Rachid Akbal : parler de la guerre d’Algérie autrement
Toute cette semaine était à l’heure orientale dans le cadre du deuxième festival de la culturel orientale à Prague, Hradec Kralové et Brno. Après un détour par l’Iran le week-end dernier, dans la rubrique culturelle de ce dimanche, on va s’intéresser à l’Algérie par les yeux et le travail théâtral de Rachid Akbal. Il présentait à Prague son spectacle Baba la France qui a été très remarqué en 2009 au festival off d’Avignon. L’identité, l’exil, le déracinement, la guerre d’Algérie sont des sujets forts qu’il traite à travers le prisme de l’histoire de son père. Rencontre avec Rachid Akbal qui a travaillé son spectacle avec Caroline Girard.
Quelle est votre définition du conteur ? Quand on dit ‘conteur’, on pense aussi aux troubadours au Moyen Age ou aux griots en Afrique...
« C’est pour ça que je dis comédien au départ. Je navigue de l’un à l’autre... »
Vous jouez le conteur ?
« Je joue le conteur aussi. Quand je dis que j’aborde l’oralité, c’est que j’ai fait une plongée dans les contes traditionnels, mais pour en ressortir très vite. Je ne me considère pas comme un conteur, en fait. Pour moi, des troubadours, il en existe mais il y en a très peu. Les griots, c’est une autre définition : ce sont les détenteurs de la mémoire en Afrique de l’Ouest, ils sont rattachés au roi, au seigneur, mais ce ne sont pas des conteurs. Ils connaissent les mythes et l’historique de la royauté, les descendances, les ascendances, mais ça n’a rien à voir avec le conte tel qu’on le voit en France, qu’on assimile à ‘il était une fois’. »
Il était une fois, quand même... puisque vous dites vous intéresser à l’histoire... Votre spectacle Baba la France était présenté dans le cadre du Festival de la culture orientale. Baba, ça veut dire père en arabe, donc c’est une histoire de famille ?
« Oui. Moi je suis sur une trilogie que j’ai appelée modestement la Trilogie algérienne où je parle de l’exil, de la mémoire, de l’identité. Baba est le deuxième volet. Le premier, c’était Ma mère l’Algérie qui était plutôt sur la mémoire et comment un enfant se construit avec l’imaginaire et les histoires de sa mère. Pour le deuxième volet, je me suis dit qu’on allait évoquer un point plus polémique, la guerre d’Algérie. C’est un sujet sensible en France. Je dis bien la guerre d’Algérie, mais en Algérie, on appelle ça la guerre d’indépendance, de libération. »Et puis jusqu’à récemment, en France, on ne parlait pas de « guerre » en Algérie...
« Oui, la France disait les ‘événements’. Je me suis dit que j’avais parlé de la mère et que je voudrais maintenant rendre hommage à tous ces pères qui sont venus en France travailler. Je suis parti sur une tranche particulière : de 1948, après la guerre, où la France a eu besoin de beaucoup de main d’oeuvre pour reconstruire la France, jusqu’à octobre 1961. Je voulais étudier ces hommes qui sont venus et tombés dans la nasse. La guerre d’Algérie a éclaté et eux ils étaient entre deux feux. En plus, ils devaient se construire un avenir en France, difficilement et en même temps la guerre éclatait là-bas et rejaillaissait en France. Cela m’intéressait de voir comment traiter de ce sujet tout en rendant hommage à tous ces hommes qui ont souffert pendant ces années de braises. »
Pour cela, vous vous inspirez de l’histoire de votre père...
« Je me suis inspiré en grande partie des récits qu’il m’a fait, des récits de mon grand frère aussi. Après, j’ai construit l’histoire de Baba, en pensant à un héros. Pour moi, ces pères sont des héros. A 22, 23 ans, ils quittaient l’Algérie, la misère. Je les ai assimilés à Hercule. Et cet enfant regarde son père comme un héros. Car Baba, c’est avant tout une histoire d’amour, tout comme le premier volet est une histoire d’amour pour la mère, la terre-mère. Là, c’est l’histoire d’un enfant en adoration pour son père. Et dans le spectacle, la guerre d’Algérie à proprement parler, elle se situe juste dans un café et c’est dix minutes du spectacle. »Quelles ont été les réactions à votre spectacle ? Je sais qu’il y a eu de très bonnes réactions au Festival off à Avignon...
« Oui, il a été très bien reçu à Avignon. Ce qui m’a fait plaisir, c’est au niveau du texte : il y a eu un attrait pour le texte par les médias qui ont souligné l’écriture très belle, très riche, et pas seulement le contenu. Le public aussi et les professionnels ont aussi bien reçu le spectacle, dans ce qui m’intéressait : comment traiter le sujet sans être dans l’accusation, dans l’aspect revanchard. Ce qui m’intéresse, c’est de suggérer les choses, d’amener le public à se questionner. En même temps c’est une fiction : même si c’est du théâtre documentaire ça reste une fiction. Il y a aussi la force du théâtre qui permet de se laisser aller à des sentiments, au rire... »
Et puis cela aide à mieux faire connaître, autrement, cette page de l’histoire...
« Oui, je pense que c’est le rôle de l’art. On le voit bien avec le cinéma aujourd’hui, avec le dernier film de Bouchareb. Il va bientôt avoir le 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, ça va ne faire qu’augmenter les productions et l’envie d’en parler. Parce que ce n’est pas anodin, la France et l’Algérie : il y a certes tous ces enfants d’immigrés, mais il y a aussi tous les rapatriés, avec leurs enfants... sans compter tous ceux qui ont participé à la guerre de plus ou moins près, plus ou moins consentants, et leurs enfants qui en ont hérité. C’est pour cela que ce n’est pas un sujet simple à évoquer en France. »