Andrea Sedláčková : « Les Français énervent les Tchèques parce qu’ils sont le miroir d’eux-mêmes » (2e partie)
Deuxième partie de l’entretien avec Andrea Sedláčková, monteuse en France, réalisatrice en République tchèque. La semaine dernière, nous avions évoqué son départ de Tchécoslovaquie durant l’été 1989, ses galères à Paris avant de faire la Femis, son sentiment de culpabilité de ne pas être présente pendant la révolution de velours et nous avions touché du doigt ses projets, notamment l’écriture du scénario des Lâches d’après le roman éponyme de Josef Škvorecký. De cet auteur tchèque important, il en sera à nouveau question aujourd’hui, puisqu’Andrea Sedláčková a également réalisé un film intitulé Le rythme dans les talons, inspiré du monde de Škvorecký. Mais avant toute chose, Radio Prague lui a demandé son point de vue sur la fabrication d’un film en France et en République tchèque, et si elle y voyait des différences.
Ah oui ? En quoi ?
« Dans cette veine un peu bordélique, je-m’en-foutiste, un peu hystérique, joyeux au premier degré. Je sais que les Tchèques aiment travailler pour les Anglo-saxons et les Allemands parce que les Français les énervent énormément. Mais je pense que ce qui les énerve, c’est le miroir d’eux-mêmes. Evidemment, les Anglo-saxons et les Allemands sont bien organisés et les Tchèques aiment bien cela. Mais la rencontre avec quelqu’un d’identique, cela ne marche pas. »
C’est vrai que je n’avais jamais pensé à cette façon de voir les choses. C’est une bonne interprétation ! C’est vrai que Tchèques et Français ont du mal à travailler ensemble...
« Et pas seulement dans le cinéma ! Au début des années 1990, j’avais rencontré des Français qui essayaient de racheter Škoda par exemple. Ils n’ont pas réussi. Ou EDF qui voulait investir dans l’électricité tchèque. Cela n’a jamais marché ! C’est toujours les Allemands qui ont remporté la mise. Mais je pense juste que Tchèques et Français sont trop similaires. (rires) »
On va revenir à Josef Škvorecký. C’est un auteur que vous avez toujours aimé pour d’une part, accepter d’adapter Les lâches, à sa demande, et puis pour ce film que vous avez réalisé, Le rythme dans les talons ?« Je ne dirais pas que j’avais une plus grande admiration pour Škvorecký que pour les autres auteurs des années 1950-60. Je connaissais. Pour être honnête, ce n’était pas du tout mon auteur préféré. Je suis plutôt kunderienne. J’aime aussi beaucoup certaines choses de Pavel Kohout. En fait, à l’origine, c’est lui qui m’a contactée par l’intermédiaire d’un collègue qui s’occupe de la production. Il m’a proposé un scénario qu’il avait écrit, car il avait vu mes films. Je trouvais que ce n’était pas intéressant. J’ai refusé poliment. Mais il m’a envoyé un mail où il m’a écrit tout le bien qu’il pensait de mes films. Il m’a re-proposé la même chose. »
C’était impossible de refuser !
« C’était impossible de refuser. J’ai dit oui. Le film devait être inspiré de plusieurs nouvelles. J’ai dit que je voulais être l’auteur unique du film. Je pensais qu’il allait refuser et en fait il a accepté. J’ai complètement réécrit le scénario. C’est la preuve que si vous refusez quelque chose dans la vie, cela peut souvent être une erreur. Parce que ma première réaction était que je ne voulais pas le faire. Et finalement c’est le film que j’aime le plus. C’était un bonheur total aussi de savoir que l’auteur a vraiment aimé, qu’il considère cela comme le film le plus proche de son esprit. Cela a été couronné par sa proposition d’adapter Les lâches. A nouveau, c’est tellement énorme. Le livre se passe pendant la dernière semaine de la Seconde guerre mondiale, dans une petite ville. Cela implique des scènes avec des chars, des armées... Beaucoup de gens ont cherché à l’adapter, toujours des hommes. Ma première réaction a été de dire non, puis je me suis dit que c’était tellement extraordinaire qu’il fallait essayer de le faire. Je ne suis qu’à la deuxième version du scénario mais M. Skvorecky l’aime déjà beaucoup. Ce n’est pas encore fini. J’espère que ce sera couronné par un film parce qu’on ne sait jamais... »
Pour revenir à Rytmus v patách, pourriez-vous nous rappeler l’histoire, l’intrigue ?
« Chez Škvorecký, le personnage principal s’appelle toujours Danny Smiřický. C’est une sorte d’alter ego de l’auteur. Cela se passe en 1951 dans la Prague communiste. Danny y rencontre une fille qui s’appelle Geraldina, une sorte de papillon de nuit, qui vit dans les idées du passé. C’est une très grande bourgeoise qui ne ressent pas du tout le danger et qui pense qu’elle peut jouer un double-jeu, avec la police secrète qui essaye de mettre la main sur elle, et en aidant les gens poursuivis par le régime. Danny, lui, joue dans un club de jazz. C’est basé sur une histoire vraie. Parce qu’elle connaît les amis de Danny, à cause d’elle, une dizaine de vies sont brisées. C’est un film sur la terreur des années 1950. Le charme de ce film, c’est qu’il y a de nombreuses chansons des années 1930-40 qui sont jouées dans ce club de jazz des années 1950. »C’est aussi le récit de la fin d’un monde qui se délite petit à petit...
« Oui, d’un monde qui disparaît... »
Avez-vous déjà une idée de quand vous pourriez tourner les Lâches ?« Non, il faut déjà finir le scénario, chercher des financements. Le livre se déroule au mois de mai, donc il faut nécessairement qu’il soit tourné en mai, juin. J’aimerais bien tourner l’année prochaine, spécialement pour M. Škvorecký qui a 87 ans et qui me dit toujours : ‘il faut vite le tourner, je veux le voir !’ Mais cela ne dépend pas de moi. »
Vous avez d’autres projets en France ?
« Je vais monter le nouveau film de Philippe Lioret, un film à nouveau très sombre. »
A Karlovy Vary, il m’avait parlé de son envie d’adapter D’autres vies que la mienne, d’Emmanuel Carrère...
« Oui, même si cela ne ressemble plus vraiment au livre. Il n’a gardé qu’une légère trame. A la trentième page du scénario, vous commencez à pleurer, et après vous ne vous arrêtez plus jusqu’à la fin. »Peut-être aura-t-on la chance de voir ce film en République tchèque aussi...
« Ce n’est pas sûr parce que c’est à nouveau un sujet très difficile car c’est à propos d’une femme qui a un cancer du cerveau. Et les films français un peu sérieux, graves n’ont absolument aucun succès en République tchèque. Un film comme Un prophète de Jacques Audiard a très bien marché en France, mais pas vraiment en République tchèque, alors que c’est un très beau film. Mais les Tchèques ne veulent pas cette idée de la France. »
Ils veulent Amélie Poulain...
« C’est cela... »