Mad Apple : produire du cidre au royaume de la bière, un pari fou ?

Photo: Mad Apple

Vendre du cidre dans le pays où la bière est reine ? C’est un pari plutôt audacieux lancé par trois jeunes entrepreneurs tchèques il y a un peu moins de deux ans. Un pari en phase d’être gagné haut la main. Rencontre avec Vašek Beran et Lenka Beranová, deux des co-fondateurs de Mad Apple.

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Mad Apple, la pomme folle ; c’est ainsi que Vašek Beran, sa sœur Lenka Beranová et un troisième compère, Petr Fila, ont décidé de baptiser leur cidre tchèque. On pourrait penser qu’il fallait être en effet peut-être un peu fou pour vouloir oser essayer de détrôner la bière en République tchèque. Mais c’est dans un autre pays où la bière est aussi une tradition nationale que leur est venue cette idée. Lenka Beranová :

« Avec un ami, nous sommes allés en Angleterre où nous avons travaillé et étudié l’anglais. Et comme nous vivions avec des Anglais et que nous allions avec eux dans les pubs pour boire une bière, nous nous sommes rendu compte qu’au milieu des bières, il y avait aussi du cidre. Nous avons commencé à boire du cidre, ça nous plaisait bien. Un jour, Vašek est venu nous voir pour une visite en Angleterre. Un soir, nous avons bu peut-être un peu plus de cidre que d’habitude et nous est venue l’idée que nous pourrions produire du cidre chez nous, en République tchèque. »

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L’idée est donc née, mais pas de folie des grandeurs au début, comme le raconte Vašek Beran : « Les débuts étaient très modestes. Nous avons en fait commencé dans notre jardin. Nous nous sommes munis de notre propre pressoir et nous avons choisi de bonnes variétés de pommes. Nous avons un verger près de Znojmo. Nous avons appris le mode de fabrication du cidre. Nous avons beaucoup observé les expériences anglaises. Nous avons visité des maisons de cidre en Angleterre et après une année d’essais de diverses méthodes, nous avons compris et réussi à faire ce cidre. »

Absent de République tchèque, le cidre est néanmoins fabriqué dans divers pays européens. Les jeunes entrepreneurs ont bien fait le tour des différentes productions nationales – françaises, espagnoles – mais ils sont restés sur le type de cidre anglais, non seulement parce que c’est là-bas qu’ils ont découvert ce fameux breuvage, mais aussi parce que de nombreux jeunes Tchèques se sont déjà rendus en Angleterre, notamment pour y travailler, et connaissent déjà le cidre anglais. Il est assez étonnant de constater qu’il n’existe aucune tradition de cidre tchèque ou d’une boisson qui aurait pu s’en rapprocher, à base de pommes – ce fruit étant par ailleurs très présent dans l’agriculture et la gastronomie tchèque. Un paradoxe sur lequel se sont aussi interrogé les deux entrepreneurs.

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Vašek Beran: « Il n’y a pas d’histoire du cidre chez nous. Quand nous sommes arrivés sur le marché, il y avait un peu d’importation de cidre, surtout d’Angleterre. Nous sommes les premiers à produire du cidre. C’est intéressant parce que nous avons beaucoup de pommes. Il y a beaucoup de vergers dans toute la Bohême. Il est donc curieux que l’on ne boive pas de cidre. C’est peut-être parce que nous produisons du vin… »

Lenka Beranová: « Je pense plutôt qu’une des raisons est à chercher dans le passé. Quand on produisait du vin autrefois, de petits viticulteurs malhonnêtes utilisaient des pommes dans le vin. Et je pense qu’à cause de ça, chez les consommateurs tchèques, est née une aversion pour les boissons à base de pomme. C’est devenu négatif pour cette raison. Je pense que cela a beaucoup influencé le fait que la pomme, qui est un produit pourtant fantastique, n’a pas été utilisée pour fabriquer des boissons. »

La jeune génération, selon Vašek Beran, ne connaît pas forcément cette histoire et n’a donc pas d’a priori sur une boisson à base de pommes et le cidre de Mad Apple se développe. Vašek Beran :

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« Nous sommes maintenant à plus de 40 000 litres par an, plus ou moins même 50 000 litres. En fait, cela croît constamment. Nous produisons en faisant de l’outsourcing, c’est-à-dire que nous nous laissons presser le jus. Ce jus doit avoir des caractéristiques précises, en termes de sucre et d’acidité. Certains jus sont plus adaptés au cidre, d’autres moins. Donc bien sûr nous choisissons les variétés. C’est un mélange de variétés. Nous faisons fermenter le jus avec une levure spéciale dans de grands fûts. La fermentation dure environ un mois mais la période complète pour préparer notre cidre est d’environ deux mois. Ce n’est pas très long. Sinon, le jus est de République tchèque. Nous produisons à Znojmo. Depuis peu, nous pensons déménager la production pour nous rapprocher de là où est produit le jus. Mais ce n’est qu’une idée encore, pour le futur. »

Quels sont les consommateurs de Mad Apple, et surtout comment concurrencer la bière, véritable boisson nationale, dont la consommation par habitant est la plus élevée au monde ? C’est la question à laquelle répond Vašek Beran :

« C’est difficile, parce que bien sûr, nous sommes une nation de bière. On boit aussi beaucoup de bière et la bière est très bon marché. Elle est même moins chère que la limonade ! C’est donc difficile de concurrencer la bière dans cette situation. Mais en même temps, les gens en ont parfois assez de boire de la bière et il n’y a pas d’alternative et je pense que le cidre atteint son objectif dans le sens où c’est quelque chose de nouveau, d’intéressant, et en plus c’est bon et rafraîchissant. Je dirais que c’est la meilleure alternative à la bière. »

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Les boissons alternatives sont souvent conçues ou destinés aux consommatrices, donc aux femmes, plus qu’aux consommateurs masculins. Ce n’est pas tout le fait le cas de Mad Apple, estime Vašek Beran.

« Je dirais que c’est moitié-moitié. D’après les échos que j’ai, je dirais que c’est autant pour les hommes que pour les femmes. Peut-être que si notre cidre était moins fort, moins alcoolisé, nous nous adresserions plus au public féminin, mais là, je dirais que c’est vraiment moitié-moitié ».

Le cidre de Mad Apple contient en effet près de 6% d’alcool, ce qui le place en haut du tableau sur l’échelle des cidres européens et internationaux, dont le taux d’alcool doit osciller entre 2 et 8%. Mais c’est surtout un cidre dont la qualité a été reconnue très rapidement. Lenka Beranová :

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« Notre succès va au-delà des frontières de la République tchèque. Chaque année, à Londres est organisé un concours international, l’International Cider Challenge, auquel nous avons participé en 2010 et en 2011. Et nous avons obtenu pour chacune de nos participations la médaille de bronze. Ce concours est international et y sont en compétition plus de 100 cidres du monde entier. C’est donc un peu succès pour nous. »

Vous pouvez trouver et goûter ce cidre tchèque dans les commerces et dans de nombreux cafés et débits de boisson du pays, ainsi qu’en Pologne et en Slovaquie. Et pour rester un semblant fidèle à la bière, ou pour le déguster à l’anglaise, il est désormais possible de le commander à la pression dans une taverne du quartier de Vršovice, le Zubatý pes, à Prague.