Joanna Beaufoy : « Kundera a trouvé son paradis littéraire en France »
Elle s’appelle Joanna Beaufoy et c’est une étudiante anglaise. Elle étudie le français et l’espagnol à l’Université de Cambridge, prépare une licence et rédige un mémoire sur Milan Kundera, écrivain dont on peut dire qu’il a changé d’identité littéraire. D’abord écrivain tchèque, il est aujourd’hui écrivain de langue française. Et c’est justement cet aspect de l’œuvre de Milan Kundera qui intéresse particulièrement Joanna Beaufoy. Elle pense que Kundera, auteur qui la passionne, a trouvé « son paradis littéraire » en France. C’est la raison pour laquelle elle a l’intention d’analyser ses écrits en français et d’enquêter sur la relation intime de l’écrivain avec sa nouvelle identité. Elle étudie particulièrement la réception des œuvres de Milan Kundera en France et l’impact de la décision d’un écrivain étranger d’écrire en français. Ce sujet lui tient à cœur car elle a aussi l’intention d’écrire un jour un roman en français. Elle considère donc ses études sur Kundera comme des études sur son propre avenir. Dans le cadre de ses études Joanna est venue à Prague et nous a rendu visite à la radio. L’occasion de lui poser quelques questions sur son approche de l’œuvre de Milan Kundera :
« J’ai commencé à lire Milan Kundera en anglais. Je suis étudiante de littérature française en Angleterre et j’ai découvert qu’il avait écrit ces dernières œuvres en français. Je me suis donc dit que c’était une super opportunité de lire encore du Kundera et d’écrire ma dissertation sur lui. J’ai lu ces derniers écrits et j’ai trouvé cela vraiment intéressant puisque cela parlait de la France. Comme j’ai passé beaucoup de temps en France, je m’identifiais plus avec ses derniers romans qu’avec ceux qui sont plus connus. Je suis donc venue à Prague pour faire des recherches sur Kundera. »
Qu’est-ce que les livres de Milan Kundera vous ont appris ?
« J’ai lu mon premier livre de Kundera quand j’avais 18 ans et j’ai eu l’impression que cela me faisait grandir. C’était une fenêtre qui donnait sur la vie adulte, sur les relations beaucoup plus compliquées et situées dans leur contexte politique et philosophique. J’ai trouvé dans les livres de Kundera de vrais être humains et pas de simples personnages littéraires auxquels j’étais habituée. »
Milan Kundera est un écrivain controversé. Avez-vous suivi les dernières affaires de sa carrière littéraire ?
«Je sais qu’il y a eu un scandale récemment mais je m’intéresse plutôt au fait de partir de son pays et, sur le plan linguistique, d’adopter une nouvelle langue. Je me demande si cela traduit un rejet, un exil et donc quelque chose de négatif, ou si c’est au contraire quelque chose de beau quand on retrouve dans un pays ses références culturelles, quand on adopte une nouvelle langue, quand on se traduit soi-même (en français dans le cas de Kundera). Je me demande si cela peut être vu d’un point de vue négatif ou positif. C’est à cela que je m’intéresse. »
Avez-vous des réponses à toutes ces questions ?
« Moi, j’ai étudié le français et l’espagnol. J’essaie d’étudier le plus de langues possible et je sais qu’il y en beaucoup comme moi aujourd’hui en Europe qui ne pensent pas que l’Europe doive être seulement anglaise. Je suis anglaise et l’anglais est donc ma langue maternelle mais il ne faut pas dire que bientôt tout le monde va parler anglais, ça ne sert à rien d’apprendre les langues. Je trouve que ce qu’a fait Kundera est très beau parce que ce n’est pas donné à tout le monde d’écrire en français. Le français a une grande réputation et cela peut être très difficile parce qu’il y a tous ces grands écrivains. La France est extrêmement fière de sa littérature et oser écrire des romans en français, c’est extraordinaire. C’est pour cela que j’admire Milan Kundera. C’est l’écrivain que j’admire le plus. »
Milan Kundera est-il un écrivain lu par les jeunes, par les lecteurs de votre âge ?
« Oui. J’en ai entendu parler plus en France qu’en Angleterre mais, personnellement, j’ai donné ses livres à beaucoup de mes amis et ils ont tous dit : ‘Pourquoi je n’ai pas entendu parler avant de cet écrivain ? C’est vraiment génial. Je ne le connaissais pas. J’étais ignorant. On ne prête presque pas attention à cette région de l’Europe dans les leçons d’histoire à l’école. On n’apprend rien sur l’Europe centrale.’ Et cela a donc ouvert à mes amis les portes de cette région. Ils peuvent lire et apprendre ce qui s’est passé ici après la Deuxième Guerre mondiale et découvrir une autre partie de l’histoire européenne qui est tellement proche d’eux mais aussi loin parce que l’on n’en parle pas et que l’on ne l’étudie pas. »
Pensez-vous que Milan Kundera serait un bon candidat au prix Nobel ?
« Oui. Je sais qu’il y en a beaucoup qui s’étonnent que Kundera n’ait pas reçu le prix Nobel. Je pense qu’à la fin de sa vie il le mérite avec tout ce qu’il a achevé en deux langues, en deux cultures. Ce n’est pas un écrivain en exil classique qui prend toujours la défense de son peuple, c’est aussi un grand écrivain, un grand commentateur de l’espèce humaine, de la littérature européenne. Voilà, c’est un grand personnage. Il a fait le travail des écrivains du XVIIIe siècle en France et aussi celui des auteurs qui ont écrit après la guerre. Il a fait énormément de choses et je pense qu’il le mérite bien et que ce serait triste qu’il meure avant de recevoir un grand prix. »