour cela que j’ai voulu l’image non-réaliste. Et puis surtout, quand vous allez à Venise aujourd’hui, comment faire ? Vous avez l’impression de faire des images comme tout le monde, des images touristiques… C’est pour cela que j’ai volontairement fermé l’obturateur de la caméra, j’ai fabriqué des images sous-exposées pour avoir cette vision un peu fantomatique. Et aussi pour traduire la distance par rapport à sa vie et ne pas être dans le réalisme. J’ai l’impression de montrer une Italie telle qu’il pouvait la voir… Il y a donc soit des images surexposées soit sous-exposées. C’était ma décision, et je l’ai fait sur place pour ne pas pouvoir reculer par la suite. Normalement, si je n’étais pas fou, on aurait pu le faire en post-production. Mais ça n’aurait pas été pareil non plus… Quand vous détruisez l’image sur place, naturellement, ça donne quelque chose de difficile à recréer par la suite. »C’est plutôt rare de voir les coulisses de la production d’un opéra, de voir comment un opéra prend forme, comment on travaille… Avez-vous découvert des choses pendant ce tournage ?
« Déjà, on découvre la musique. Les possibilités d’interpréter cette musique. C’est un vrai plaisir de voir comment ils cheminent vers un résultat. C’est aussi beau de voir le travail de ces gens qui sont des artistes hyper passionnés, mais en même temps qui ont leur vie. Ils sont tout le temps en mouvement, ils sont fatigués, ils donnent beaucoup d’eux-mêmes. C’est une vraie tour de Babel parce que ça parle dans toutes les langues… On était plongés dans ce monde de la fabrication d’un opéra et des émotions : c’est quelque chose de rare et de plaisant. »L’Olimpiade a été jouée à l’époque mais pas depuis. Il a donc eu droit à une deuxième première, si l’on veut, en 2014. Vous n’avez pas tourné la partie représentation : vous vouliez rester sur la préparation de l’opéra en elle-même et pas sur le spectacle avec public ?
« Oui. D’abord c’était un peu difficile. Ensuite, pour moi les choix de la mise en scène, des costumes, des décors, étaient tellement loin de ce qu’étaient Mysliveček et son époque que je me suis interdit cette partie-là. Ça aurait emmené le film totalement ailleurs. Moi j’ai d’ailleurs un vrai problème avec cette obligation actuelle de mise en scène des opéras d’une certaine façon. Il y a un peu cette logique bolchévique de dire qu’il y a des jalons dans l’histoire de l’humanité, qu’on est meilleur et meilleur, que pour Mozart et Mysliveček, on va garder la musique parce que c’est bien, le livret on ne peut pas le changer, mais pour les décors et la lumière, on est bien meilleurs : alors ça va se passer dans un supermarché et le héros va arriver en moto ! Je ne suis pas passéiste, mais je pense que c’est rarement vraiment réussi. Donc cette partie de l’opéra Olimpiade je n’en voulais pas car ça aurait fait dévier le film. Après, les choix de mise en scène, ça les regarde. Moi j’ai adoré l’opéra, j’ai vu la représentation à Caen, à Dijon, et à chaque fois la soirée était un peu différente, à chaque fois vous étiez ému. Mais pour le film, ça n’aurait servi à rien. »Ce documentaire est une sorte d’introduction en fait : vous avez un projet plus large de film sur Myslive4ek. De quoi s’agit-il ?
« Oui, j’ai un projet de film de fiction sur Mysliveček. Mais le documentaire n’est pas un produit juste fait comme ça à côté, c’est quelque chose que j’ai fait avec passion, aussi pour être avec les acteurs, les chanteurs, cette musique. Je sais que ça me donne aussi la possibilité de recréer en costumes, à la lumière des bougies, les parties des répétitions. C’est donc assez cohérent avec ce film en costumes qui va se passer en Italie, en italien, de se préparer de cette manière-là, pour mieux connaître la musique, les chanteurs… J’ai aussi fait ce documentaire pour valoriser le travail de recherches que j’ai effectué pendant quand même deux ans ! Pendant un an et demi, je n’ai rien lu d’autre qui n’ait été imprimé à l’époque… J’ai lu des livres de médecine, sur les maladies vénériennes, j’ai fait le tour de la question… J’ai aussi eu une vraie correspondance avec divers musicologues, notamment avec Daniel Freeman qui a écrit une biographie de Mysliveček et qui vit aux Etats-Unis. »
Tout cela vous a mené à construire ce film-là, vous vous êtes imprégné de toutes ces recherches. Et maintenant, quelle est la prochaine étape ?
« On est en train de chercher les financements et les partenaires. Le film est un peu compliqué à faire parce que je ne peux pas le commencer en France vu que c’est un film italien en quelque sorte. Je ne suis pas italien, donc je ne peux pas non plus commencer en Italie. C’est un film tchèque sur Mysliveček qui est né à Prague… Donc, c’est ici qu’on commence la production en cherchant une coproduction avec l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie et la France. On vient juste de commencer donc on verra ce que ça va donner. »Est-ce que le fait que vous ayez été distingué pour le film Cesta ven aide à chercher des financements ?
« Oui, ça nous aide aussi. Et avec chaque film on se construit, on apprend de nouvelles choses. Récemment, on était à Berlin avec le dernier film, Nous ne sommes jamais seuls. Là on a reçu un prix du public, donc on était contents. Ce sont des petites choses qui peut-être nous permettrons de faire ce film en costumes. »