Trois épisodes du passé communiste vus par la presse

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« Les médias nationaux n’ont évoqué que modestement le 21 août 1968, date de l’occupation de la Tchécoslovaquie par les troupes du Traité de Varsovie, à l’occasion du 43ème anniversaire de l’événement ». C’est ce que constate sur son site « Neviditelný pes » le journaliste et écrivain Ondřej Neff. Nous allons vous présenter une partie de sa réflexion... Une des récentes éditions du journal Právo a rappelé le destin de Rudolf Slánský, « créateur et victime du régime communiste » et s’est notamment interrogée sur les raisons de sa fidélité au régime, dont il a fait preuve même au seuil de son exécution, tandis que Mladá fronta Dnes s’est penché sur certaines circonstances de la mort jamais élucidée de Jan Masaryk, fils du premier président tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk.

Ondřej Neff
Ondřej Neff écrit : « Le 21 août 1968 ne constitue dorénavant et définitivement qu’une des dates sinistres dans le riche ensemble de dates douloureuses dont peut se ‘vanter’ notre histoire, une date qui n’intéresse pourtant guère la jeune génération ».

Il trouve cela assez naturel car « si l’on n’a pas vécu un événement dramatique en tant que témoin oculaire, on n’arrive pas à s’y intéresser profondément ». Dans cette logique, donc, on peut s’attendre d’après lui à ce que les futures générations s’y désintéressent peu à peu totalement, un événement historique en chassant un autre.

Plus loin, il exprime l’idée que, tout en plongeant le pays dans le désastre des années de la « normalisation », les événements de 1968 ont eu un côté positif bien que cet apport ne se soit manifesté que plus tard. Il explique :

« Avant cette date, le régime communiste pouvait compter sur le soutien de la gauche intellectuelle de l’Occident. Il ne s’agissait pas seulement de communistes, le régime étant soutenu également par un large éventail de personnes honnêtes et pleines de bonne volonté qui étaient prêtes à croire que le communisme était à même d’offrir des solutions aux problèmes politiques et sociaux du monde, que l’Union soviétique était sur la bonne voie, en dépit de certaines erreurs commises ».

« La brutalité arrogante de l’invasion d’août a débarassé le monde de ses illusions. Dès lors des gens brillants comme Pablo Picasso ou Charlie Chaplin n’ont plus pu soutenir ce régime qui a ainsi perdu son soutien intellectuel. »

Selon l’auteur de l’article il faut se demander pourquoi la gauche intellectuelle a accordé son plus important soutien au régime communiste justement à l’époque où ses crimes, faisant des millions de victimes, étaient à leur apogée. Et d’illustrer ce constat par le cas de G. B. Shaw qui « s’était fait filmer dans un camp de concentration soviétique, enthousiasmé par l’idée de ‘rééducation’ de criminels par le travail ».

« Après l’occupation soviétique de l’ancienne Tchécoslovaquie en août 1968, une telle aproche n’était plus possible », conclut-il.

Le journal Právo rappelle dans une de ses récentes pages consacrées à d’intéressants chapitres de l’histoire tchèque, le sort tragique de Rudolf Slánský, ancien numéro deux du parti communiste tchécoslovaque et l’une des victimes les plus illustres des procès politiques mis en scène par des « conseillers soviétiques », qui se sont déroulés dans le pays dans les années 1950.

Dans la partie évoquant les années d’après-guerre, le journal souligne que Rudolf Slánský, issu d’une famille juive et engagé dès sa tendre jeunesse dans le mouvement communiste, a été une des principales figures du coup d’Etat de février 1948 et qu’il est devenu un des proches collaborateurs du futur président Klement Gottwald, son ami et compagnon de route. Celui que l’on a pris l’habitude d’appeler le premier président ouvrier du pays. Le quotidien écrit :

« Slánský défendait une ligne du parti très dure, conformément à sa conception de classe du monde qui ne voyait que deux camps : ceux qui aspiraient à édifier un ordre juste et, d’un autre côté, les ennemis, réels ou supposés, qu’il fallait à tout prix combattre. »

Comme on le sait, entre les années 1948-1950, toute une série de procès politiques ont été montés contre des personnes accusées de sabotage de l’économie nationale, d’espionnage et d’autres crimes graves, bref de haine à l’égard du régime. En ce qui concerne le rôle de Slánský dans ces procès, le quotidien Právo souligne :

« Il ne s’est pas seulement présenté comme quelqu’un qui acceptait passivement les représailles. Il est allé beaucoup plus loin, il a été l’un des initiateurs les plus farouches de ces procès, donnant à ce sujet des instructions aux fonctionnaires subalternes. Ses fonctions lui ont permis de décider de la persécution de milliers de citoyens innocents, ainsi que du sort des accusés lors des procès... Il était membre d’organes qui avaient un pouvoir de décision, lorsqu’il s’agissait de prononcer des peines capitales ».

Mais bientôt, sur ordre de Moscou, les « ennemis » du régime et de l’Union soviétique allaient être dévoilés au sein même de la nomenklatura communiste. Lorsque les Soviets décident de mettre sur pied un grand procès antisémite et antisioniste à Prague, c’est Rudolf Slánský, à l’époque secrétaire général du Parti communiste tchécoslovaque, qui est choisi comme la « tête » du complot contre l’Etat, avant d’être arrêté, condamné puis exécuté. Le journal Právo écrit :

« En prison, Rudolf Slánský a longtemps résisté. Il était prêt à avouer les fautes et les erreurs, tout en refusant cependant d’accepter des aveux imposés et de s’autoproclamer l’ennemi du parti auquel il avait voué toutes ses forces et toutes ses capacités... Le seul aveu qu’il a fait sous forte pression psychique, c’est qu’il avait porté involontairement préjudice au parti. Ne voulant pas jouer le rôle de traître, il demeurait malgré tout un communiste discipliné ».

Slánský a fléchi après une tentative de suicide manqué. Brisé, il a alors avoué tout ce que les juges d’instruction demandaient de lui. « A l’instar d’autres accusés, il a dû apprendre son ‘réquisitoire’ par cœur, d’après le scénario préparé à l’avance par les conseillers soviétiques ».

Le 27 novembre 1952, Rudolf Slánský a été condamné pour des actes qu’il n’avait pas commis et a été exécuté une semaine plus tard. Il était le seul parmi les 11 autres condamnés à ne pas avoir demandé de grâce au président Gottwald, le seul aussi à n’avoir pas adressé une ultime lettre à sa famille.

« Face à l’histoire, le sort cruel que Slánský a connu ne le débarrasse pas pour autant de sa part de responsabilité dans les crimes du régime », constate le journal à la fin de la description de son parcours, faisant remarquer que plus d’une question qui sont liées à ce personnage demeurent et demeureront probablement sans réponse. Nous citons :

« Pourquoi Rudolf Slánský a finalement accepté de jouer dans ce théâtre tragique le rôle de traître ? Il n’a jamais donné de réponse, nous ne disposons d’aucun témoignage... Nous ne savons pas non plus s’il se rendait compte de sa propre responsabilité dans le système qu’il avait lui-même édifié et dirigé. Nous ne savons pas quelles sont les questions qu’il s’est posées et s’il s’est senti coupable ».

Jan Masaryk
Jan Masaryk, chef de la diplomatie tchécoslovaque après la fin de la Deuxième Guerre mondiale et aussi, très brièvement, au sein du cabinet Gottwald, a-t-il été assassiné ou bien s’est-il suicidé ? Voilà une autre question de la récente histoire tchèque ou, plutôt, tchécoslovaque, à laquelle on ne connaît toujours pas de réponse et sur laquelle s’est penché un des suppléments de cet été du quotidien Mladá fronta Dnes.

« La première enquête sur la mort de Jan Masaryk, retrouvé le matin du 10 mars 1948 en-dessous de la fenêtre du Palais Černín, siège du ministère des Affaires étrangères à Prague, a été menée par la police d’Etat communiste (StB). Il n’est donc guère étonnant qu’elle ait conclu à un suicide », peut-on lire dans les pages du journal qui signale que des doutes au sujet de ce verdict ont cependant immédiatement émergé. Il évoque en outre les enquêtes menées par la suite :

« Une nouvelle enquête sur la mort de Jan Masaryk qui a eu un immense retentissement a été menée en 1968, lors du Printemps de Prague. Par ailleurs, une émission télévisée y a été alors consacrée ».

L’invasion soviétique en août 1968 a coupé court à cette enquête indépendante qui a finalement débouché sur une théorie insensée, selon laquelle Masaryk serait tombée de la fenêtre en fumant une cigarette.

Deux autres enquêtes ont été effectuées dès la chute du régime communiste, en 1989, qui n’ont pourtant pas réussi à élucider l’énigme. Ceci dit, les partisans de la théorie qui veut que fils de Tomas Garrigue Masaryk ait été assassiné, ne cesse de prévaloir. En conclusion, le journal écrit :

« La réponse à l’énigme au sujet de la mort Jan Masaryk repose dans les archives soviétiques. Tant qu’elle ne seront pas rendues accessibles, on ne connaîtra pas la vérité ».