A la recherche de Gustav Mahler

0:00
/
0:00

Magicien, monstre, fantôme de l’opéra, professeur d’énergie – ce ne sont que quelques uns des innombrables épithètes par lesquels les contemporains de Gustav Mahler voulaient exprimer les divers aspects de la personnalité de cet artiste. Face au miracle de sa musique, il est difficile de ne pas se demander quelles étaient les sources de son inspiration et les conditions dans lesquelles s’est épanoui son génie. Une réponse à ces questions a été récemment donnée par l’écrivain Zdeněk Mahler qui cherche dans son livre intitulé «Le compatriote Gustav Mahler» à cerner la personnalité de son illustre ancêtre.

Un siècle et demi après sa naissance, Gustav Mahler est toujours avec nous. Ses oeuvres figurent dans le répertoire de tous les grands orchestres symphoniques malgré les moyens exceptionnels qu’exige leur exécution. Les chefs d’orchestre et leurs instrumentistes considèrent ces symphonies monumentales comme des défis. Mahler voyait comme un défi toute son existence. Il n’est pas facile de raconter dans un livre cette existence passionnée. L’écrivain Zdeněk Mahler, auteur d’ouvrages sur plusieurs personnalités dont Mozart, Smetana et Dvořák, est attaché au compositeur par un lien de parenté:

«Nous n’avons pas fait beaucoup de recherche dans ce sens parce qu’il y avait, bien sûr, toute une série de circonstances qui compliquaient la tâche et pas seulement l’occupation nazie. Cependant, sans parler de cette parenté, j’apporte dans mon livre les preuves que de nombreuses générations de cette famille ont vécu sur le Plateau tchéco-morave et se sont répandues aussi dans des villages de régions environnantes. Le grand-père de Gustav, Šimon, (c’était une famille nombreuse) avait beaucoup de frères et l’un de ses frères était mon arrière-arrière-grand-père.»

L’engouement pour Mahler n’atteint son apogée qu’au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Il faut un demi-siècle pour que le public mondial soit prêt à accepter le message de ce novateur. Mahler doit aussi son énorme popularité au disque et aux grands chefs d’orchestre qui serviront bien sa musique. Les intégrales de ses symphonies seront enregistrées par Bernstein, Kubelík, Solti, Haiting, Inbal, Neumann… Zdeněk Mahler, lui, découvre le compositeur dès le début des années 1960:

Gustav Mahler
«Cela a commencé dans un certain sens en dehors de la musique. Ainsi, en 1960 je me suis rendu à Londres, et c’est à Londres, à Charing Cross où il y a de grandes librairies, que je suis tombé sur le livre intitulé ‘The Early Years of Gustav Mahler’ (Les jeunes années de Gustav Mahler) de Donald Mitchell. J’ai ouvert ce livre et j’y ai trouvé une copie de l’acte de baptême de Gustav Mahler écrit en tchèque. A ce moment-là, ici, Mahler n’était pas encore à la mode. C’est donc de Londres que j’ai rapporté des livres consacrés à Mahler et aussi des enregistrements de ses œuvres.»

Gustav Mahler traverse la musique de son temps comme un météore effrayant, mais revigorant. Après lui, rien ne sera plus comme avant. Dans son livre Zdeněk Mahler retrace par de courts chapitres les principales étapes de l’itinéraire de l’homme devenu en quelque sorte la personnification du passage entre le passé et la modernité:

«Vous savez, si je voulais faire une comparaison un peu poussée, je dirais que ce que représente Franz Kafka, prophète, dans la littérature, c’est, à mon avis - et l’on s’en rend compte en écoutant ses œuvres - Mahler dans la musique.»


Zdeněk Mahler évoque d’abord la famille du compositeur, son père Bernard, propriétaire d’une petite distillerie, sa mère Marie, fille d’un riche savonnier. Il suit aussi les premiers pas de l’enfant prodige dans le village de Kaliště puis dans la ville de Jihlava où ses parents se sont établis. Son enfance dans une petite ville du Plateau tchéco-morave sera décisive pour le reste de la vie de l’artiste. «Ce sont les sensations des années de l’enfance qui sont les plus importantes pour la vie de l’homme, dira-t-il plus tard. Tout ce que j’ai développé dans ma création, avait été rassemblé dans mon âme au cours des dix premières années.»

Gustav Mahler
Le livre nous accompagne d’abord à travers les premières étapes de cette existence qui est remplie jusqu’à ras bord par la musique et tend vers les sommets. Il raconte les études du jeune Gustav, ses amitiés avec Hugo Wolf et Hans Roth, sa passion pour Richard Wagner et Anton Bruckner, idoles de sa jeunesse. Il n’oublie pas les débuts du jeune Gustav au pupitre d’un mauvais orchestre d’opérette, ses engagements dans les opéras d’Olomouc, de Kassel et de Prague où il est invité par l’impresario Angelo Neumann, et il le suit également à Budapest, Leipzig et Hambourg jusqu’au poste de directeur de l’opéra de Vienne à l’apogée de sa carrière.
Alma
Zdeněk Mahler ne peut pas omettre non plus plusieurs femmes qui ont marqué la vie de Gustav : sa mère, sa sœur Justina, son amie intime Anna von Lindenburg et surtout Alma Schindler, muse viennoise et femme fatale qu’il a fini par épouser, qui lui a donné deux filles et qui, après la mort de Gustav, a attiré dans son orbite encore d’autres grands artistes.


Le livre évoque les premières compositions du jeune Gustav, ses échecs scandaleux face à l’incompréhension du public, mais aussi ses succès, la gestation de ses grandes symphonies et son style inimitable mariant le lyrisme exacerbé à la grimace ironique. Il cherche à donner une image véridique de cet homme passionné, difficile et intrépide, de ce fanatique de la perfection qui a investi toute son inépuisable énergie dans une œuvre titanesque et dans une lutte sans merci contre la médiocrité:

«Il savait, comme on dit, se faire des ennemis. Il n’est pas possible de le décrire simplement. J’utiliserais même la métaphore suivante : de même que nous avons assisté dans les dernières décennies à la naissance de la philosophie post-moderne et de la poétique post-moderne qui entremêle les genres, les niveaux et les aspects de la connaissance, tout cela existe déjà dans sa musique. Et évidemment, dans le passé déjà, cela ne plaisait pas.»

Gustav Mahler
C’est donc de cette façon que Zdeněk Mahler cherche à décrire et à nous faire comprendre le personnage infiniment complexe d’un grand créateur qui était pourtant rempli de contradictions et dont l’âme était partagée entre l’esprit lumineux et la peur de l’inconnu, la gaîté et le désespoir suicidaire, la fermeté virile et l’humour capricieux:

«J’ai décidé d’écrire impitoyablement et d’être ferme même vis-à-vis de Mahler. Peut-être ce lien de parenté m’autorise à nommer les choses par leur nom. En ce sens je pense avoir saisi son caractère contradictoire, la dichotomie de la personnalité qui est souvent le prix à payer pour le don de génie mais aussi la condition même d’une formidable perspicacité du regard. Je pense avoir mis cela dans mon livre.»


Rediffusion du 20/2/2010