Tchèque et slovaque : deux langues slaves ou une langue tchécoslovaque ?

Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! Mercredi prochain, 17 novembre, Tchèques et Slovaques célébreront le 21e anniversaire de ce qui est communément appelé « la révolution de velours » – sametová revoluce, à savoir le processus qui a abouti, en 1989, à la fin du régime communiste en Tchécoslovaquie. L’année dernière à la même époque, nous avions notamment rappelé que, pour différentes raisons, les Slovaques désignaient plutôt cette période parfois aussi appelée « la révolution de novembre » - « listopadová revoluce », comme « la douce révolution » - « nežná revolúcia », comme le faisaient d’ailleurs initialement également les Tchèques eux-mêmes avant que leur « něžná revoluce » ne devienne « sametová », c’est-à-dire qu’elle est restée douce, mais douce comme « du velours ». En revanche, les Slovaques, eux, ne parlent que très rarement de « zamatová revoluce ». Cette constatation nous amène au sujet du jour : à savoir les différences qui existent entre les langues tchèque et slovaque. Deux langues très proches et ressemblantes, mais pourtant pas identiques et même parfois très différentes, comme le sont eux-mêmes Tchèques et Slovaques…

Comme le tchèque, le slovaque appartient au groupe des langues slaves occidentales. Forcément, elle est parlée essentiellement en Slovaquie et en République tchèque. Il s’agit là a priori d’une évidence, et pourtant, dix-huit ans après la séparation de la Tchécoslovaquie en deux Etats indépendants, la pratique du slovaque, voire même sa compréhension, est de moins en moins évidente en République tchèque, notamment au niveau des plus jeunes générations. Aujourd’hui, la plupart des adultes tchèques et slovaques sont capables de se comprendre mutuellement sans problème en employant leur propre langue. Jusqu’en 1993, les deux peuples ont été en effet en contact permanent avec les deux langues, notamment par l’intermédiaire de la radio et de la télévision. Sans remonter jusqu’aux exploits d’Emil Zátopek aux Jeux olympiques de Londres et d’Helsinki en 1948 et 1952, dont les courses étaient commentées à la radio à la fois par un journaliste tchèque et un autre slovaque qui se relayaient à l’antenne, les reportages des informations télévisées ou radiophoniques, par exemple, étaient réalisés et présentés indifféremment en tchèque et en slovaque. Le lundi, le programme de la chaîne nationale était réservé au slovaque. Et puis l’école jouait aussi un rôle important en proposant certaines activités dans la seconde langue histoire de familiariser les élèves, tandis qu’au moment de leur service militaire, nombre de jeunes bidasses tchèques étaient envoyés en Slovaquie.

Depuis 1969 et l’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle relative à la fédération tchécoslovaque, les deux langues nationales ont été considérées comme égales en droits. Certains linguistes considèrent d’ailleurs d’une certaine façon le tchèque et le slovaque comme deux variantes littéraires d’une langue unie que serait le tchécoslovaque. Notons d’ailleurs que cette conception a permis dans la Tchécoslovaquie de l’entre-deux-guerres l’emploi du slovaque comme langue nationale, à la différence notamment de l’allemand alors qu’une importante minorité allemande vivait dans le pays.

Reste que les plus jeunes Tchèques, qui n’ont pas grandi dans le bilinguisme, éprouvent souvent aujourd’hui des difficultés à comprendre, ou tout du moins à bien comprendre les nuances du slovaque. A une époque où la télévision est omniprésente dans la vie quotidienne d’une grande partie des foyers tchèques, cela s’explique notamment par l’absence totale ou presque de programmes ou de films slovaques diffusés par les chaînes tchèques. Ce constat ne vaut pas en Slovaquie, nettement plus influencée de manière générale par la culture tchèque. Ainsi, les téléspectateurs slovaques suivent régulièrement des films tchèques qui ne sont ni doublés ni sous-titrés, et ce sans que la compréhension de la langue leur pose le moindre problème. Mais cette meilleure maîtrise du tchèque côté slovaque s’explique aussi par le nombre relativement important de Slovaques, étudiants ou travailleurs, vivant chez le voisin tchèque. Inversement, peu de jeunes Tchèques, même ceux de Moravie, région frontalière à la Slovaquie, suivent leurs études dans les universités de Bratislava, Košice, Prešov, Nitra, Trnava ou encore Bánská Bystrica.

Source: Radio Prague Int.
Nous l’avons dit, les langues slovaque et tchèque, comme les deux peuples, sont très proches l’une de l’autre, sans aucun doute plus encore à l’écrit qu’à l’oral. Sans trop entrer dans les détails linguistiques, disons simplement que le slovaque diffère le plus du tchèque essentiellement sur le plan phonétique, en plus de présenter une grammaire et une orthographe un peu plus simples que le tchèque. Le slovaque possède également certains mots qu’on ne retrouve pas en tchèque et les différences entre dialectes en Slovaquie sont certainement plus accentuées qu’elles ne le sont en République tchèque. Cela vaut notamment pour la partie est de la Slovaquie, où le dialecte pratiqué se rapproche plus du polonais que du tchèque.

Mais historiquement, tchèque et slovaque possèdent une base identique, un vocabulaire et une évolution communs. Les deux langues ont exercé une influence l’une sur l’autre, et ne se sont développés parallèlement qu’à partir du XXe siècle. On peut en effet estimer que du XVe jusqu’au XIXe siècle, le tchèque était utilisé comme langue littéraire en Slovaquie, ce qui a d’ailleurs également permis à beaucoup d’éléments slovaques de s’infiltrer dans la langue tchèque.

Anton Bernolák
Précisons encore pour cette fois que les premiers efforts entrepris pour instaurer une langue littéraire slovaque remontent à la seconde moitié du XVIIIe siècle et sont l’œuvre d’un prêtre catholique et écrivain appelé Jozef Ignác Bajza qui fut l’auteur du premier roman en slovaque. Quelques années plus tard, c’est un autre prêtre catholique, Anton Bernolák, qui fut le premier à codifier le slovaque littéraire en s’appuyant pour cela sur le dialecte pratiqué dans l’ouest de la Slovaquie. Cette langue, dite bernoláčtina, du nom de son « inventeur », était utilisée essentiellement par les catholiques, mais plus généralement, aucune union linguistique ne régnait alors en Slovaquie. Il fallut attendre les années 40 du XIXe siècle pour voir enfin la langue littéraire slovaque, cette fois plus proche du dialecte pratiqué dans le centre du pays, s’imposer progressivement.

C’est avec ce petit rappel historique que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue ». Nous reviendrons sur le sujet, et notamment sur l’emploi du slovaque aujourd’hui en République tchèque, dans la prochaine émission. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !