A la recherche du vrai visage de Božena Němcová
150 ans après sa mort Božena Němcová reste la femme de lettres tchèque la plus célèbre et la plus respectée. Son chef d’œuvre « Babička – Grand-mère » est sorti en plus de 350 éditions et reste un des livres tchèques les plus populaires sinon les plus lus. Nous assistons à un regain d’intérêt pour l’œuvre de Božena Němcová et surtout pour sa vie qui nous apparaît aujourd’hui, elle aussi, comme un roman passionnant. L’image que nous nous faisons de cette femme qui continue encore à exercer sa séduction au seuil du XXIe siècle, se transforme avec le temps. Chaque génération y trouve et y ajoute quelque chose de nouveau, chaque génération projette dans ce destin ses préoccupations et ses aspirations.
« Ils n’acceptaient pas sans réserve son comportement dans la société, sa situation sociale et politique. Par contre nous la regardons déjà avec un certain recul et voyons qu’elle est un excellent exemple d’une femme émancipée. Elle n’est pas féministe mais une femme émancipée et ce qu’elle fait, elle le fait en pleine conscience de ses actes. C’est ainsi qu’elle se lançait dans ses liaisons amoureuses, c’est avec le même élan qu’elle abordait la création littéraire et c’est ainsi également qu’elle s’occupait de ses enfants, les éduquait et préparait leur avenir. »
Toutes les images de Božena Němcová que nous livre l’histoire, et qui sont souvent bien contradictoires, ont pourtant un dénominateur commun, un trait typique pour sa vie et pour tous ses actes. Tout ce qu’elle a fait, et même ses actes discutables, même ses erreurs, elle l’a fait avec sincérité. Toute sa vie elle a cherché à agir ouvertement et librement. « Je souhaitais être meilleure, je voulais obéir à la vérité mais le monde m’obligeait à mentir, a-t-elle écrit. Je vois que le monde décrie ce qu’il y a de plus beau dans l’être humain, il prend pour péché ce qui est naturel et spontané. Celui qui ne court pas avec le troupeau à la mangeoire est crucifié. Qui ne le fait pas est un martyre. »
Božena Němcová est née à Vienne, probablement en 1820. Elle est la fille d’une servante dans une maison aristocratique. La date de sa naissance n’est pas certaine et son origine fait l’objet de nombreuses spéculations car selon plusieurs théories, qui restent cependant à prouver, elle pourrait être en réalité fille illégitime d’une grande dame et même de la duchesse Wilhelmine de Sagan qui lui a servi de modèle pour un personnage de son futur chef d’œuvre. La jeune fille qui s’appelle Barbora Pankel s’installe bientôt avec sa famille dans le domaine de Ratibořice en Bohême. C’est là où cette jeune fille qui ne parle qu’allemand commence à apprendre le tchèque. C’est à Ratibořice qu’elle passera une enfance heureuse grâce aussi à la présence de sa grand-mère maternelle qu’elle immortalisera dans son livre.
La jeune fille d’une beauté saisissante n’a que dix-sept ans lorsqu’elle se marie avec le commissaire des douanes Josef Němec auquel elle donnera cinq enfants. Elle partage le patriotisme ardent de son mari et pourtant leur mariage n’est pas heureux. En 1842 le couple s’établit à Prague et la jeune femme entre dans les milieux tchèques. Elle commence à écrire. Elle aspire avidement l’atmosphère artistique et intellectuelle de la grande ville, elle devient la muse des cénacles patriotiques, elle fait rêver les jeunes hommes de son entourage. La critique littéraire Libuše Hezcková évoque cette atmosphère dans laquelle la future romancière a pris son envol :
« A cette époque étaient discutés à Prague des problèmes importants traités par la littérature allemande et la littérature française et il n’est pas étonnant que les jeunes intellectuels pragois, dont Helcelet, Nebeský, Čejka et autres, auraient aimé voir dans Božena Němcová une nouvelle George Sand. Mais ce n’était pas que George Sand, il y avait aussi d’autres grands auteurs comme le philosophe Hegel ou Johann Wolfgang Goethe et son Faust qui alimentaient la discussion entre Božena Němcová et ses proches amis, parfois ses amants, et c’est ce qui la poussait en avant et ce que nous ne devons pas oublier. »
Le patriotisme de Josef Němec provoque la méfiance de ses supérieurs et il est souvent muté. C’est avec lui que la jeune femme qui prend le nom patriotique de Božena, connaîtra plusieurs régions de Bohême et de Slovaquie. Esprit ouvert, elle saura exploiter ces séjours involontaires et y puiser son inspiration pour sa création littéraire. Libuše Hezcková rappelle que ces séjours ont initié la jeune écrivaine aux problèmes et à la condition du peuple de la campagne :
« C’est à Prague que Božena Němcová a commencé à s’intéresser au folklore. L’engouement pour le folklore était de bon ton à l’époque. Chaque cénacle patriotique s’y intéressait. Božena Němcová a cependant bien modifié son rapport vis-à-vis de la campagne lors de son séjour dans la région de Domažlice en Bohême de l’Ouest où elle cherchait le folklore local. Elle y a compris ce que c’était la vie à la campagne, combien y était difficile la situation sociale et a fini par évoquer la vie rurale et ses aspects sociaux dans ses textes. »Les années 1850 dans la vie de Božena Němcová ne sont pas heureuses. La situation matérielle du couple se détériore. Josef Němec est puni par les autorités pour ses opinions patriotiques, perd finalement son emploi et est obligé de partir à la retraite. Les rapports entre les époux en souffrent. Josef Němec jaloux des amis masculins de sa femme, se laisse emporter par la colère et l’agressivité. La santé de Božena et de ses enfants n’est pas bonne non plus. Son fils Hynek, garçon intelligent et doué, meurt à 15 ans de tuberculose. Au bord du désespoir sa mère cherche la consolation en évoquant les années heureuses de son enfance de Ratibořice. Elle ne sait pas que c’est en écrivant ces tableaux de la vie campagnarde intitulé « Grand-mère », qu’elle a jeté les fondements de la prose tchèque moderne.
Au début des années 1860 Božena Němcová mobilise encore une fois ses forces, quitte son mari et s’installe dans la ville de Litomyšl où elle espère pouvoir gagner sa vie par le travail littéraire. Mais bientôt elle doit se rendre à l’évidence : ses forces sont épuisées. Grièvement malade, elle rentre à Prague pour y mourir le 21 janvier 1862. Elle n’a que 42 ans mais elle laisse derrière elle une œuvre d’une grande richesse et d’une grande variété : contes, nouvelles, contes de fées, récits de voyages, recueils de souvenirs et une vaste correspondance qui ne sera publiée dans son ensemble qu’au tournant des XXe et XXIe siècles. Pavel Janoušek de l’Institut de littérature tchèque évoque l’importance de cette œuvre pour la littérature et la culture tchèques :« Cette femme de lettres a dépassé d’une façon importante les standards de son époque. Elle a beaucoup contribué à l’évolution de la littérature tchèque, à l’évolution de la prose, au style de narration que ce soit dans ses livres, ‘Grand-mère’ ou ‘Bára la sauvage’, dans certains de ses contes, mais je pense que ce qui illustre aujourd’hui son niveau littéraire, la largeur de ses vues, son mode de pensée, c’est sa correspondance. C’est une plongée fascinante dans la vie d’une femme. »