390 ans depuis l’exécution des 27 seigneurs tchèques
390 ans se sont écoulés, le 21 juin, depuis l’exécution des 27 seigneurs tchèques protestants, leaders de l’insurrection contre le pouvoir catholique des Habsbourg. Leur décapitation met un point final symbolique à la défaite de l’armée protestante tchèque par les Impériaux à la bataille de la Montagne Blanche, le 8 novembre 1620. Les conséquences pour la nation tchèque sont lourdes : la liberté de confession garantie par la Lettre de Majesté de 1609 est supprimée, la Contre-Réforme progresse, la germanisation s’intensifie, le droit des Habsbourg au trône de Bohême devient héréditaire. Une cérémonie en mémoire de cet événement fatidique de l’histoire tchèque s’est déroulée ce mardi après-midi en l’église Saint-Nicolas, place de la Vieille-Ville, lieu de l’exécution des 27 seigneurs tchèques. Radio Prague y a assisté.
« Au début du XVIIe siècle, Václav Budovec se positionne ouvertement contre la persécution des membres de l’Unité des frères et en faveur de la reconnaissance des libertés religieuses. En 1609, il s’engage activement en faveur de la publication de la Lettre de Majesté. Dans les années 1618-1620, il est l’un des meneurs de l’opposition protestante des Etats tchèques. L’électeur palatin protestant, Frédéric V, élu roi de Bohême, charge Václav Budovec des fonctions de chancelier et de président de la cour d’appel. Après la défaite des Etats à la Montagne blanche et l’avènement de Ferdinand II de Habsbourg au trône, Václav Budovec est exécuté sur la place de la Vieille-Ville et ses biens sont confisqués. »
L’importance de la Lettre de Majesté a été évoquée lors de la cérémonie par Jakub Trojan, professeur de la Faculté théologique évangélique. Pour ce dernier, la période entre la promulgation en 1609 de ce décret garantissant la liberté de confession et la décapitation des seigneurs en 1621 a marqué un court épisode de l’entière liberté religieuse et civique sur notre territoire :« Il s’agit d’un document unique adopté sur le sol tchèque et qui a devancé d’un demi-siècle le reste de l’Europe. Bien que son adoption ait été dans une certaine mesure imposée à l’empereur déjà malade et affaibli, il représente, aux termes du langage actuel, une activité œcuménique commune de trois communautés religieuses qui s’étaient constituées et qui avaient coexisté au sein du royaume de Bohême : l’Unité des frères, les Calixtins – utraquistes communiant sous les deux espèces, et les catholiques romains alors minoritaires. La Lettre de Majesté éditée en 1609 garantit la liberté de confession à tous les niveaux, pas seulement des nobles ou des ecclésiastiques : les adhérents des trois confessions dans cette petite partie de l’Europe, quelle que soit leur origine, les seigneurs aussi bien que les simples sujets, bénéficient de cette liberté de confession. »
La défaite des Etats tchèques à la Montagne blanche a marqué le début, pour la Bohême, d’un âge sombre souvent désigné comme l’« ère des ténèbres ». Pour l’Europe, c’est le début de la guerre de Trente Ans. La fameuse défénestration de Prague est un prélude à ce conflit. En mai 1618, la Diète de Bohême se réunit pour s’entendre sur la façon de procéder contre le durcissement de la politique pro-catholique. Une centaine d’aristocrates les plus indignées envahissent la chancellerie du château. Sur quatre lieutenants-gouverneurs délibérant alors dans la salle, deux, Slavata et Martinic, ainsi qu’un secrétaire, Fabricius, sont jetés par la fenêtre dans les fossés du château. L’empereur habsbourgeois est dépossédé du trône, les insurgés élisant à sa place l’Electeur palatin Frédéric V, leader des protestants allemands. Mais le succès des Etats tchèques n’est que de courte durée. Le chef des armées impériales, le comte wallon Jean de Tilly, est envoyé à Prague pour intervenir contre les insurgés. Les Etats tchèques sont écrasés sur une colline aux environs de Prague appelée Montagne Blanche, Bílá Hora en tchèque. Après la bataille, les non catholiques sont victimes d’une féroce répression exercée par Ferdinand II de Habsbourg. 61 opposants sont arrêtés. Le 19 juin 1621, le tribunal, présidé par le nouveau lieutenant-gouverneur, Charles 1er de Liechtenstein, prononce le verdict : 30 hommes sont reconnus coupables, 27 d’entre eux entendent le verdict capital, trois sont chassés de Prague. Le bourreau Mydlář, utraquiste, achève son œuvre avant midi, le 21 juin 1621. Trois parmi les 27 hommes exécutés sont des aristocrates : Václav Budovec de Budov, Jachym Ondřej Šlik – recteur de l’université d’Iéna, puis juge suprême des pays tchèques, et Kryštof Harant de Polžice et Bezdružice, diplomate, explorateur et compositeur. Sept sont des chevaliers, les dix-sept autres des bourgeois. Les têtes des opposants exécutés sont accrochése en haut de la tour de l’hôtel de ville de la Vieille-Ville, en signe d’avertissement. Ce n’est qu’en 1631 qu’elles seront enterrées dans la crypte de Notre-Dame-de-Týn d’où elles disparaîtront, un an après, dans des conditions mystérieuses.Après l’exécution des meneurs de l’opposition protestante, la noblesse tchèque est dépossédée de ses terres au profit de petits nobles catholiques de souche allemande notamment, observe pour sa part Antonín Kostlán, de l’Institut d’histoire moderne de l’Académie des sciences :
« D’importants transferts des biens ont touché pas moins de 700 familles aristocratiques en Bohême, et 300 autres en Moravie. Entre la moitié et un tiers des domaines et des possessions foncières ont changé de propriétaires. Celui qui en bénéficie le plus n’est ni l’empereur, ni le fisc impérial, ni le clergé nouvellement constitué après la Montagne Blanche. C’est l’Eglise catholique, des commandants allemands, italiens et espagnols des armées victorieuses, et c’est aussi et avant tout, la noblesse tchèque, d’anciennes familles aristocratiques qui ont racheté à des prix sous-évalués près de 60% des biens disponibles. Parmi ces familles, on peut citer Marie Magdalena Trčková, ou Polyxène de Lobkowicz. »Les pays de la couronne de Bohême deviennent une terre d’expatriés, après l’exécution des 27 seigneurs. Les prédicateurs protestants sont expulsés. Les pratiques utraquistes sont interdites. Le pays perd ses élites nationales et intellectuelles, souligne l’historienne Marie Koldinská :
« Les réactions suite à l’introduction de l’Ordre provincial rénové, en 1627, qui stipule que le catholicisme est la seule confession autorisée dans le pays, sont multiples : de très nombreux protestants quittent le pays pour pouvoir sauvegarder leur foi en exil, d’autres restent et essaient de pratiquer secrètement leur foi dans leurs foyers, et toute une série de personnes concernées optent pour la conversion au catholicisme. La question qui se pose est de savoir dans quelle mesure cette conversion était sincère et à quel point elle était motivée par des pressions extérieures. » On peut dire, en général, que les pays de la couronne de Bohême ont perdu un quart de leur population, suite à la guerre de Trente Ans. Les départs en exil ont touché des dizaines de dignitaires ecclésiastiques, des centaines de familles aristocratiques, des milliers de familles de petits bourgeois, d’artisans, de paysans ainsi que de simples sujets. La Constitution rénovée de 1627 retire aux Etats tchèques le droit théorique d’élire le roi de Bohême. Les Habsbourg obtiennent la Couronne de Bohême à titre héréditaire. La domination habsbourgeoise sur les pays tchèques commencée en 1526 est confortée et durera au total pendant plus de trois siècles.