Fin de la coopération entre les radios tchèque et slovaque : l’indépendance des médias mise en cause

Radio et télévision slovaque

La radio publique tchèque, Český rozhlas, a mis un terme à sa coopération avec son homologue slovaque de STVR, en réaction à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’audiovisuel public en Slovaquie.

Nouveau signe de l’évolution des relations entre Prague et Bratislava depuis la nomination du gouvernement de Robert Fico en Slovaquie en octobre 2023 : la radio publique tchèque, Český rozhlas, a décidé de mettre fin à sa coopération de longue date et pour une durée indéterminée avec son homologue slovaque de STVR (Slovenská televízia a rozhlas). La raison ? La radio tchèque craint que la nouvelle loi sur l’audiovisuel public introduite par le gouvernement slovaque n’accentue l’interférence de la sphère politique dans le travail des journalistes.

Jiří Hošna | Photo: Khalil Baalbaki,  ČRo

Au quotidien slovaque Sme, le directeur de la communication de la radio tchèque, Jiří Hošna, a dit regretter « la disparition forcée de RTVS et la création de STVR » jugée comme « la première étape vers l’étatisation du radiodiffuseur public ». Selon lui, la radio tchèque entend désormais « suivre de près la façon dont la nouvelle direction de STVR agira et surveiller si la diffusion de STVR répondra aux exigences d’un média de service public, en matière de liberté d’expression, d’indépendance et de pondération. »

Entrée en vigueur en juillet, la loi préparée et adoptée en quelques mois, n’a pas seulement eu pour conséquence de renommer le service public de l’audiovisuel slovaque RTVS en STVR. La mesure a également été l’occasion de procéder à un tri dans les effectifs, à commencer par la direction du groupe, afin de placer des personnalités plus en phase avec l’orientation politique du gouvernement slovaque actuel - des méthodes qui n’ont pas été du goût des partenaires tchèques, qui ont donc préféré prendre leurs distances.

Martin Dorazín  (à droite) | Photo: Martin Dorazín,  ČRo

Concrètement, la fin de la coopération entre Český rozhlas et STVR signifie, entre autres, que la radio slovaque ne pourra plus s’appuyer sur les correspondants de la radio tchèque, comme Martin Dorazín, qui couvre pour Český rozhlas la guerre en Ukraine.

La télévision slovaque sous pression

L’annonce de la rupture de la coopération entre les deux radios n’est pas inopinée. Au siège de Český rozhlas, des bruits de couloir évoquaient déjà cette hypothèse depuis plusieurs mois, et a fortiori depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’audiovisuel public en Slovaquie.

La direction tchèque s’inquiète que la radio slovaque ne suive la même voie que la télévision du groupe STVR, où les employés se plaignent de l’interférence croissante des politiques dans les choix éditoriaux. En conférence de rédaction, le 13 août, la direction de la télévision n’a, à cet égard, pas manqué de rappeler à l’ordre les journalistes présents et les a exhortés à s’abstenir de tout commentaire dans d’autres médias sur la situation au sein de STVR, selon les informations du serveur de la Radio tchèque, iRozhlas. Depuis, certains employés confient en privé songer sérieusement à partir.

Zuzana Kovačič Hanzelová | Photo: Věra Luptáková,  ČRo

Pour la journaliste slovaque du quotidien Sme, Zuzana Kovačič Hanzelová, interrogée par la radio tchèque, le cas de l’audiovisuel public à Bratislava est en réalité symptomatique des conditions de travail des journalistes de façon générale dans le pays :

« Il ne s’agit pas seulement de STVR. La pression exercée sur les médias est énorme en Slovaquie, y compris sur les médias privés. Nous assistons à des attaques massives contre certains journalistes de médias libres. Nous avons des ministres qui ont des équipes de personnes qui filment les journalistes pour les intimider ensuite. »

Le milieu de la culture lui aussi vent debout

Martina Šimkovičová | Photo: ČT

En Slovaquie, la sphère médiatique n’est pas le seul milieu à être affecté par des profonds remaniements depuis le retour au pouvoir de Robert Fico. La culture est elle aussi dans la ligne de mire du gouvernement, et notamment de sa ministre, Martina Šimkovičová (SNS), entrée en croisade pour défendre « la culture slovaque et rien d’autre », selon son expression. Début août, cette dernière a procédé au renvoi de la directrice de la Galerie nationale slovaque Alexandra Kusá et du directeur du Théâtre national slovaque Matej Drlička, qui ne se remet toujours pas de la façon dont il a appris la nouvelle :

Alexandra Kusá et Matěj Drlička | Photo: ČT

« J’ai ouvert la porte en robe de chambre. Deux types de 100 kg étaient là avec un fonctionnaire du ministère de la Culture, qui m’a remis le décret de révocation. [...] Les années 1970 sont de retour et la StB [la police secrète tchécoslovaque] revient à la maison pour annoncer les mauvaises nouvelles. »

Les 12 et 13 août, près de 10 000 personnes sont descendues dans les rues de Bratislava pour dénoncer les licenciements abusifs et appeler à la démission de la ministre de la Culture. De nombreux artistes et personnalités tchèques ont apporté leur soutien à leurs collègues slovaques par le biais d’une lettre ouverte, signée notamment par l’homme de théâtre Jiří Suchý, l’acteur et scénariste Zdeněk Svěrák ou l’ancienne juge constitutionnelle Eliška Wagnerová.

De son côté, Matej Drlička a bien été invité par la télévision publique slovaque à s’exprimer sur ces événements, quelques jours plus tard, mais l’entretien, initialement prévu en direct, a finalement été déprogrammé à la dernière minute, sur injonction de la direction de la télévision, pour être diffusé en différé.

Robert Fico, plus déterminé que jamais

Après la tentative d’assassinat dont le Premier ministre slovaque avait fait l’objet en juillet, certains auraient pu croire que la classe politique slovaque aurait tenté de calmer les passions et de modérer un tant soit peu son discours, dans une société déjà fortement à cran. Il n’en a rien été. À peine les événements se sont-ils produits, que les responsables de la coalition gouvernementale ont rejeté la responsabilité sur l’opposition et les médias. Sorti de convalescence il y a peu, Robert Fico semble plus que jamais déterminé à poursuivre la mise en œuvre de son programme, quitte à aller à rebours des valeurs démocratiques les plus fondamentales.

En Tchéquie, les soubresauts politiques en Slovaquie sont toujours suivis avec attention compte tenu de l’histoire commune des deux pays.

Signe précurseur néanmoins des crispations entre les dirigeants des deux Etats, en mars, le Premier ministre tchèque, Petr Fiala, avait annoncé la suspension des consultations régulières intergouvernementales en raison des « divergences fondamentales d’opinion sur des questions clés de politique étrangère » - le gouvernement de M. Fico étant opposé à la poursuite de l’aide militaire apportée à l’Ukraine.

L’annonce de la fin de la coopération entre Český rozhlas et STVR marque une nouvelle étape dans les relations bilatérales. Pour la direction de la radio tchèque, la décision était, de toute évidence, un choix difficile mais nécessaire, afin de manifester sa préoccupation quant à l’avenir de l’indépendance des médias en Slovaquie et, plus généralement, quant à l’inexorable dérive du pays vers le modèle de gouvernance hongrois. Pour l’instant, la direction de la télévision tchèque n’a pas communiqué à propos de sa potentielle collaboration avec STVR.